Hadopi : au lendemain du débat au Parlement européen sur Acta, premières études sur son efficacité et première publication des décrets d’application.

La fureur du débat concernant Acta retentit encore aux oreilles que les premiers décrets d’application sont publiés : ils confient au privé la surveillance du Web. De premières études (des chercheurs de l’Université de Rennes-1) sont publiées : elles confirment le scepticisme sur l’efficacité de la Loi. Les internautes ont rapidement su s’adapter.

Une étude récente du laboratoire de recherches M@rsouin, http://www.marsouin.org/spip.php?article345

basée sur les résultats d’une enquête par téléphone auprès de 2 000 personnes, réalisée en Bretagne par téléphone fin 2009. Les chercheurs ont constaté que le vote de la loi, qui ne devrait entrer en application que mi-2010, a d’ores et déjà eu un impact sur le comportement des téléchargeurs, mais les premiers résultats ne correspondent aux attentes du gouvernement. Les internautes  se tournent de plus en plus vers des systèmes d’échange de fichiers plus difficilement contrôlables que les réseaux peer-to-peer. Ce sont ces derniers qui sont visés en priorité par l’Hadopi. Parmi les personnes interrogées, 15 % affirment avoir cessé de télécharger sur ces réseaux, mais dans le même temps, les utilisateurs d’autres méthodes de téléchargement illégal (téléchargement direct, newsgroups…) augmentent dans des proportions similaires. Peut-on pour autant en déduire que l’effet dissuasif de la loi est nul ? C’est prématuré. Si les anti-Hadopi estiment, en se basant sur un chiffre de l’étude, qu' »Hadopi a fait augmenter le piratage », une partie des données analysées ne sont pas statistiquement significatives. En additionnant les chiffres, les chercheurs du M@rsouin aboutissent bien à une augmentation de 3 % du nombre de personnes déclarant télécharger illégalement, mais ce pourcentage est calculé à partir d’une sous-partie de l’échantillon et ne représente que six personnes. « Ce chiffre de 3 % est peu significatif statistiquement, reconnaît Sylvain Dejean, l’un des auteurs de l’étude. D’ailleurs il ne figure pas dans les principales conclusions de l’étude. En revanche, nous avons constaté une hausse de 27 % de l’utilisation des modes de téléchargement autres que le peer-to-peer : c’est une tendance nette et statistiquement significative. » Une conclusion corroborée par d’autres indices indirects, comme l’augmentation des recherches sur Google pour des services de téléchargement direct. Le M@rsouin note que pour l’instant, seuls 15 % des utilisateurs de réseaux peer-to-peer ont cessé de le faire, sachant qu’une partie d’entre eux s’est tournée vers d’autres moyens de téléchargement (les deux tiers d’après l’enquête, mais là encore l’échantillon est peu significatif statistiquement). Les défenseurs de la loi notent de leur côté que l’Hadopi n’étant pas encore en place, il est beaucoup trop tôt pour tenter de tirer des conclusions sur l’efficacité de la loi. Une objection soulevée notamment par David El Sayeg, le secrétaire général du SNEP, qui regroupe les principales maisons de disques, dans une interview au site Electron Libre. »Il est avéré que le marché du numérique se développe de manière significative dans les pays qui ont mis en place une législation destinée à lutter contre le piratage sur Internet », martèle M. El Sayegh, qui note qu’en Suède, où un équivalent de l’Hadopi a été mis en place en avril 2009, le marché de la musique numérique a augmenté de 98 % l’année dernière. Mais la corrélation avec la mise en place de la riposte graduée n’est pas évidente. Le téléchargement payant a progressé, mais ce sont les services de streaming légal  qui ont le plus contribué à la hausse : leur part dans les revenus de la musique numérique est passée de 17 % à 46,1 % des revenus. Dans le cas suédois, une partie de la hausse des revenus de l’industrie musicale est donc liée au développement d’une offre payante attractive, et ne peut s’expliquer seulement par une baisse du téléchargement illégal. C’est de l’eau au moulin de ceux qui pensent que la bonne approche ne doit pas être répressive mais favoriser le développement d’une offre légale et attractive, approche à laquelle le gouvernement français n’a pas renoncé. De même, l’impact de la riposte graduée suédoise sur le téléchargement illégal est moins clair que ne l’affirment les éditeurs. En avril 2009, lors de la mise en place de la loi, le trafic Internet du pays a connu une brusque chute de volume, vraisemblablement liée à une réduction du trafic peer-to-peer, gros consommateur de bande passante. Mais sept mois plus tard, le trafic avait atteint à nouveau son niveau d’avant avril, et poursuit depuis sa croissance. Lors des débats sur la loi Hadopi en France, la majorité avait mis en avant le caractère « didactique » de la riposte graduée, estimant que la peur de la sanction aurait un impact important sur les comportements à moyen terme. S’il faudra effectivement attendre la mise en place de la Haute Autorité pour avoir des éléments de bilan, l’exemple suédois et l’étude du M@rsouin tendent à montrer que l’impact pourrait être plus faible que ce qu’espèrent les partisans de l’Hadopi. Mais font remarquer les défenseurs de Hadopi,  la Haute Autorité n’est pas encore opérationnelle et la loi ne s’arrête pas au » peer-to-peer. » Reste que ces sites, innombrables et souvent hébergés à l’étranger, sont plus difficiles à surveiller.

La publication des premiers décrets d’application fait surgir une nouvelle polémique : la police du Web serait confiée à des « sociétés privées » ! La Hadopi exige des sociétés d’auteurs qu’elles lui fournissent les adresses IP des contrevenants, mais ne sera pas plus directement responsable de cette mission que les représentants des ayants droitLe nantais Trident Media Guard (TMG) a ainsi été retenu par l’Association de lutte contre le piratage audiovisuel (ALPA), qui réunit diverses institutions publiques comme le Centre national du cinéma, et sociétés privées de droits d’auteurs comme la Sacem ou la SACD. Cette délégation au privé provoque un débat qui ne va pas s’éteindre rapidement et spontanément. La sous-traitance technique à des sociétés privées dérange beaucoup plus que si les sociétés d’auteurs s’en occupaient. La chasse aux pirates sera automatisée grâce à des bases de données constituées par les sociétés d’auteurs. Dans ces listes se trouvent les oeuvres les plus populaires et les nouveautés. En musique, 10 000 oeuvres sont concernées. Pour les films ou les séries télévisées, la procédure est similaire : 50 oeuvres concentrent presque tous les téléchargements. La liste sera régulièrement actualisée. Tous les détails de la mise en oeuvre technique ne sont pas encore connus. Rappelons  que la loi prévoit que l’adresse IP de l’utilisateur repéré sera communiquée à l’Hadopi. Les sociétés d’auteurs entendent envoyer à la Haute Autorité 50 000 adresses chaque jour, dont 25 000 concernant des téléchargements de musique. Ensuite, la Hadopi pourra demander aux fournisseurs d’accès à Internet de transmettre aux abonnés contrevenants des messages d’avertissement. Le décret publié le 7 mars précise que le nom et l’adresse physique de l’abonné ne seront révélés qu’après cette étape. Les sociétés d’auteurs et leurs sous-traitants ne devraient donc manipuler que l’adresse IP, les titres des oeuvres concernées, la date et l’heure des faits, mais aucune donnée nominative. Les informations collectées ne pourront être conservées que vingt mois maximum après l’envoi du deuxième avertissement, sous forme de lettre recommandée. Si l’internaute est repéré une troisième fois avant la fin de ce délai, une sanction pénale de suspension de l’abonnement à Internet pourra être décidée par le juge. Vingt mois, on peut prévoir que le contrôleur européen des données, le G29 et les autorités européennes estimeront que c’est beaucoup trop, conformément à leurs pratiques habituelles.La validité de l’adresse IP comme preuve est toutefois incertaine. Elle identifie un ordinateur et non une personne.

Un nouveau feuilleton vient de s’ouvrir…à suivre ! Mais sans aucun doute le dénouement de l’intrigue nous mènera inévitablement à Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg, sièges des institutions européennes : Parlement européen, Conseil, Commission, Cour de justice.

Texte du décret d’application http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021923996&fastPos=1&fastReqId=1906723854&categorieLien=id&oldAction=rechTexte#JORFARTI000021924003

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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