La France et l’Allemagne ont décidé, mardi 21 décembre, de bloquer ensemble pour des raisons de sécurité l’entrée à court terme de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen. Les ministres français et allemand de l’intérieur, Brice Hortefeux et Thomas de Maizière, ont informé par courrier la commissaire Cecilia Malmström de leur décision. Les deux ministres jugent « prématuré » d’autoriser l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen en mars 2011. Ils insistent sur les carences que ces deux pays ont montrées en matière de lutte anticorruption et de lutte contre la criminalité organisée. La Commission a rappelé n’avoir aucune influence sur cette décision, qui exige l’unanimité des gouvernements de l’UE. Les positions exprimées par Paris et Berlin signifient donc de facto le blocage de l’adhésion des deux candidats.
Le président roumain, Traian Basescu, a aussitôt dénoncé « un acte de discrimination » contre son pays. Les autorités bulgares ont pour leur part assuré de leur intention de tout faire pour « dissiper les doutes » de leurs partenaires de l’UE. La décision franco-allemande était attendue, inévitable même depuis les déclarations françaises l’été dernier au moment le plus intense de la controverse concernant les Roms et leur expulsion d’un certain nombre d’entre eux
Au-delà de leur décision concernant la Roumanie et la Bulgarie, les deux capitales entendent envoyer un message aux pays candidats à l’adhésion à l’UE. « Les chapitres sur la sécurité sont les plus difficiles à négocier avec les candidats », a reconnu mardi Mme Malmström. Paris justifie le raidissement de sa position par le risque « d’affaiblissement de la capacité de l’Europe à gérer et à contrôler ses flux migratoires ». « Si nous leur confions nos frontières, il est légitime que nous puissions avoir toutes les garanties pour que ces frontières soient bien gardées avec des douaniers en mesure d’exercer toute la vigilance que nous sommes en droit d’attendre », avait expliqué début décembre le ministre des affaires européennes français, Laurent Wauquiez. « Aujourd’hui cela n’est pas le cas », a-t-il affirmé.
Dans une interview donnée au journal le Figaro il a précisé sa pensée et détaillé les exigences françaises : «On ne procède pas à un élargissement pour faire plaisir à un pays. Mais parce qu’il est prêt.». La motivation essentielle est que certes les deux pays ont à terme vocation à rentrer dans l’espace Schengen. Mais il ne faut pas précipiter le mouvement qui affecterait la sécurité intérieure de la France. Deux problèmes non résolus au niveau européen : l’un touche la maîtrise des flux migratoires: 75% de l’immigration illégale en Europe passe par cette partie sud-est de l’UE. L’autre a trait à la criminalité organisée: trafic de stupéfiants et d’armes. La Roumanie a baissé de 40% les salaires de ses douaniers: ce n’est pas la meilleure garantie qu’ils soient totalement imperméables à la corruption…Par ailleurs un rapport de la Commission européenne souligne des faiblesses persistantes. Schengen fonctionne avec une base de données hypersensible. Si elle tombait entre les mains du crime organisé, ce serait une vraie faille dans notre dispositif de défense et de sécurité européen. Plus l’Europe montre sa capacité à assurer la protection de ses citoyens, plus grande sera l’adhésion de chacun au projet européen.
S’agit-il d’une forme déguisée de représailles suite à « l’affaire Rom » de l’été dernier ?Nullement la priorité du gouvernement français est d’améliorer la situation des Roms dans leur pays d’origine. Les deux pays entreront dans l’espace Schengen dès qu’ils apporteront la preuve qu’ils sont prêts et en apporteront la preuve indiscutable avec toutes les garanties : « si ces deux pays sont prêts dans un an, cela nous va. Mais s’ils ne sont prêts que dans trois ans, ce sera dans trois ans. » Par ailleurs le ministre a regretté que l’on ait progressé « à marche forcée », alors que tout le monde n’était pas prêt, sans doute pour des raisons politiques. Ce qui vaut pour l’espace Schengen vaut pour l’entrée dans l’Union. On ne procède pas à un élargissement pour faire plaisir à un pays. Mais parce qu’il est prêt.
La dérive autoritaire de la Hongrie (cf autre article sur les atteintes à la liberté de la presse) n’inquiète pas le gouvernement français car la Hongrie a le souci d’une démarche communautaire. Le gouvernement français compte développer ses relations avec les pays d’Europe centrale.
Sommée par les journalistes d’apporter ses commentaire, la Commission est apparue bien hésitante et incertaine : son porte parole a invité les journalistes à interroger le Conseil, la Commission n’ayant, concernant l’espace Schengen, qu’un « rôle d’observateur » comme le porte-parole l’a répété à plusieurs devant un certain nombre de journalistes étonnés ou incrédules. Il admet que la Commission a bien reçu une copie de la lettre se refusant à préciser qui étaient les destinataires.
L’espace Schengen compte vingt-cinq Etats membres et permet à plus de 400 millions de citoyens de circuler librement de la Finlande à la Grèce, du Portugal à la frontière polonaise, sans devoir montrer leurs passeports. Seuls le Royaume-Uni et l’Irlande, deux pays insulaires, ont décidé de rester en dehors. Mais trois non-membres de l’UE – la Suisse, la Norvège et l’Islande – ont adhéré. Outre la Bulgarie et la Roumanie, Chypre a demandé à rejoindre cet espace.