Mosquée « Ground Zero » : un dialogue interreligieux difficile, compliqué.

La construction de la mosquée de « Ground Zero » crée la polémique jusque dans les rangs des musulmans américains. Preuve supplémentaire que l’intervention de Barack Obama n’a pas refermé la boîte de Pandore, ni éteint la polémique, malgré des explications raisonnables : il n’est pas interdit (en droit) de construire la mosquée, mais cela ne veut pas dire que ce soit sage, opportun, judicieux a-t-il argumenté.

L’enquête d’opinion menée par Pew Research Center  http://pewresearch.org/pubs/1701/poll-obama-muslim-christian-church-out-of-politics-political-leaders-religious est tombée malencontreusement pour relancer la polémique déjà ancienne sur le fait qu’il est musulman et qu’il n’est pas né américain http://voices.washingtonpost.com/44/2010/08/lawmakers-who-push-the-birther.html?wpisrc=nl_pmpolitics . Le nombre d’américains croyant de telles sornettes ne fait que grandir indique l’enquête du Pew Research Center.

Certains le jugent inutilement provocateur à l’heure où l’islam cherche à se faire accepter aux Etats-Unis ou qu’il méprise la douleur des victimes des attentats du 11-Septembre. La construction de ce qui devait être, au départ, une simple mosquée locale s’est transformée en une véritable confrontation nationale, qui divise également les communautés musulmanes dans tous les Etats-Unis. Le projet a relancé le débat sur la tolérance religieuse et les valeurs de la société américaine, et ravivé la douleur des attentats.

Cette polémique fait perdre de vue le fait que nulle part ailleurs la communauté musulmane n’est mieux intégrée : elle a un niveau de vie supérieur à la moyenne. L’enquête du Pew Research Center d’il y a trois ans l’a démontré amplement http://pewresearch.org/assets/pdf/muslim-americans.pdf

La communauté musulmane  a multiplié les déclarations de loyauté à l’égard de la nation et du gouvernement américain et organisé des manifestations importantes rapportées par la presse internationale, il y a quelques mois.

Mais on ne peut perdre de vue que « pour la plupart des Américains, le 11-Septembre reste une plaie ouverte et tout ce qui est associé à l’islam, même pour les Américains qui comprennent l’islam -comme avoir autant de publicité autour d’un centre islamique-, c’est comme remuer le couteau dans la plaie », estime Akbar Ahmed, professeur d’études islamiques à l’Université américaine. Tel qu’il est actuellement présenté, le projet Park51, d’un montant de 100 millions de dollars (78 millions d’euros), comportera une mosquée, une piscine, une salle de sports, un auditorium de 500 places et un monument à la mémoire des victimes du 11 septembre 2001. Le tout à deux rues du site du World Trade Center. Pour Akbar Ahmed, ancien ambassadeur du Pakistan en Grande-Bretagne, il devrait également inclure une synagogue et une église, afin de prouver son caractère oecuménique.

Abdul Cader Asmal, ancien président du Conseil islamique de Nouvelle-Angleterre, une organisation regroupant une petite vingtaine de centres islamiques, pense pour sa part que les promoteurs devraient réduire l’ampleur du projet et construire seulement une mosquée, même si la loi leur permet de bâtir ce qu’ils souhaitent. « Gagner devant un tribunal ne va pas aider à améliorer l’image des musulmans dans le pays », estime-t-il. « Il faut gagner le coeur et l’esprit des Américains ordinaires ».Asra Nomani, avocate des droits de la femme dans le monde musulman, soutient la construction d’une mosquée, mais pense que le projet devrait être délocalisé par respect de la douleur des familles de victimes du 11-Septembre. « Je ne peux pas soutenir la construction d’une mosquée à l’endroit qu’ils ont choisi », dit-elle. Le projet Park51 est porté par l’imam Feisal Abdul Rauf et son épouse Daisy Khan, connus pour leur volonté de dialogue avec les autres religions à New York. Mais la stratégie de communication choisie par le couple fait également grincer quelques dents: actuellement à l’étranger pour une série de conférences, Rauf ne s’est pas publiquement exprimé face aux Américains, laissant l’espace médiatique à sa femme et au promoteur Sharif el-Gamal de la société SoHo Properties, propriétaire de l’immeuble. « L’absence de Feisal Rauf est énervante », souligne ainsi l’écrivain américain musulman Aziz Poonawalla, favorable à Park51, sur le blog ordinary-gentlement.com. « Je suis capable de défendre Rauf contre certaines des accusations portées contre lui, mais je n’ai pas envie de faire son porteur d’eau pendant qu’il se ballade autour du monde ». Autre crainte de certains musulmans américains, la possibilité que le centre tombe entre des mains plus radicales quand Feisal Abdul Rauf et Daisy Khan se retireront. Pour Asra Nomani, les musulmans américains doivent ainsi accepter l’existence d’un courant extrémiste dans l’islam, et donc la possibilité que des imams radicaux prennent un jour le contrôle de Park51. « Oui, il y a un a priori contre les musulmans aujourd’hui, mais les musulmans ont aussi aujourd’hui un problème extrémiste », confie-t-elle. A ce titre, les promoteurs du centre ne doivent pas seulement se revendiquer modérés, estime Tawfik Hamid, universitaire égyptien en poste à l’Institut d’études politiques Potomac. Ils doivent rejeter « de manière claire et sans ambiguïté » certaines pratiques radicales telles que le meurtre d’apostats, la lapidation des femmes adultère ou encore la guerre sainte contre les non-musulmans. « A mon avis, cela serait perçu par les radicaux de l’islam comme une défaite de leur idéologie », souligne-t-il.

Le Washington Post fait le point http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/08/19/AR2010081906580_3.html?wpisrc=nl_pmheadline&sid=ST2010081906612

A ce stade on peut s’interroger comme le font certains analystes américains si le président ne devrait pas montrer de façon beaucoup plus ostensible sa pratique religieuse.

Obama prie mais discrètement…La Maison Blanche n’est pas restée indifférente au sondage choc de la semaine selon lequel 18% des Américains pensent qu’Obama est musulman même si c’est manifestement faux. Si la religiosité de Barack Obama manque parfois de visibilité, c’est parce qu’il pratique souvent sa foi… au téléphone, a fait savoir la présidence. Début août, alors qu’il se rendait à Chicago en avion pour fêter son 49ème anniversaire, Obama a ainsi demandé à trois pasteurs de prier avec lui, par conférence téléphonique, a raconté l’un d’eux, Joel Hunter, pasteur à Orlando qui avait déjà conseillé George W. Bush. Avec eux, Obama a passé en revue l’année écoulée, évoqué « ce qui compte vraiment dans la vie » et « les défis à venir », rapporte le Washington Post http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/08/19/AR2010081906659.html

, qui a interrogé le pasteur Hunter. Le porte-parole adjoint de la Maison Blanche, Bill Burton, a aussi assuré jeudi que Barack Obama est tout ce qu’il y a de plus dévot : « Il prie tous les jours. Pas un jour ne passe sans qu’il ne communique avec ses conseillers religieux. Il a un groupe de pasteurs qu’il consulte régulièrement. Sa foi est très importante pour lui, même si ce n’est pas un sujet dont on parle tous les jours ». Obama a déçu  en ne s’affiliant pas à une église depuis qu’il est installé à Washington, comme il avait d’abord promis de le faire. Après quelques visites dans différentes communautés de la capitale, les Obama ont déclaré que leur présence à l’office était « trop perturbante ». Au printemps dernier, Barack Obama a annoncé qu’il renonçait à rejoindre une communauté de Washington et préfèrerait se recueillir en privé, en lisant des prières sur son Blackberry ou visitant de temps en temps la chapelle privée de Camp David. La conséquence de cette spiritualité virtuelle ou à distance, comme le souligne Josh Gerstein de Politico http://www.politico.com/news/stories/0810/41265.html , est toutefois qu’on le voit plus souvent sur les terrain de golf le dimanche qu’à l’église. Comme le dit le stratège démocrate Paul Begala, tout cela importerait sans doute moins si l’économie américaine allait mieux. « Il pourrait être druide si seulement nous créions des emplois » plaisante Begala. En taxant Obama de « musulman », un certain nombre d’Américains suggèreraient plutôt qu’il est étranger à leurs problèmes.

Mais les excès trouvent en eux-mêmes leurs limites, à preuve, le peu de succès rencontré à New-York par les manifestations des deux camps opposés, le dimanche 22 août. Des centaines d’opposant ont scandé : « pas de mosquée, tous les musulmans ne sont pas terroristes, mais tous les terroristes sont musulmans, n’oubliez pas le 11 septembre…quand pourrons-nous consturire des églises ou des synagogue à la Mecque ? ». Au coin de la rue, les partisans du centre ont scandé « Peu importe ce que les bigots disent, la liberté religieuse n’est pas près de disparaître. » Parmi eux, Ali Akram, un médecin new-yorkais. « Les gens qui disent que la mosquée est trop proche de Ground Zero, ce sont les mêmes qui protestent contre les mosquées à Brooklyn, à Staten Island, dans le Tennessee, le Wisconsin et en Californie. Jusqu’où vont-ils aller ? C’est sans fin », a-t-il dit. Si les esprits étaient échauffés, les manifestations se sont déroulées sans incident et aucune violence n’a éclaté entre les deux camps, séparés de plusieurs blocs d’immeubles par la police, chacun des camps ne rassemblant guère plus de 1000 personnes. D’autres projets que  celui du « Ground Zero » existent et ils se heurtent aux mêmes difficultés et le Washington Post s’inquiète : cet épisode du « Ground Zéro »  ne va-t-il pas avoir pour conséquence une résurgence du sentiment anti musulman ? http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/08/22/AR2010082202895.html?wpisrc=nl_headline

Les  derniers sondages du Pew Research Center montrent une légère dégradation des opinions favorables concernant l’Islam sans pour autant apporter un bouleversement par rapport aux sondages antérieurs, notamment celui de 2005  http://pewresearch.org/pubs/1706/poll-americans-views-of-muslims-object-to-new-york-islamic-center-islam-violence

http://pewresearch.org/pubs/1710/blogs-new-york-mosque-obama-muslim

Bien évidemment les républicains sont plus attentifs à suivre les péripéties de l’affaire que ne le sont les démocrates http://pewresearch.org/pubs/1708/more-republicans-than-democrats-independents-track-mosque-story

Concernant le projet de mosquée l’opinion est plus hostile à l’égard des partisans du projet tant elle craint des dérives, qu’est ne l’est, à proprement parler, à l’encontre du projet lui-même.

Tout cela montre que le dialogue interreligieux n’est pas facile, même s’il doit être encouragé car il est loin d’être totalement impossible ou infructueux. Mais sur ce point les communautés sont divisées en leur sein. On voit que la communauté musulmane américaine est divisée sur la construction de la mosquée sur « Ground Zero », mais la communauté chrétienne l’est manifestement entre les deux rives de l’atlantique. Au nom de la liberté religieuse on ne pourrait interdire le port de la burqa aux Etats-Unis, en Europe l’opinion publique  est favorable à son interdiction. Les reproches de tiédeur ou de discrétion à l’égard du président Obama dans sa pratique religieuse est difficilement imaginable en Europe et littéralement impossible en France. Chacun se souviendra que le général de Gaulle dont l’éducation, les convictions et la pratique étaient bien connues de ses concitoyens, s’en tenait à une neutralité scrupuleuse dans leurs manifestations publiques. La petite histoire a retenu qu’en voyage officiel en Pologne et assistant à une messe protocolaire et publique, l’évêque lui avait présenté l’hostie de la communion qu’il n’a pu refuser, mais après la messe il a reproché fortement à son épouse ( à la bigoterie proverbiale pour les français) d’avoir comploté avec le clergé et lui avait rappelé sa position, bien connue, de stricte neutralité laïque et républicaine. Comme disait Pascal : vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà…

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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