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La montée du populisme en Union européenne et l’asile

Depuis la moitié des années 2010, plusieurs partis populistes ont connu une hausse dans de nombreux pays européens et ce à travers diverses élections. Cette propulsion des partis au premier plan a de nombreuses conséquences sur la migration et les demandeurs d’asile. Pourtant, ces partis ont pu avoir du succès grâce ou à cause de la migration. Quelles sont les relations entre le populisme, particulièrement l’extrême-droite, et les demandeurs d’asile ? Comment s’entretiennent-ils (elles ?)?

Un des meilleurs exemples pour illustrer la corrélation entre la montée du populisme et l’immigration est l’Allemagne. Entre 2015 et 2016, l’Allemagne a accueilli des centaines de milliers de réfugiés syriens. En 2016, il y avait plus de 280 000 demandeurs d’asile[1] dans le pays. 36% venaient de Syrie, 17% d’Afghanistan et 13% d’Irak. Thomas de Maizières, ministre fédéral de l’Intérieur allemand en 2016, déclarait que l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF) avait été préparé à recevoir autant de réfugiés. Si ces derniers ont pu être accueillis dans des conditions relativement bonnes, la population avait peut-être manqué de préparation. En effet, comme on pourrait le supposer suite à cette arrivée massive de migrants, l’AfD (Alternativ für Deutschland, parti d’extrême-droite allemand) a enregistré des scores élevés aux élections législatives de 2017 et 2019, avec environ 25% des voix[2] dans certaines régions. Alexander Gauland, dirigeant de l’AfD, a lui-même déclaré que l’arrivée des migrants en Allemagne avait été un “cadeau” pour son parti[3]. Ce dernier utilise également la crise migratoire pour justifier des attentats qui ont eu lieu à Paris, à Bruxelles ou à Nice. Le parti avait donc le vent en poupe. Pourtant, cette tendance a baissé avec le Covid-19 : les électeurs sont davantage inquiets de la crise sanitaire que de la crise migratoire, qui s’est tarie depuis. Il se trouve justement que l’AfD n’a pas su prendre avantage de la crise, et la direction du parti ne présentait aucune ligne claire,

Pourtant, la migration n’est pas la seule cause qui a favorisé la montée de l’extrême-droite en Allemagne. Les attentats qui avaient secoué le pays avaient suscité une peur dans le pays et avaient offert une place à l’AfD. De plus, on remarque que les régions dans lesquelles le parti d’extrême-droite récolte ses plus hauts scores concernent les villes de l’ancienne Allemagne de l’Est, comme c’est notamment le cas à Brandebourg ou à Thüringen. D’autres enjeux expliquent le vote vers l’extrême-droite. Il y a par exemple la décision de sortir du charbon à l’horizon 2038, alors que celui-ci est la ressource principale à l’Est du pays, ou encore l’inégalité salariale entre les deux parties : à l’Ouest, le salaire moyen par an est de 43 900 euros pour les employés, alors qu’à l’Est, il est de 36 500 pour les cadres[4]. Ces raisons expliquent également la montée de l’AfD en Allemagne de l’Est, qui se présente comme une voie différente pour les électeurs.

« ALTERNATIVE FÜR DEUTSCHLAND » Die AfD in den Landtagen, Statista, 28.10.2019

D’autres mouvements s’illustrent, comme PEGIDA (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, “Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident”) lancé en 2014. Ce mouvement lutte contre l’islamisation et la politique d’immigration allemande, qu’il juge trop accueillante. De nombreux partisans du mouvement votent également pour l’extrême-droite, jugeant que c’est l’aile politique qui représentera le mieux leur revendications.

L’Allemagne n’est pas le seul pays de l’Union européenne à voir le populisme obtenir des scores élevés.

C’est également le cas de nombreux pays de l’Est comme la Hongrie ou la Pologne. Pourtant, les racines de l’extrême-droite sont différentes de celles présentes en Allemagne et ne sont pas perçues de la même manière. Durant plusieurs décennies, la Hongrie a connu un régime autoritaire, anti-capitaliste, anti-moderniste et qui a quitté le pouvoir dans les années 1990. Ces pays ont une forte idéologie nationaliste, qui ne rime pas avec immigration. Le parti hongrois Fidesz de Viktor Orban, au pouvoir, lutte contre la migration en installant des camps de rétention des migrants et en voulant promouvoir les valeurs et traditions chrétiennes. La Pologne se place au même niveau dans sa lutte contre l’immigration. Le parti au pouvoir, le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość ou PiS), détient la majorité des voix depuis 2015, et est lui aussi anti-immigration. De grandes manifestations ont souvent lieu en Pologne contre les migrants venus de Syrie et d’Irak, mais également contre l’immigration musulmane. Pourtant, que ce soit la Pologne ou la Hongrie, les deux pays n’ont pas accueilli tant de migrants, surtout comparés à l’Allemagne ou à la France. Ce sentiment existait bien avant la vague migratoire de 2015, qui certes a donné un prétexte pour dénoncer la migration massive, mais qui n’a pas bousculé la vie de ces deux pays. Le problème semble davantage être de l’islamophobie qu’un sentiment anti-migrants, et si les migrants étaient tous chrétiens, peut-être ces deux pays seraient-ils plus indulgents.

L’Autriche a elle aussi une forte imprégnation de l’extrême-droite sur sa vie politique avec le FPO (Freiheitliche Partei Österreichs, Parti de la liberté d’Autriche). Si le parti n’est jamais arrivé au pouvoir, il obtient des scores très importants aux élections de 2016. Le FPO souhaite freiner l’immigration en provenance de pays musulmans, afin d’éviter “l’islamisation de l’Autriche”. L’Autriche a donc elle aussi connu une hausse des voix tournées vers l’extrême-droite, juste après la vague migratoire de 2015.

En Espagne, le parti Vox, fondé en 2013, obtient 11% lors des élections générales de 2019[5]. Il n’a pas une politique anti-immigration si importante, notamment comparée à d’autres partis d’extrême-droite européens. S’il veut une vérification des migrants entrant sur le territoire espagnol et l’expulsion des migrants clandestins, l’immigration n’est pas vraiment au cœur de sa politique.

En Estonie, aux élections de 2019, le Parti populaire conservateur d’Estonie obtient près de 18%, ce qui lui permet d’entrer au gouvernement avec une coalition. Le parti d’extrême-droite de la Finlande, Vrais Finlandais, enregistre également des scores élevés lors des élections législatives en 2019. Il est le second parti le plus important du pays.

En France, on observe une manipulation de l’immigration musulmane par le Rassemblement national (RN), dirigé par Marine Le Pen.

“Parce que je pense que le vote en faveur des partis d’extrême droite dans nombre de pays européens a pour cause principale le rejet de l’immigration musulmane, vue par certains citoyens comme une menace sur l’identité nationale et les valeurs de la Nation.” Extrême droite en Europe : une analyse géopolitique Béatrice Giblin, Dans Hérodote 2012/1 (n° 144), pages 3 à 17. C’est cette idée de Nation qui pousse les électeurs à voter pour des partis d’extrême-droite, considérant que ceux-ci en sont les garants.

Une petite majorité de l’immigration peut aussi contribuer à l’augmentation des voix de l’extrême-droite. Ces personnes issues de l’immigration, ou d’origine étrangère, veulent protéger la Nation qui les a accueillis mais aussi, souvent, ces immigrés travaillent dans des usines, usines qui ferment de plus en plus et dont les fermetures sont attaquées par l’extrême-droite, comme c’est notamment le cas du RN. Celui-ci a réussi à s’implanter dans le nord de la France, à Hénin-Beaumont, bassin minier où de nombreuses usines ont fermé.

Finalement, l’immigration semble plutôt être un prétexte qui s’insère dans un climat instable, notamment avec la crise économique. Car, même si les migrants ne sont pas toujours très nombreux, on exagère leur impact sur la vie du pays. L’argument avancé par les partis d’extrême-droite est que les migrants “voleraient” le travail des non-migrants. Or, plusieurs études démontrent que les migrants rencontrent un taux de chômage plus élevé que les autres.

Taux de chômage des natifs comparé au taux de chômage des immigrés dans les pays de l’OCDE, OCDE, 2016

On voit donc que cet argument ne tient pas vraiment, et sert à instrumentaliser un discours de haine et de rejet. Les problèmes pointés par les partis d’extrême-droite sont des thématiques extérieures, comme la mondialisation, l’immigration ou même l’Union européenne. En effet, l’Union est souvent critiquée par ces partis. Elle est perçue comme une organisation qui amenuise le pouvoir de l’Etat et qui ne respecte pas les volontés des citoyens, étant une institution supranationale. La peur que des éléments extérieurs viennent bousculer la stabilité d’un pays est le maître mot de ces partis. L’immigration est alors vue comme un élément perturbateur à la fois économique et culturel. Économique car les migrants bénéficieraient de beaucoup d’aides et d’avantages, et culturel car ils imposeraient leur propre culture aux natifs. Ces idées renforcent alors le sentiment d’appartenance à des communautés qui semblent opposées.

Depuis longtemps, l’Union européenne veut établir des règles en matière de migration et d’asile. Elle précise ces mesures dans les années 1980, avec la création de l’espace Schengen en 1985. L’immigration est également encadrée dans le traité d’Amsterdam, signé en 1997[6]. Depuis, l’Union n’a cessé d’être une terre d’immigration et d’asile, et certains pays sont plus attractifs que d’autres. Au cours des premiers mois de 2020, 390 000 demandes d’asile ont été enregistrées[7]. Les chiffres ont baissé par rapport à 2019, en raison de la crise sanitaire.

L’immigration est un sujet qui revient souvent dans le débat public, et c’était le cinquième sujet le plus abordé lors des élections européennes de 2019. En 2018, 72% des citoyens européens auraient aimé que l’Union agisse davantage dans le domaine de l’immigration[8]. Les taux les plus hauts sont enregistrés à Chypre (88%), en Espagne (85%) ou au Portugal (84%), tandis que les plus bas le sont en Autriche (55%) et au Royaume-Uni (56%).

Si l’immigration apparaît comme un problème européen sinon global, elle est surtout une grande source de préoccupation au sein même des Etats membres. Rejetée et instrumentalisée par les partis d’extrême-droite, elle leur permet de récupérer de nombreux électeurs. Il est ainsi possible d’établir des corrélations entre arrivée des migrants et montée de l’extrême-droite, comme ce fut notamment le cas de l’Allemagne à la suite de la vague migratoire de 2015. Néanmoins, l’immigration reste un prétexte et ne suffit pas à inspirer à elle seule un parti politique, car d’autres thèmes sont aussi cruciaux pour les électeurs, comme l’emploi et la sécurité. L’immigration est donc un facteur important influençant les votes mais il n’est pas stable et majeur. L’Union Européenne a d’ailleurs proposé un nouveau pacte sur la migration et l’asile en septembre 2020 afin d’établir un “un équilibre entre les principes de partage équitable des responsabilités et de solidarité.”


[1] Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat

 PRESSEMITTEILUNG   11.01.2017, 280.000 Asylsuchende im Jahr 2016 Deutlicher Rückgang des Zugangs von Asylsuchenden, 745.545 Asylanträge

[2] Wahlergebnisse und Wählerschaft der AfD, Bundeszentrale für politische Bildung, 26.10.2020

[3] AfD-Vize Gauland sieht Flüchtlingskrise als Geschenk, Der Spiegel, 12.12.2015

[4] Gehalt.de, 30 Jahre Wiedervereinigung: So groß ist die Lohnlücke wirklich 28.09.2020

[5] En Espagne, les socialistes remportent les élections législatives, Le Monde, 28 avril 2019

[6] Traité d’Amsterdam, site de l’Union européenne

[7] Asile et migration en Europe : faits et chiffres, 15.04.2021, site du Parlement européen

[8] Enquête d’Eurobaromètre, 2018

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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