ACTA : c’est fait ? La déclaration commune des parties à la négociation le laisse clairement entendre. Mais des interrogations surgissent : la Chine, la communauté universitaire américaine, l’office européen des brevets. Une députée européenne pose des questions. Prochaines étapes adoption par la Commission, le Conseil et…le Parlement européen.

Cette fois, c’est l’office américain des brevets qui pose la question de savoir si l’ACTA est compatible avec ses propres lois nationales. Certains spécialistes estiment en effet que le traité pourrait entrer en conflit avec la vague de réformes menée sur le régime des brevets aux Etats-Unis. En effet, l’architecture actuellement proposée vise à réduire les dommages et intérêts en cas de violation de brevet. De même, la Justice américaine tente plutôt de trouver un terrain d’entente entre firmes. Ce sont pas moins de 75 professeurs, universitaires en droit américains qui auraient adressé une lettre au président Obama. Ils demandent ainsi aux Etats-Unis de quitter la table des négociations en invoquant alors le manque de transparence ou une éventuelle inconstitutionnalité des règles édictées.

Enfin, même la Chine commence à considérer plutôt nerveusement toute nouvelle avancée de l’ACTA. Le site « insidetrade » dévoile que le pays estimerait que le traité va, sur certaines mesures, à l’encontre de l’OMC. L’Inde et Brésil pourraient également prendre leurs distances…

La députée européenne, Françoise Castex, qui a mené la fronde appuyée par de nombreux collègues (cf. Nea say) s’interroge et pose une question à la Commission européenne. L’ACTA sera-t-il un accord contraignant ou volontaire ? Quelle sera la portée réelle de l’accord commercial anti-contrefaçon lorsqu’il sera définitivement finalisé ? Les inquiétudes de l’eurodéputée portent en particulier sur l’article 1.2 de l’ACTA, intitulé « nature et portée des obligations ». En effet, le document actuel indique que « chaque partie est libre de déterminer la méthode appropriée permettant l’intégration des dispositions de cet accord dans son propre système juridique ». Est-ce à dire que l’ACTA ne serait pas nécessairement obligatoire, notamment au sein de l’Union européenne ?

C’est la question que soulève Françoise Castex dans sa demande. « La Commission européenne pourrait-elle préciser dans quelle mesure l’ACTA est un accord contraignant ou volontaire, étant donné que les États-Unis ne semblent pas croire que leur législation doit être conforme à l’ACTA ? Cela peut-il être interprété comme une possibilité pour un pays membre de l’Union européenne de ne pas modifier tout ou partie de sa législation qui ne serait pas conforme avec l’ACTA ? » À supposer que l’ACTA n’est contraignant ni pour les États-Unis ni pour l’Union européenne, l’eurodéputée se demande si le projet d’accord international n’est finalement qu’un document de référence destiné pour les autres pays qui négocient des traités commerciaux de libre-échange avec l’Union européenne. Autant d’interrogations auxquelles la Commission européenne devra répondre.

La Quadrature du Net, militant vigilant anti-Acta, rappelle ses critiques : « accord ringard » qui nous ramène vingt ans en arrière, contourne les organisations internationales légitimes et compromet le développement économique et social http://www.laquadrature.net/fr/acta-un-accord-ringard-qui-doit-etre-rejete . La Quadrature du Net rappelle son analyse en date du 12 octobre dernier http://www.laquadrature.net/fr/la-version-finale-de-lacta-doit-etre-rejetee

Dans un communiqué en date du 20 octobre la Commission a rappelé l’historique d’une négociation qui a débuté en juin 2008 et les principaux acquis de la négociation. Prochaines étapes adoption par la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen. Ce sont les arguments développés à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois par le Commissaire  de Gucht devant les commissions du Parlement (INTA et LIBE par exemple) ou en plénière.

      Objectif et contexte de l’accord

Les négociations sur l’ACTA ont été lancées en juin 2008, à partir d’un concept introduit par le Japon lors de la préparation du sommet du G8 de 2006, puis approuvé par les États-Unis. Onze cycles de négociations ont eu lieu. Les droits de propriété intellectuelle (DPI) représentent un atout clé de l’UE, garantissant son rôle de moteur dans «l’économie de la connaissance». L’UE ne peut rester compétitive que grâce à l’innovation, à la créativité, à la qualité et à l’exclusivité des marques. Ces aspects font partie de nos principaux avantages comparatifs sur le marché mondial, et tous sont protégés par des droits de propriété intellectuelle. Pourtant, les moyens dont nous disposons à ce jour pour faire respecter ces droits de manière adéquate sur nos principaux marchés d’exportation sont limités.

C’est sur ce point que l’ACTA peut être utile. Il vise en effet à créer un premier cadre international global – un catalogue de «pratiques exemplaires» – qui aidera ses membres à lutter efficacement contre les atteintes aux DPI. Ces atteintes nuisent au commerce légitime, à la compétitivité de l’UE et aux emplois. L’ACTA introduira une nouvelle norme internationale, fondée sur l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce, adopté en 1994.

Il comprendra de nouvelles dispositions sur le respect des droits de propriété intellectuelle, notamment:

– des mesures civiles,

– des mesures pénales,

– des mesures douanières,

– des mesures de respect des droits sur internet,

– des mécanismes de coopération solides entre les parties à l’ACTA pour les aider dans leurs efforts d’application des dispositions, et

– l’établissement de pratiques exemplaires pour une application efficace des DPI.

Impact sur la législation de l’UE

L’ACTA ne modifiera pas le corpus législatif de l’UE dans la mesure où celui-ci est déjà beaucoup plus développé que les normes internationales actuelles. La législation européenne visant à assurer le respect des DPI comprend notamment:

– la directive relative au respect des DPI2;

– le règlement relatif aux mesures douanières assurant le respect des DPI3,

– la directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information4,

– la directive relative au commerce électronique5,

– les directives sur la protection des données6,

– le paquet de réformes des télécommunications de 2009, y compris le cadre réglementaire des communications électroniques7.

L’ACTA fixera uniquement les modalités permettant aux entreprises et aux individus de faire respecter leurs droits devant les tribunaux, aux frontières ou via l’internet. Il ne créera pas de nouveaux DPI et ne définira pas non plus leur acquisition, leur durée, le champ de leur protection ou encore leur enregistrement. Les pays parties à l’ACTA assureront le respect des droits tels qu’ils ont été définis au niveau national.

Aspects positifs de l’ACTA

L’ACTA est essentiel pour tous les exportateurs de l’UE qui sont détenteurs de DPI et exercent leurs activités à l’échelle mondiale. Actuellement, nombre d’entre eux sont victimes de violations systématiques et généralisées de leurs droits d’auteur, marques, brevets, dessins et indications géographiques.

L’ACTA améliorera la coopération entre les autorités et donc l’intensité et l’efficacité de la réponse apportée à ce problème. Prenons par exemple un auteur qui voit son livre copié illicitement en dehors de l’UE ou une entreprise du secteur de la mode qui constate que les vêtements qu’elle vend font l’objet de contrefaçons: l’ACTA harmonisera les règles expliquant de quelle manière réagir dans un pareil cas. Tout détenteur d’un DPI8, du producteur de Chianti au propriétaire d’un logiciel de divertissement, pourra plus facilement recourir à la justice, aux douanes et à la police pour faire respecter ses droits face aux contrefacteurs ou aux contrevenants. Les détenteurs de droits pourront s’appuyer sur des règles largement communes et efficaces pour le traitement de leur plainte. L’accord ne concerne pas uniquement les mesures qu’ils sont en droit d’attendre des autorités, mais également toute une série de questions pratiques, notamment: quelle protection urgente un détenteur de droits peut-il obtenir, quels sont les types de preuves à recueillir et à conserver, qu’adviendra-t-il des marchandises contrefaites, une fois saisies?

S’agissant de l’internet, l’ACTA comporte même une nouveauté. Le World Wide Web (toile mondiale) constitue le marché le plus vaste et le plus ouvert pour la musique, les films, les livres et les logiciels, mais également pour des millions de marchandises contrefaites. Jusqu’à présent, il n’existait quasiment aucune norme internationale visant à réprimer les infractions en la matière, car à l’époque où l’accord sur les ADPIC a été conclu, l’internet n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements. L’ACTA, pour la première fois, crée un niveau minimal d’harmonisation et de transparence des règles applicables à ces infractions. En résumé: l’ACTA représente un accord équilibré, qui répond aux préoccupations exprimées par les députés européens, les organisations non gouvernementales et les autres parties prenantes en ce qui concerne notamment les questions suivantes:

– Le respect des droits fondamentaux, tels que le droit à la protection des renseignements personnels et le droit à la protection des données – par exemple, l’article 1.4 sur la vie privée et la divulgation des renseignements commerciaux dispose ainsi: «Aucune disposition du présent Accord n’obligera une Partie à communiquer: … des renseignements dont la communication serait contraire aux accords internationaux auxquels elle est partie, y compris aux lois qui protègent le droit à la protection des renseignements personnels». L’article 2.18 sur la protection dans l’environnement numérique souligne l’importance de «préserve[r] les principes fondamentaux comme la liberté d’expression, le droit à un processus équitable et le droit à la protection des renseignements personnels».

– Le respect du rôle important joué par un internet libre et la sauvegarde du rôle des prestataires de services et des systèmes nationaux d’exceptions au droit d’auteur – figurant notamment dans le préambule: «Désirant s’attaquer au problème des atteintes aux droits de propriété intellectuelle […] et ce, d’une manière qui établit un équilibre entre les droits et les intérêts des détenteurs de droit, des prestataires de services et des utilisateurs concernés.» S’agissant des droits d’auteur, l’article 2.18/8 dispose: «Les obligations prévues aux paragraphes 5, 6 et 7 sont sans préjudice des droits, limitations, exceptions ou moyens de défenses reliés aux atteintes portées au droit d’auteur ou aux droits connexes prévus par la législation d’une Partie.»

– La sauvegarde de l’accès aux médicaments, y compris une référence à la déclaration de Doha et à l’article 7 de l’accord sur les ADPIC, l’exclusion explicite des contrefaçons de brevets des sections relatives aux mesures frontalières et aux procédures pénales (préambule et article 1.2/3)

– La sauvegarde de la «nécessité de contribuer à l’innovation technologique, au transfert de technologie, au bien-être socio-économique, à la protection de la santé, au développement», (clauses en faveur du développement, mises en évidence à l’article 1.2.3).

      -. Communiqué de presse http://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=659

      -. Texte de l’accord http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2010/november/tradoc_147002.pdf

      -. En savoir plus : le dossier complet de la Commission européenne http://ec.europa.eu/trade/creating-opportunities/trade-topics/intellectual-property/anti-counterfeiting/

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire