Faut-il avoir peur ?

Editorial NEA 82


C’est une question qui vient assez naturellement à l’esprit et non pas seulement à celui qui subit chaque jour les aléas et les duretés de la vie quotidienne, mais aussi à l’observateur de l’actualité institutionnelle européenne. Il peut avoir le vertige en constatant la mutation considérable dans la construction du projet européen, un constat rapide et superficiel pourrait lui faire croire qu’il est entrain de construire une société de la surveillance, du soupçon et de la peur. Les thèmes abordés dans le présent numéro en témoignent largement. Il faut se ressaisir ! Viviane Reding nous y a invités dans son audition devant le Parlement européen : elle a pris quelque distance vis-à-vis du tout sécuritaire et surtout elle nous a adjurés de ne pas se laisser submerger par la peur et son corollaire, la recherche éperdue de la sécurité. Ce n’est pas une vie ! Ses propos n’ont pas eu l’écho qu’ils méritaient. Dommage !

Tito Boeri, professeur d’économie à l’université Bocconi (Milan) faisait observer récemment qu’en Italie les titulaires d’un permis de séjour ont augmenté de 500% depuis 1990 mais les taux de criminalité sont, eux, restés presqu’inchangés. Il a conclu : le problème c’est la criminalité, pas les étrangers. Tel autre brillant éditorialiste du Washington Post faisait remarquer que l’opinion publique américaine devrait s’effrayer des 50 000 morts par an sur les routes, rues  et autoroutes américains ? C’est des automobilistes américains qu’il faut avoir peur et moins des talibans ou d’al-Qaïda. Guy Verhofsdadt dans sa vigoureuse interpellation des français publiée par le journal le Monde, des français englués dans leur débat sans issue sur l’identité française, concluait c’est d’eux-mêmes qu’ils  doutent, et au bout du compte c’est d’eux qu’ils ont peur…

Toutes les personnes que nous venons de citer ont toutes raison, chacune à sa façon. Il faut retrouver confiance en soi, optimisme, capacité à entreprendre, retrouver le goût du futur.

Ces notions de sécurité étaient absentes de l’esprit des pères fondateurs de l’Europe, le traité de Rome n’évoquait la sécurité  que marginalement. Il faut d’emblée relever que la situation d’origine n’offrait pas la même perspective que celle d’aujourd’hui. Le traité de Rome ne voyait essentiellement   les raisons de sécurité publique que pour autoriser les Etats membres à déroger aux quatre libertés fondamentales de libre circulation. Prérogative régalienne des Etats cette possibilité de dérogation était associée à « l’ordre public » et à la « santé publique », les règles de la libre circulation au sens du traité de Rome apparaissant comme subalterne et relevant d’un ordre plus prosaïque. Cinquante ans plus tard, la situation est tout autre. Les traités, la jurisprudence, les législations se sont enrichis de dispositions permettant ou imposant une action communautaire dans le domaine de la sécurité des personnes et des biens. Bien plus, nous sommes bien loin de la teneur en phtalates des articles de puériculture, c’est désormais de lutte contre le terrorisme, de coopération en matière de renseignements qu’il s’agit.

A l’heure du village global, les risques n’apparaissent plus comme circonscrits au niveau local ou national et de ce fait ils n’en apparaissent que plus redoutables. Ces risques apparaissent comme pouvant se propager à l’ensemble de la planète qu’il s’agisse d’une pandémie éventuelle ou du terrorisme. Les citoyens sont frappés, hors de toute proportion, par la fragilité de nos sociétés et l’actualité se charge de leur rappeler au quotidien. D’où une demande accrue de protection et des exigences de garanties sur ce qu’ils ont dans leur assiette ou l’air qu’ils respirent ou dans leur mode transport etc… Or confrontés à des menaces globales et mouvantes les Etats isolés ne peuvent faire face et ne sont plus en mesure de répondre aux  besoins de sécurité de leurs concitoyens. Jusqu’à présent une institution comme le Parlement européen a su résister aux excès de ces demandes pour introduire un peu plus de principes de proportionnalité et dans certains de ses votes, il est apparu en décalage par rapport aux expressions nationales, en tout cas son approche s’est développée sans trop porter atteinte à la valeur fondamentale de la liberté et du respect des droits fondamentaux. Il est symptomatique que le groupe politique le plus représenté au Parlement européen, le PPE, ait retenu pour les dernières élections le slogan de « l’Europe qui protège », son prolongement national français, l’UMP, ayant préféré retenir le slogan «  quand l’Europe veut, elle peut », slogan infiniment plus mobilisateur.

L’Union européenne n’a pas la solution miracle, instantanée à l’ensemble des problèmes de sécurité qui se posent à nos sociétés, mais elle est la seule entité aujourd’hui en mesure d’y faire face avec efficacité, cohérence et réalisme.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cette publication a un commentaire

  1. Marc

    Ce dont j’ai le plus peur en Europe, c’est du conflit d’intérêt qui guette les décideurs. Je viens de lire cet article sur le site : http://dessousdebruxelles.ellynn.fr/spip.php?article102
    c’est terrifiant!
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    C est un point de vue.

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