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Comment la migration s’est invitée dans la coopération de l’Union européenne avec les pays africains

La prise de conscience en Europe de la nécessité de développer une coopération au développement avec le continent africain s’est faite progressivement. Au départ, les relations entre États membres et pays africains se faisait principalement à travers les politiques nationales de chaque pays européen. C’est particulièrement la France qui avait l’expertise en la matière du fait de son passé colonial. Cependant, avec l’entrée en application de l’accord de Schengen en 1995, et l’apparition d’une frontière extérieure, l’UE a dû peu à peu développer une action extérieure prenant en compte les enjeux de l’immigration. Celle-ci s’articule en trois volets : « la coopération au développement ; la coopération économique, financière et technique avec les pays tiers ; l’aide humanitaire »[1].

La coopération au développement est définie dans l’article 208 du Traité sur le fonctionnement de l’Union :

« La politique de l’Union dans le domaine de la coopération au développement est menée dans le cadre des objectifs de l’action extérieure de l’Union. La politique de coopération au développement de l’Union et celles des États membres se complètent et se renforcent mutuellement.

L’objectif principal de la politique de l’Union dans ce domaine est la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté. L’Union tient compte des objectifs de la coopération au développement dans la mise en œuvre des politiques qui sont susceptibles d’affecter les pays en développement. »[2]

L’UE est le plus important investisseur sur le continent africain, et la plus grande source d’aide au développement et humanitaire[3] : selon l’OCDE, l’UE représente 50,1% de l’aide publique au développement totale en Afrique, loin devant les États-Unis (24%)[4].  

Avec l’augmentation du flux de réfugiés venant du continent africain, et tentant de franchir les frontières de l’Europe, l’UE a peu à peu orienté sa politique migratoire vers une externalisation de sa frontière. En effet, pour limiter cet afflux, elle a fait le choix de déléguer la gestion des migrants à des pays tiers, tels que la Lybie ou la Turquie, la gestion des migrants.

La coopération au développement intervient dans cette perspective. En effet, les migrations ont intégré une place importante dans la coopération au développement avec les pays du continent africain, représentés par l’Union Africaine (UA), et ce, parce que développement et migrations sont souvent considérés comme étant liés. L’UE, à travers la coopération au développement, souhaite éradiquer les causes profondes des migrations, mais également inciter les pays à empêcher l’immigration irrégulière et le trafic[5],  et ainsi s’attaquer aux sources de ces flux afin de les endiguer. Cette approche liant migration et développement est devenue une part importante de la politique migratoire de l’UE, mais impacte également sa coopération au développement avec les pays de l’UA.

Différents instruments et accords composent cette approche mêlant politique migratoire et coopération au développement. Cet article aura pour but d’évoquer deux instruments : l’accord de Cotonou et son successeur, l’accord de Post-Cotonou, et le Fond Fiduciaire de l’UE pour l’Afrique.

Les accords de Cotonou et Post-Cotonou : l’aspect politique des migrations dans la coopération au développement

L’accord de Cotonou : coopération UE – pays ACP

L’accord de Cotonou régit la coopération entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (nommés pays ACP). Il est né d’un long et progressif renforcement de la coopération entre l’UE et ces pays. Il a été adopté en 2000. Cet accord a une grande importance dans la structure de coopération au développement de l’UE, car il regroupe de nombreux pays (79) bénéficiaires de la coopération européenne, dont 48 font partie de l’Afrique sub-saharienne. Ainsi, il a permis à l’UE d’approfondir un partenariat qui a pour but « d’éradiquer la pauvreté et contribuer à l’intégration progressive des pays ACP dans l’économie mondiale »[6]. Il avait été négocié pour une période de 20 ans, et il est donc arrivé à expiration en 2020, et a été remplacé par une proposition d’accord Post-Cotonou.

Source : Conseil de l’Union européenne, « Infographie – Les relations entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique », Conseil de l’Union européenne, 2020

Les migrations : un enjeu intégré dans l’article 13

La question migratoire est devenue un enjeu politique, notamment dans les relations de l’UE avec les pays africains. En effet, beaucoup sont des pays d’origine ou de transit, et donc ils sont en première ligne dans la volonté de l’UE d’endiguer le flux migratoire sur son territoire. Dans cette optique d’externalisation de la gestion des migrants, l’UE a développé l’approche migration-développement. Cette démarche est illustrée par l’article 13 de l’accord de Cotonou. Tout d’abord, l’article 13 réaffirme l’utilité de l’aide au développement dans l’éradication des causes profondes des migrations :

« Les parties considèrent que les stratégies visant à réduire la pauvreté, à améliorer les conditions de vie et de travail, à créer des emplois et à développer la formation contribuent à long terme à normaliser les flux migratoires. »[7]

Il introduit également un instrument de lutte contre l’immigration clandestine avec les accords de réadmission :   

« i) – chaque État membre de l’Union européenne accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d’un État ACP, à la demande de ce dernier et sans autres formalités;

– chacun des États ACP accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne, à la demande de ce dernier et sans autres formalités. »[8]

De plus, « pour que cette clause devienne applicable, elle doit être complétée par accords bilatéraux avec la Communauté européenne ou avec un ou plusieurs de ses Etats membres »[9]. Cependant, à l’heure actuelle « un seul accord de retour est opérationnel, celui entre l’UE et le Cap-Vert »[10]. L’article 13 de l’accord de Cotonou, même s’il n’est pas totalement appliqué dans la pratique, dénote une volonté politique d’utiliser la coopération au développement comme instrument de gestion des migrations et en précise les contours.

Une place réaffirmée dans les négociations de l’accord Post-Cotonou

Selon l’eurodéputé György Hölvényi (PPE), « les migrations et les déplacements vont dominer l’agenda des relations ACP-UE. Le nouvel accord devra répondre à cet enjeu de plus en plus central »[11]. L’adoption laborieuse du mandat de négociation en 2018, côté européen, du fait du blocage de la Hongrie en désaccord avec le volet « migration », illustre la position centrale de cette question dans la coopération au développement.

Le 3 décembre 2020[12], les négociateurs en chef de l’UE et des pays ACP se sont entendus sur le texte qui deviendra l’accord Post-Cotonou. Ce nouvel accord a fait l’objet d’une régionalisation afin de pouvoir prendre en compte les différentes priorités de chaque région. Il se composera donc d’un socle commun et de trois protocoles régionaux relatifs, respectivement, aux Caraïbes, aux pays du Pacifique et à l’Afrique.

La question migratoire prend une place encore plus importante dans ce nouvel accord, car elle fait l’objet d’un titre entier dans le socle commun (14 articles et une annexe), et non plus d’un seul article. De plus, la question migratoire est reprise dans 7 articles dans le protocole Afrique, démontrant de la place de plus en plus importante que prend cet enjeu dans la coopération UE- pays du continent africain[13]. Cependant, cet accord Post-Cotonou, comme son prédécesseur, ne prend en compte que les pays de l’Afrique subsaharienne, et non ceux de l’Afrique du Nord, qui sont des acteurs majeurs de la politique migratoire européenne, mais relèvent d’autres accords de coopération. En effet, l’externalisation de la gestion des migrants par l’UE a été possible grâce aux accords bilatéraux conclus avec certains pays, comme la Libye

La question du lien migration-développement est abordée dans ce nouvel accord, mais de manière superficielle, pour laisser une place plus grande au lien migration-sécurité. En effet, « l’accord se concentre surtout sur la gestion des flux migratoires et la lutte contre le trafic et les migrations irrégulières (ainsi que sur) des engagements fermes de la part des ACP sur le retour et la réadmission des illégaux » alors que « les pays ACP ont plutôt mis en avant les avantages et la facilitation de la migration légale »[14]. Comme le déplore un représentant de la société civile à Euractiv, « au départ, le développement était le pilier principal de l’accord de Cotonou. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un des piliers »[15], celui-ci privilégiant les questions de sécurité, et de gestion des migrations, et croissance économique au détriment du développement.

Ainsi, l’accord de Cotonou, et son successeur qui doit encore être ratifié, l’accord de Post-Cotonou, ont dessiné les contours d’une coopération au développement avec les pays ACP, et donc certains pays de l’UA. Ces accords ont également intégré le lien migration-développement, les migrations devenant un enjeu de plus en plus prééminent dans la coopération UE-UA.

Le Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique : un instrument financier

Le lien migration-développement est également développé dans un instrument financier : le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour la stabilité et la lutte contre les causes profondes des migrations irrégulières et des personnes déplacées en Afrique (EUTF for Africa). Cet instrument a été créé lors du sommet de La Valette sur les migrations en novembre 2015, pour s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité, des déplacements forcés et des migrations irrégulières et pour contribuer à une meilleure gestion des migrations.

Le Fonds fiduciaire pour l’Afrique représente plus de 5 milliards d’euros, [16] dont près de 89 % des contributions proviennent de l’UE en tant que telle (principalement à travers le Fonds européen de développement) et environ 11 % des États membres de l’UE et d’autres donateurs[17].

Les programmes relevant du Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique sont mis en œuvre dans vingt-six pays partenaires répartis dans trois régions d’Afrique : le Sahel et le lac Tchad, la Corne de l’Afrique et l’Afrique du Nord. Ces programmes se concentrent sur quatre objectifs stratégiques :

  • Accroître les possibilités économiques et d’emploi (1)
  • Renforcer la résilience des communautés (2)
  • Améliorer la gestion des migrations (3)
  • Améliorer la gouvernance et la prévention des conflits (4)[18]

Source : Kipp, David, « From Exception to Rule – the EU Trust Fund for Africa – SWP Research Paper 2018/RP”, SWP, 13 décembre 2018

Selon la proposition actuelle de cadre financier pluriannuel (CPF) 2021-2027, 10 % de l’enveloppe budgétaire du nouvel instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (IVDCI) devraient être affectés à la migration et au développement[19]. Après une soixantaine d’années d’existence autonome hors du budget général de l’UE, le Fonds européen de développement sera intégré au sein de ce nouvel instrument[20]. En conséquence, le Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique semble être absorbé dans le nouvel instrument et sera donc institutionnalisé dans le budget de l’UE[21].

L’institutionnalisation du Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique dans le cadre du CFP (cadre financier pluriannuel), permettra une transparence accrue et donnera au Parlement européen des compétences de contrôle plus fortes. En effet, ce Fonds avait déjà été critiqué pour son manque de transparence tant par les ONG que par la Cour des comptes européenne, qui attribuent cette situation à la nécessité de flexibilité et rapidité dans l’élaboration des programmes.

Ainsi, dans la lignée de l’externalisation de la gestion des migrants adoptée par l’UE ces dernières années, la considération du lien migration-développement devient de plus en plus centrale dans les relations qu’entretient l’UE avec ses voisins africains. Cet aspect de la politique migratoire et de la coopération au développement comporte cependant des aspects négatifs. Tout d’abord, la question migratoire et le tournant sécuritaire ont fait passer au second plan la composante « développement » des relations UE-UA. De plus, si l’aide au développement peut être bénéfique pour la normalisation des flux migratoires, elle peut également être contre-productive dans certains cas. Par exemple, au Niger, pays recevant une aide au développement importante, l’UE a joué un rôle déterminant pour faire en sorte que l’Etat applique des lois strictes contre le trafic de migrants et ferme la route migratoire vers le nord. Bien que cette approche ait certes réussi à réduire la migration vers le nord à court terme, des études montrent qu’elle a eu des effets contre-productifs. La ville d’Agadez étant un important centre de transit pour la migration vers le nord, les migrants constituent une source de revenus essentielle. L’arrêt partiel du trafic de migrants a entraîné une augmentation de la pauvreté[22]. Ainsi, si l’objectif initial de l’arrêt du trafic de migrants est louable, lier l’aide au développement à une bonne gestion des migrations doit en prendre en compte les réalités de chaque pays, et trouver des solutions pour pallier les effets contre-productifs que pourraient avoir une approche liant aide au développement et gestion des migrations.


[1] Vernier, Gérard, et Marino, Giulia, « L’UE et le monde en développement, un attachement réciproque : du cordon ombilical de la colonisation aux liens du partenariat politique », EU-Logos Athéna, p.5

[2]Union européenne, « Version consolidée du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
CINQUIÈME PARTIE – L’ACTION EXTÉRIEURE DE L’UNION ; TITRE III – LA COOPÉRATION AVEC LES PAYS TIERS ET L’AIDE HUMANITAIRE ; CHAPITRE 1 – LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT ; Article 208 (ex-article 177 TCE) – OJ C 202, 7.6.2016 », EUR-Lex, 2016, p.141

[3] Fondation Robert Schuman, « European Union/African Cooperation: the externalisation of Europe’s migration policies”, Fondation Robert Schuman, 30 avril 2018

[4]African Union, « Soutien global de l’Union européenne à l’Afrique », African Union, 2020

[5] Fondation Robert Schuman, « European Union/African Cooperation: the externalisation of Europe’s migration policies”, Fondation Robert Schuman, 30 avril 2018

[6] Conseil de l’Union européenne, « Accord de Cotonou », Conseil de l’Union européenne, 2020

[7] Union européenne, « 2000/483/CE: Accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 – Protocoles – Acte final – Déclarations – OJ L 317, 15.12.2000, p. 3–353 », EUR-Lex, 2000

[8] Ibid

[9] Ibid

[10] Barbière, Cécile, « L’accord post-Cotonou confronté à la crise migratoire », Euractiv, 30 novembre 2016

[11]Ibid

[12] Représentation en France ) Commission européenne, « L’après Cotonou : les négociateurs parviennent à un accord politique sur un nouvel accord de partenariat entre l’UE et les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique », Commission européenne, 4 décembre 2020

[13] Boidin, Jean-Claude, « Relations UE-ACP : la fin des préférences ? Analyse du nouvel accord Post-Cotonou », ecdpm, janvier 2021, p.3-4

[14] Ibid

[15] Fox, Benjamin, et Rountree, Charley, « L’immigration au cœur de l’accord post-Cotonou », Euractiv, 28 mars 2018

[16] Commission européenne, « The EU Emergency Trust Fund for stability and addressing root causes of irregular migration and displaced persons in Africa”, Commission européenne, 2020

[17] Kipp, David, « From Exception to Rule – the EU Trust Fund for Africa – SWP Research Paper 2018/RP”, SWP, 13 décembre 2018

[18] Commission européenne, « The EU Emergency Trust Fund for stability and addressing root causes of irregular migration and displaced persons in Africa”, Commission européenne, 2020

[19] Commission européenne, « Questions and answers: the EU budget for external action in the next Multiannual Financial Framework”, Commission européenne, 2 juin 2020

[20] Commission européenne, « COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS – Un budget moderne pour une Union qui protège, qui donne les moyens d’agir et qui défend – Cadre financier pluriannuel 2021-2027 », Commission européenne, 2018

[21]Claes, Johannes, « Migration and development in the new EU budget”,Clingendael, 27 octobre 2020

[22]Ibid

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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