Voile intégral (burqa), le Conseil d’Etat français estime que son interdiction générale serait juridiquement menacée…La loi ne peut tout : éducation, information, pédagogie, une bonne politique d’intégration peut plus ! Et la Belgique ?

Complément d’un billet précédent

Le Conseil d’état a remis, mardi 30 mars, au premier ministre son étude sur la possibilité juridique d’interdiction du port du voile intégral. La plus haute juridiction administrative affirme qu’une interdiction générale du voile intégral serait soumise « à de fortes incertitudes juridiques ». Elle estime néanmoins qu’il est possible, au nom du maintien de l’ordre public, d’interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Le Conseil d’Etat rejette l’interdiction générale du voile intégral en multipliant dans son rapport des mots comme : »sérieux risques », « fortes incertitudes », « fragilité ». Le Conseil d’Etat rejette en termes prudents l’hypothèse d’une interdiction générale et absolue du port du voile intégral en France. Ce dispositif ne « pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable », assurent les sages dans l’avis qu’ils ont remis mardi 30mars à François Fillon.

-. Résumé du rapport

Contexte : le discours du gouvernement sur le voile intégral vise à contrer le Front national  et l’UMP se prononce en bloc et avec vigueur pour l’interdiction totale du voile intégral . Le premier ministre, François Fillon veut aller « le plus loin possible sur la voie de l’interdiction’ du voile intégrale. Il apparait une fois de plus qu’il est difficile de lutter contre le communautarisme par la loi, réduire le port du voile intégral par la pédagogie, l’information est une voie plus lente, mais plus sûre que la sanction, c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle le Conseil recommande chaque fois que cela est possible « la médiation sociale ».

Si le rapport  exclut une prohibition sur la voie publique, il  suggère de « sécuriser » les nombreux textes épars qui interdisent déjà « la dissimulation du visage », d’étendre les possibilités d’interdiction « dans des circonstances particulières de temps et de lieux » et, surtout, de recourir à une loi pour rendre cette interdiction permanente « dans les services publics qui nécessitent des vérifications relatives à l’identité ou à l’âge ». « Il faut qu’on sorte du clair-obscur », estime-t-on au Conseil d’Etat. Une grande marge de manœuvre est toutefois laissée au législateur, en ce qui concerne l’un des aspects les plus épineux de ce dossier, à savoir la définition des lieux où, au-delà des services publics, s’appliquerait l’interdiction : les transports, les commerces et les lieux privés accueillant du public. L’ampleur de cette liste donnera le degré de prohibition que les pouvoirs publics souhaitent donner à cette pratique. En termes de sanction, le Conseil d’Etat a préféré une nouvelle peine, « l’injonction de médiation sociale », à la seule fixation d’une amende. « Une question d’efficacité et de pédagogie », souligne-t-on, au Conseil d’Etat où l’on se montre soucieux de « ne pas provoquer de réactions disproportionnées par rapport au phénomène que l’on souhaite résorber », lequel phénomène reste pour l’instant limité  à un peu plus de 2000 cas..

« Les mesures préconisées auront une forte portée dissuasive car elles rendront la vie quotidienne de ces femmes plus difficiles. L’idée est d’arriver à un processus d’extinction du phénomène, comme cela s’est produit dans les établissements scolaires avec la loi de 2004 », qui y interdit le port du foulard islamique. Après deux mois de réflexion, le Conseil d’Etat conclut que « seule la sécurité publique et l’exigence de lutte contre la fraude » fondent une interdiction juridiquement solide « mais uniquement dans des circonstances particulières en temps et en lieux ».

Le Conseil d’Etat a repoussé le principe de laïcité comme fondement possible, le port du voile intégral n’étant pas une prescription religieuse: la laïcité s’impose aux institutions et aux agents publics et non pas à la société ou aux individus, sauf exception (établissements scolaires), précise le rapport. La protection de la dignité de la personne humaine s’est heurtée au « principe d’autonomie personnelle ». Tout comme le principe d’égalité, il ne peut en outre être invoqué pour des personnes qui choisissent de porter le voile intégral. Les sages envisagent de « confier au préfet un pouvoir de police spéciale susceptible d’être exercé en tout lieu ouvert au public, dès lors que la sauvegarde de l’ordre public l’exige, par exemple pour l’accès aux banques, aux bijouteries ou pour des rencontres sportives, des conférences internationales… » Par ailleurs, une loi, qui constituerait « un cadre de référence permettant d’affirmer des principes de comportements clairs à l’attention de nombreux responsables (publics et privés) », pourrait décider d’une obligation permanente dans le cas où une reconnaissance de la personne est exigée, « pour entrer et circuler dans certains lieux et obtenir des biens et des services ». Le Conseil d’Etat évoque les tribunaux, les bureaux de vote, les mairies, la remise des enfants à la sortie de l’école, les lieux où sont délivrées des prestations médicales ou hospitalières, le déroulement de concours ou d’examens, y compris dans les universités. Ils évoquent aussi des lieux soumis à des interdictions liées à l’âge (cinémas, débits de boisson, boîtes de nuit…) ou qui nécessitent une identification liée aux moyens de paiement.

Quant aux sanctions, le Conseil d’Etat propose la création d’une injonction de médiation sociale pour les femmes portant le voile intégral, assortie d’une amende si l’injonction n’est pas respectée. Pour les instigateurs qui obligent une personne à dissimuler son visage, un délit est institué, puni d’une peine de prison et d’une amende. Une injonction de médiation sociale est aussi prévue.

Conclusion provisoire en attendant de pouvoir vérifier, par la comparaison des résultats, les mérites respectifs de l’approche retenue par la Belgique (cf. autre article) et les choix français : la loi ne peut pas tout ! Il lui est difficile d’arrêter  des mesures incontestables, le terrain ne s’y prête manifestement pas. Dans nos démocraties l’Etat ne peut juger la valeur d’une pratique, d’une opinion, d’une tradition ou des valeurs religieuses. Dans ce domaine si on doit encadrer l’exercice de ces libertés touchant le religieux, cet encadrement doit être le plus limité possible et en s’appuyant sur des impératifs supérieurs. La Cour européenne des droits de l’homme ne permet pas l’adoption de mesures d’ordre général concernant l’interdit de vêtements à résonnance religieuse. Alors en quoi porter le voile intégral serait-il une atteinte à la dignité de la femme en dehors de toute pression familiale ou matrimoniale ?En effet seule une contrainte imposée serait passible d’être condamnée, mais sur ce plan , les lois existent pour lutter contre de telles pratiques. La loi « burqa » s’adresserait-elle donc aux seules  femmes qui ont choisi librement et de façon éclairée ( ?) de porter le voile intégral ? Comment démontrer de façon irréfutable qu’il y a atteinte à la dignité de la personne ? Par bien des aspects on pourrait assimiler le port de la burqa à une dérive sectaire, mais sur ce plan les jugements en la matière varient d’un pays à l’autre le sort, varié lui aussi,  réservé à l’église de la scientologie est illustratif à cet égard. Il restera alors seulement la possibilité d’interdire la burqa pour des raisons d’ordre public, de sécurité, de lutte contre le crime ou la fraude. On est bien loin du problème que l’on voulait traiter à l’origine. Mais quel est ce problèmeoriginel, posons nous la question. Le radicalisme religieux pouvant dans les cas extrêmes confiner à la lutte antiterroriste ? une identité islamique trop fortement marquée et trop fortement proclamée ? La réponse est difficile à apporter, des lois existent pour contrecarrer les déviances en quoi sont-elles insuffisantes? Le Conseil d’Etat ne s’est pas risqué à apporter les réponses à bien des questions qui pourtant sont  d’ordre pratique, il s’en est remis aux législateurs pour définir les modalités et préciser les cas pratiques. Simplement il a précisé les grands risques que ferait courir une interdiction pure et simple, absolue. La Belgique semble, à ce stade, choisir la voie de l’interdiction pure etr simple. Seul l’avenir dira qui a fait le bon choix

-. Consulter le texte intégral de  l’étude http://www.conseil-etat.fr/cde/media/document/avis/etude_vi_30032010.pdf

-. Questions et réponses établies parle conseil d’Etat http://www.conseil-etat.fr/cde/media/document/avis/fiche_questions_complete.pdf

-. Synthèse établie par le Conseil d’Etat http://www.conseil-etat.fr/cde/node.php?articleid=2000

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire