Neutralité du Net : un débat fondamental s’ouvre. Le Parlement européen souhaite conserver un Internet ouvert. La Commission européenne mise sous haute surveillance indique ses orientations futures

C’est un appel vigoureux qu’on lancé les députés en adoptant leur résolution non législative : que les utilasateurs ne perdent pas leurs données lorsqu’il y des réseaux congestionnés, la bonne gestion ne doit pas être utilisée  à des fins anticoncurrentielles, s’assurer que les « prestataires de services Internet ne puissent pas bloquer, discriminer ou nuire à la capacité de toute personne d’utiliser ou d’offrir tout service, contenu ou application de son choix, indépendamment de la source ou de l’objectif ».

 

Alors que l’Internet évolue dans un marché qui offre toujours plus de services, de nombreux prestataires tentent de hiérarchiser le trafic afin d’offrir les services les plus rapides et les meilleurs à ceux qui payent plus d’argent. La question la plus controversée est le ralentissement intentionnel des connexions Internet pour les clients qui ne payent pas le prix plein. Certains souhaiteraient même bloquer des services spécifiques comme Skype pour éviter la concurrence avec leurs services de téléphonie traditionnels. La commission doit évaluer dans les six mois qui suivent la publication du rapport de l’ORECE. Dans leur résolution, les eurodéputés ont reconnu la nécessité d’une gestion « raisonnable » du trafic des données pour s’assurer que l’Internet continuer de fonctionner normalement. Le Parlement a cependant clairement souligné que les pratiques anticoncurrentielles ne devraient pas être permises.

 

Les eurodéputés ont demandé àla Commission« de surveiller étroitement, en coopération avec l’ORECE et les États membres, l’évolution des habitudes de gestion du trafic ainsi que les accords en matière d’interconnexion, en particulier en matière de blocage et de limitation ou de tarification excessive dela VoIPet du partage de fichiers, ainsi que de comportement anticoncurrentiel ou de dégradation excessive de la qualité ».

 

Le texte adopté a réitéré les inquiétudes quant à la protection des données et de la vie privée soulevées par le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) qui a publié une opinion en octobre dernier mettant en garde contre de sérieuses implications pour la sécurité des données personnelles en raison d’une gestion du trafic trop intrusive.

 

La Commission reste-t-elle à l’écoute ? La commissaire européenne en charge de la stratégie numérique, Neelie Kroes, est toujours accusée par les eurodéputés de conserver une approche « ambiguë » sur la neutralité du Net.La Commission n’a en effet pas adopté de position définitive sur la gestion du trafic dans sa communication sur la neutralité du Net publiée en avril dernier. Elle a néanmoins été claire sur le fait qu’un contrôle plus strict des pratiques suspectes était nécessaire et pourrait mener à de nouvelles réglementations dans le futur.

 

Cette analyse est toujours en cours, a expliqué le porte-parole de Mme Kroes, Ryan Heath.  «La Commissionsurveille l’évolution de la gestion du trafic. Pour ce faire, elle a chargé l’ORECE (organe des régulateurs européens des communications électroniques) de réaliser une étude sur la neutralité du Net et la gestion du trafic, y compris en matière de ralentissement et de blocage du trafic. C’est en cours », a déclaré M. Heath, affirmant qu’aucune décision ne serait prise avant la fin de cette étude.

 

A ce stade, il est difficile de déterminer sila Commissionprésentera des « orientations » ou une législation contraignante pour le secteur. Même après la publication écrite de la prise de position de Neelie Kroes le 23 novembre dernier,il est difficile d’être péremptoire, mais il est clair qu’elle ne veut pas se mettre sur une trajectoire de collision avec les députés européens.

 

Que dit Neelie Kroes ?

 

Elle a annoncé  qu’il n’y avait actuellement pas lieu de modifier le concept de base, les

principes ou le champ d’application de la réglementation de l’Union sur le service universel pour inclure les services de télécommunication mobile et les connexions à haut débit au niveau de l’UE.La Commissiona fondé cette conclusion sur une consultation publique et sur son troisième réexamen de la portée du service universel.

 

La Commissiona également conclu qu’il ne serait pas opportun, à ce stade, de fixer au niveau de l’UE un débit de connexion unique dans le cadre de la réglementation sur le service universel, compte tenu des stades de développement très différents des réseaux de télécommunications dans les États membres, ainsi que des coûts potentiels en jeu. En particulier, la charge pesant sur l’industrie et les répercussions sur les prix à la consommation seraient maximales dans les États membres où les niveaux de revenus et de couverture du haut débit sont actuellement faibles. Toutefois, les États membres demeurent libres d’inclure les

connexions à haut débit dans leurs OSU (obligations de service universel) nationales, dans les cas où cela est justifié, et notamment lorsque le taux de pénétration du haut débit est déjà suffisamment élevé. À ce jour,la Finlande, Malte et l’Espagne prévoient ainsi dans leur législation nationale un débit de connexion minimum.La Commissiona pointé les aspects sur lesquels des orientations complémentaires pourraient s’avérer nécessaires à l’avenir pour aider les États membres à mettre en oeuvre le plus efficacement possible la réglementation sur le service universel. Ils incluent notamment les éléments suivants:

      -.  critères utilisés par les États membres pour définir le débit minimal d’accès à

l’internet à intégrer dans leur réglementation nationale sur le service universel;

      -.  mécanismes de désignation des fournisseurs du service universel;

      -.  calcul du coût net des obligations de service universel (OSU);

      – . mécanismes de financement, y compris les éventuelles mesures de sauvegarde destinées à éviter qu’une charge excessive ne pèse sur les opérateurs;

      – . mesures en faveur des utilisateurs finaux souffrant de handicap.

 

Mme Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission responsable de la stratégie numérique, a déclaré: «Je veux tout mettre en oeuvre pour que les règles régissant le service universel jouent pleinement leur rôle en procurant aux citoyens européens les avantages de l’économie numérique, tout en évitant de faire peser une charge disproportionnée sur le secteur ou de fausser indûment le marché.»

 

La consultation publique a révélé une grande diversité de points de vue, de nombreuses parties prenantes soutenant les principes existants et se déclarant favorables au maintien des caractéristiques essentielles du régime de service universel.

 

Rappelons le contexte général

La libéralisation du secteur des télécommunications à la fin des années 90 s’est accompagnée d’une réglementation sur le service universel destinée à servir de filet de protection lorsque le marché ne parvenait pas à lui seul à fournir les services de base. Le but était de prévenir l’exclusion sociale en faisant en sorte que les habitants des zones rurales et isolées ou les ménages à faible revenu aient accès, à un prix abordable, aux services de télécommunications de base et essentiels.

La réglementation actuelle de l’UE (au titre de la directive «service universel» de

2002) exige des États membres qu’ils veillent à ce que les citoyens puissent se

raccorder au réseau téléphonique public en un lieu déterminé et accéder à des

services téléphoniques publics permettant les communications vocales et la

transmission de données avec un accès fonctionnel à l’internet. La directive exige

également des États membres qu’ils veillent à ce que les consommateurs

bénéficient de services de renseignements téléphoniques et d’annuaires, de

téléphones publics payants, et de mesures spécifiques s’ils sont handicapés. La

Commission réexamine la portée de la directive «service universel» tous les trois

ans (voir IP/08/1397, IP/05/594, IP/06/488).

L’objectif de la réglementation est de prévenir l’exclusion sociale. Étant donné que

les consommateurs bénéficient d’un accès généralisé et abordable aux services de

communications mobiles, il n’existe aucun risque d’exclusion sociale et aucune

nécessité d’inclure ces services dans les obligations de service universel.

La Commissions’emploie à élaborer des orientations pratiques pour aider les États

membres à établir des pratiques harmonisées dans l’ensemble de l’UE et à

promouvoir la prévisibilité de la réglementation pour les marchés. La

communication dela Commissiondevrait servir de base à la poursuite des

discussions avec les États membres, l’ORECE, le Parlement européen et l’industrie

au sujet du contenu de ces orientations.

      -.La communication est disponible à l’adresse suivante:

http://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/library/communications_reports/index_en.htm

Pour de plus amples informations sur le service universel:

http://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/current-topics/usb/index_en.htm

Site web de Mme Kroes: http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/kroes/

Pour suivre Mme Kroes sur Twitter: http://twitter.com/neeliekroeseu

Contacts :

Ryan Heath (+32 2 296 17 16); Twitter: @ECspokesRyan

Linda Cain (+32 2 299 90 19)

 

Réactions des parlementaires : « Une gestion satisfaisante du trafic de données est nécessaire et très utile pour éviter la congestion du réseau et assurer un bon fonctionnement des applications et des services. Néanmoins, il est clair que les pratiques de gestion du trafic ne doivent pas être utilisées à des fins anticoncurrentielles », a déclaré l’eurodéputé allemand Herbert Reul (Parti populaire européen) qui préside la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie.

 

Outre les questions de concurrence, les socialistes et les Verts s’inquiètent des effets négatifs que les violations de la neutralité du Net pourraient avoir sur les droits fondamentaux, comme la liberté d’expression.

 

« Certaines entreprises utilisent la gestion du trafic non seulement pour résoudre les problèmes de congestion rapidement, mais aussi pour bloquer et ralentir certains services, ce qui entrave la liberté d’expression, la concurrence et le choix du consommateur », a déclaré Catherine Trautmann, porte-parole sur la neutralité du Net pour les Socialistes & Démocrates (S&D).

 

« Nous demandons àla Commissiond’assumer ses responsabilités et de présenter une législation contraignante pour garantir la neutralité du Net, car les orientations se sont bien souvent révélées inefficaces », a-t-elle ajouté.

 

La position de Mme Trautmann a été relayée par les Verts. « Internet repose sur les principes de neutralité et d’ouverture du réseau.  Aujourd’hui, ils sont menacés tant dans les Etats membres qu’au-delà. Le Parlement européen a encore une fois exprimé clairement son attachement à ce principe », a déclaré l’eurodéputé vert Philippe Lamberts.

 

« Les Verts au PE demandent àla Commissiond’inscrire la neutralité de l’internet dans le droit européen, et àla Commissaire Kroesd’en finir avec son attitude ambigüe sur cette question cruciale », a-t-il ajouté dans un communiqué.

 

Mais tous ne sont pas du même avis.

 

« La résolution du Parlement européen est un retour en arrière. La gestion du trafic devrait être autorisée quand elle se révèle nécessaire tout en garantissant les intérêts des utilisateurs finaux et en encourageant les investissements dans les nouveaux réseaux. Les eurodéputés semblent prêts à sacrifier l’avenir de la société de l’information sur l’autel d’un mot séduisant en apparence. « Mais « neutre » ne signifie pas « stupide », a déclaré Andrea Renda du Centre for European Policy Studies (CEPS), un groupe de réflexion.

 

« Nous ne pensons pas que la résolution du Parlement européen contredise l’approche dela Commission. Cetterésolution exhortela Commissionà surveiller l’évolution de la gestion du trafic, à assurer l’application et la mise en oeuvre des règles européennes existantes, ainsi qu’à déterminer si d’autres mesures sont nécessaires. C’est exactement ce que faitla Commission», a expliqué Ryan Heath, le porte-parole de la commissaire en charge de la stratégie numérique, Neelie Kroes.

 

Prochaines étapes :

13 déc. 2011 : les ministres européens en charge des télécommunications aborderont la question de la neutralité du Net.

Fin 2011/début 2012 :la Commissioneuropéenne terminera l’analyse des pratiques de la gestion du trafic.

European Parliament: Resolution on Net Neutrality (17 Nov. 2011)

European Data Protections Supervisor (EDPS): Opinion on Net Neutrality (7 Oct. 2011)

European Commission: Communication on Net Neutrality (19 Apr. 2011)

 

Le fait de savoir si l’accès aux services Internet ou à différents contenus devrait être contrôlé et filtré ou non selon le principe du « meilleur effort » (« best effort ») est au cœur de la controverse sur la neutralité du Net.

 

Le principe du « meilleur effort » implique qu’aucun fournisseur ne puisse donner la priorité à un trafic sur la toile pour des raisons économiques. Les fournisseurs devraient donc faire de leur mieux pour servir les

 

… [+]utilisateurs. Ce critère a subi des dérogations afin de permettre une utilisation plus professionnelle de l’Internet. Par conséquent, un utilisateur professionnel qui consent à payer plus cher pourrait bénéficier d’une connexion meilleure et plus rapide.

 

Toutefois, élargir ce concept à un nombre beaucoup plus grand d’utilisateurs comporterait le risque de voir une majorité de personnes recevoir un service moins performant, ce qui les empêcherait d’utiliser l’Internet de manière optimale. Les frontières entre ces deux impératifs sont actuellement en train d’être définies et sont sujettes à des évolutions technologiques et réglementaires.

 

Le problème de la neutralité du Net a fait pour la première fois l’objet d’un débat aux Etats-Unis il y a quelque temps et suscite aujourd’hui des débats animés à Bruxelles. En avril,la Commissiona présenté un document qui a laissé de nombreuses questions en suspens. Sa récnete communication répond-t-elle à toutes les questions ? Laissons les spécialistes répondre et rappelons que le contrôleur européen de la protection des données s’inquiète pour la neutralité de la toile. Michel Barnier veut un système de contrôle de l’Internet à l’espagnole pour l’UE. La neutralité du réseau ne résoudra pas tous les problèmes liés à l’Internet, nombreux, divers, immense. Mais le débat est crucial.

 

 

 

      –. Texte de la communication (FR) http://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/doc/library/communications_reports/universal_service/comm_us_fr.pdf

 (EN) http://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/doc/library/communications_reports/universal_service/comm_us_en.pdf

 

      -. Site de la Commission sur le service universelhttp://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/current-topics/usb/index_en.htm

 

      -. Texte de la résolution du Parlement européen (FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2011-0572&language=FR

 (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+MOTION+B7-2011-0572+0+DOC+XML+V0//EN

     

      -. Avis du Contrôleur européen des données http://www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Consultation/Opinions/2011/11-10-07_Net_neutrality_EN.pdf

 

      -. Communiqué de presse

(FR) http://www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/EDPS/PressNews/Press/2011/EDPS-2011-10-Net-neutrality_FR.pdf

(EN) http://www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/EDPS/PressNews/Press/2011/EDPS-2011-10-Net-neutrality_EN.pdf

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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