Le crime organisé, les mafias au G 8 ? Pourquoi pas !

 Si le crime organisé était un Etat, sa puissance financière lui octroierait une place au sein du G8. Est-ce la paresse ou l’impuissance qui freine les Etats dans leur lutte contre le crime organisé ? Ce sont les questions  que se sont posées deux étudiantes du master Affaires européennes de Sciences Po, qui ont décidé pour y répondre d’inviter les plus éminents spécialistes français, européens (et souvent italiens) de la question. De ce colloque  éclairant (dont Toute l’Europe a rendu compte) il ressort que l’inadéquation entre l’ampleur du problème et la réponse qui y est apportée actuellement relève sans doute de l’inconscience. 

 

Le premier panel s’intitulait « Globalisation et diversification du crime organisé », et était modéré par le politologue Jean-Louis Briquet. Il rassemblait : Alain Bauer : Criminologue ; Fabrice Rizzoli : Politologue spécialiste des mafias, président de l’ONG Flare France ;

Mickaël Roudaut : Administrateur à la Commission européenne au sein de l’unité « Lutte contre le crime organisé » de la Direction Générale Affaires Intérieures

Une géopolitique du crime

Les invités du premier panel se sont accordés sur le fait que le crime organisé est une véritable organisation internationale, extrêmement puissante, qui se constitue en une force politique et économique indiscutable et en constante croissance. Economique, pour Mickaël Roudaut, car la criminalité se pose comme un modèle alternatif de développement. Mais politique aussi pour Fabrice Rizzoli, car, fortement ancrée sur un territoire, la mafia, en créant du consensus social, cherche à remplacer l’Etat défaillant.

« Un Etat tire sa légitimité de sa capacité à offrir à ses citoyens sécurité, emploi et perspectives d’ascension sociale. Mais que se passe-t-il lorsqu’il n’y parvient pas ? » s’est interrogé Mickael Roudaut. Les activités illégales et criminelles peuvent prendre le relai en tant que pourvoyeuses de ces trois éléments, a-t-il expliqué, et contribuer ainsi à l’équilibre social. Par exemple, la Chine aurait grand mal à gérer les millions de personnes qui se retrouveraient sans activité et sans rémunération, si tous les réseaux de contrefaçon devaient cesser sur son territoire.

Désormais, a renchérit Alain Bauer, le crime est devenu une entreprise concurrente des Etats. Auparavant il n’était qu’un invité indésirable, il en est maintenant l’égal.

Comment blanchir l’argent du crime ?

Al Capone blanchissait l’argent obtenu sous la Prohibition en passant par un réseau de laveries. Il déposait le cash à la banque, en le faisant passer pour les revenus de ses lingeries. A partir du moment où cet argent était déposé sur un compte, il était « blanchi ».

Mais il ne faut pas voir la criminalité comme un système strictement parallèle à l’économie légale, ont prévenu les intervenants. Au-delà d’une coexistence, d’un point de vue fonctionnel l’économie licite et l’économie illicite s’interpénètrent, la première dopant la seconde. Il est d’ailleurs impératif pour la mafia de mener aussi des activités légales, afin de blanchir tout l’argent qu’elle a gagné illégalement.

En conséquence,  pour les panélistes, la criminalité organisée devrait prendre la place du terrorisme parmi les priorités des Etats. En fin de compte, Al Qaida, qui inquiète tant les gouvernements, est une association très relâchée de gens, dont on connaît le numéro un (Ben Laden), dont le numéro 2 reste relativement stable, mais qui, dès son numéro 3, se délite et se désorganise. « Al Qaida est une mascarade, comparée au développement massif du crime organisé », a insisté Alain Bauer. Leur importance est « sans commune mesure » pour Mickaël Roudaut, qui s’émeut de l’ignorance, par les Etats les organisations internationales et les ONG, du crime organisé.

Une grosse entreprise qui ne connaît pas la crise

Selon Rosario Crocetta, la mafia génère 600 milliards d’euros de « chiffre d’affaires » en Europe, dont 100 en Italie

« Le crime est une organisation! », a martelé Alain Bauer. « La globalisation a révélé que des dispositifs que l’on croyait folkloriques et cantonnés à la Sicile étaient de vraies organisations. Le crime est une entreprise, qui s’occupe à ce titre de recherche et développement, de promotion de ses produits, de relations publiques, de gestion du personnel … la gestion de la concurrence y est seulement un peu plus définitive qu’ailleurs ». Une entreprise, mais pas n’importe laquelle : « la première mondiale, avec un chiffre d’affaires de 1 500 milliards ».

Et quels sont aujourd’hui les secteurs de prédilection de cette entreprise ? Les plus attractifs ne sont pas forcément les grands trafics, comme ceux des êtres humains, et contre lesquels les efforts des Etats sont concentrés : ce sont plutôt les trafics de déchets, le dopage, ou l’agroalimentaire comme le montre l’exemple de l’écoulement en Afrique et Asie des stocks de beurre frelaté, ou bien le cybercrime comme la fraude à la TVA de 5,5 milliards d’euros intervenue récemment sur le marché européen des crédits carbone. « Ce sont les mêmes qui font les mêmes choses, mais en changeant simplement de produit. Hier, le beurre et le sucre demain le photovoltaïque. Ce qui est nouveau n’est que ce que nous avons oublié » a prévenu le criminologue.

A son grand regret, ce processus de mondialisation et de professionnalisation du crime s’opère dans l’indifférence générale. « Il n’y a que le Financial Times et le Wall Street Journal qui en parlent, à raison d’un article tous les 10 ans, et en accès payant ». Il a dénoncé « l’amnésie, l’inculture, et l’incapacité à tirer les leçons de l’Histoire » des pouvoirs publics, ainsi qu’une certaine hypocrisie de leur part : « Une banque n’a aucun besoin de sites offshore, à part pour faire de la fraude fiscale. Tant qu’on aura des réseaux offshore, on financera le crime ». De la même façon, « il n’y avait aucune raison d’inventer la plus grosse coupure de l’histoire de la monnaie, le billet de 500 euros, autre que de concurrencer le dollar sur son terrain de prédilection : le crime ».

Un système fondé sur la violence :les différentes utilisations mafieuses de la violence :

– Contrôler le territoire

– Se financer

– Acquérir du prestige vis-à-vis du clan d’en face

– Maintenir la famille dans l’obéissance

– Faire accepter la loi du silence

« Cette violence programmée aboutit à un contrôle « panoptique » de la population, c’est à dire où  un petit nombre de personne peut en contrôler un grand nombre. Comme elle ne recourt pas à la justice de l’Etat, la mafia perpétue sa propre justice parallèle : l’exécution mafieuse est une décision de justice » (Fabrice Rizzoli)

Toutes les mafias ne se ressemblent pas.  Commentant l’installation en Allemagne de mafias étrangères, Alain Bauer a différencié « la mafia turque, qui est une mafia sympa, respectueuse du climat local, qui s’adapte et rend des services » de la mafia italienne qui reste extrêmement violente. En France, a-t-il précisé, on n’a encore jamais eu de mafia.

Fabrice Rizzoli a donc dressé les grands traits des mafias de référence : les mafias italiennes. Tout leur fonctionnement est fondé sur la violence, qui y est érigée en système. La violence mafieuse n’est pas issue de pulsions, mais est codifiée. Là où un Etat maintient l’ordre par la loi, la mafia utilise la violence : c’est elle qui permet aux mafias de durer sur le long terme.

La mafia a plusieurs missions. Comme un Etat, le mafieux veut créer du consensus social : il fait du réseau, distribue des faveurs. Les mafias sont le plus souvent implantées dans les pays industrialisés mais cela ne les empêche pas d’être utiles aux populations, en les employant dans leurs bars dans des régions où le chômage atteint 50%, ou bien lorsqu’ils doivent attendre 9 ans un permis de construire.

Bien sûr, elle cherche à accumuler illégalement du capital, et passe par l’économie légale pour blanchir ses revenus. Elle cherche aussi à conditionner la vie politique. Leur obsession : contrôler le territoire.

Le second panel s’intitulait « La lutte contre le crime organisé à l’échelle européenne est-elle efficace? » et était modéré par le politologue Marc Lazar. Il rassemblait :

–        Jacques Barrot : Ancien commissaire Justice et Affaires Intérieures, actuel Membre du Conseil Constitutionnel ;- Rosario Crocetta : eurodéputé PSE, Ancien maire de Gela (Sicile), à l’initiative du projet du groupe Antimafia au Parlement européen ; – le Général Galtier : Direction Générale de la Gendarmerie Nationale ; – Mario Vaudano : Fonctionnaire de l’Office de la Lutte Anti Fraude de la Commission européenne

–         

Que fait l’Union européenne ?

Le député européen Rosario Crocetta s’est attardé sur la disparité des situations d’un pays à l’autre, insistant sur la nécessité d’harmoniser les lois anti-mafia dans les pays. Lui-même est particulièrement concerné par la question. Sous protection permanente en raison de son combat contre la mafia qui lui a valu des menaces (son garde du corps était d’ailleurs présent à la conférence), il s’est parfois heurté au scepticisme des autorités de pays comme la Belgique, moins habitués à un phénomène pourtant global. L’Italie, cœur historique des mafias, est aussi la plus avancée sur ces questions.

Alors quelle réponse européenne face à un phénomène si vaste et organisé ? C’était la question qui animait le second panel. L’Europe a connu d’importantes avancées en la matière, notamment en ce qui concerne la coopération et l’échange d’information, comme l’a rappelé le général Galtier. D’abord, a-t-il expliqué, une décision de justice dans un Etat est valable dans un autre. Le mandat d’arrêt européen a été le premier instrument permettant qu’une personne poursuivie ne puisse échapper à la justice en passant une frontière. En plus, il est rétroactif. D’autre part, grâce à l’agence Eurojust, des « équipes communes » peuvent être constituées pour enquêter dans plusieurs pays à la fois. « On peut perquisitionner à Madrid au moment où on auditionne à Paris ». Ce système fonctionne bien, et a permis, par exemple, d’appréhender simultanément 26 personnes en France et en Roumanie responsables de vols de bijoux dans le Nord de la France en 2009.

L’agence Europol quant à elle est une énorme base de données qui bénéficie à tous les Etats membres, rassemblant des fichiers sur un grand nombre de sujets (délinquance, criminalité économique et financière, traite des êtres humains). Pour Jacques Barrot, il doit être un prestataire de services d’information aux forces nationales.

A ce jour, 12 000 mandats d’arrêt européens ont été émis. La France en a émis 1240 et en a reçu plus de 1000, ce qui la place assez bien. Avant, il fallait presque un an pour transférer un suspect d’un pays à l’autre ; maintenant, une semaine suffit.Ce dernier a quelque peu modéré les progrès décrits par le Général. « L’information ne circule pas encore autant qu’elle devrait entre les polices. Les services répressifs n’ont pas assez confiance les uns en les autres. Il n’y a que comme ça qu’ils s’échangeront de l’information et du secret. C’est pour cette raison que l’on avait envisagé un Erasmus des policiers ».

Comment améliorer la lutte contre le crime dans l’UE ?

L’ancien commissaire a donné des pistes sur des systèmes qui pourraient concrètement être mis en place, comme un « passenger name report » européen, qui récolterait des informations sur les passagers aériens, et qui permettrait d’identifier ceux qui ont payé leurs billets à la dernière minute, en espèces… Ce système, en vigueur à l’aéroport d’Heathrow, a permis de faire de très importantes saisies. A condition, a-t-il insisté, que les données soient protégées. Il a aussi encouragé l’UE à s’appuyer sur le nouveau service d’action extérieure, qui doit intégrer les aspects de lutte contre le crime organisé dans ses négociations avec les pays tiers.

M. Vaudano a fait une parenthèse à propos de la réforme de la garde à vue en France : « Il n’y a pas de conflit entre efficacité et droits individuels. Avec de la volonté politique et des moyens, on peut trouver un système où on a les deux. La culture de l’aveu est plus facile, mais c’est la preuve qu’il faut privilégier. Il faut au contraire renforcer les moyens de la police, la protection des témoins, etc ».

Mais pour M. Barrot, le seul moyen de vraiment punir les malfaiteurs est de saisir les avoirs illicites : « On perturberait bien plus efficacement les réseaux internationaux si on améliorait la confiscation des avoirs ». La Commission fera des propositions dans ce sens en 2012.

Jeudi et vendredi 9-10 février à Bruxelles, le groupe socialiste , S&D, organise un colloque sur « the fight against organized crime and mafias : S&D Proposals for a EU global Stratégie » (www.socialistsanddemocrats.eu)

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cette publication a un commentaire

  1. Monique Gruot Straub

    Que sait-on sur l’infiltration mafieuse au sein même ou en marge des institutions européennes ?

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