Le retour à l’emploi : une priorité de long-terme pour l’Union Européenne.

A l’heure où le taux de chômage atteint près de 10.2% de la population active de l’Union Européenne (UE) (1) et que le débat présidentiel français exhorte l’Europe à rechercher des pistes pour soutenir la croissance en berne, la question des mesures en faveur de la création d’emploi est devenue un objectif prioritaire pour la Commissioneuropéenne. Dans ce cadre, le récent paquet de propositions visant à « une sortie de crise en faveur de l’emploi » (2) se présente comme une mesure phare, afin de respecter les engagements évoqués au sein de la stratégie 2020. 

Des mesures ambitieuses en réponse à la crise économique.

La stratégie économique Europe 2020 – remplaçante de la controversée stratégie de Lisbonne- avait, en Mars 2010, établie une feuille de route, très stricte en matière d’emplois, regroupée  au sein de la « stratégie pour de nouvelles compétences et de nouveaux emplois » (3). Cette stratégie visait, notamment, à améliorer la mobilité professionnelle et le développement de compétences tout au long de la vie, mais également à moderniser les marchés du travail, afin « d’établir une meilleure adéquation entre l’offre et la demande » (4). Or, le « paquet pour l’emploi » publié parla Commission européenne va encore plus loin, il prévoit notamment la création de 17 millions d’emplois d’ici 2020, en orientant les fonds européens vers des secteurs d’innovations à fortes valeurs ajoutées tels que l’économie verte, la santé et les technologies d’informations (TIC).La Commission souhaite, également, que les Etats membres suppléent aux charges sociales sur le travail – jugées inefficaces et freinant l’embauche de salariés – des taxes sur la valeur ajoutée et de nouveaux impôts sur la pollution, afin d’octroyer des aides à la création d’entreprise et ainsi relancer la création d’emplois.

Ces mesures, pour le moins ambitieuses, éclosent alors qu’une frange croissante d’experts, s’interrogent sur les bienfaits de la cure d’austérité imposée par le Fond Monétaire International (FMI) et l’UE à certains pays de la zone euro.

A ce titre, beaucoup de partenaires politiques et sociaux ont accueilli favorablement les nouvelles mesures proposées. Ainsi, l’eurodéputée vert Karima Delli s’est déclarée, « agréablement surprise par la tonalité des mesures proposées aujourd’hui, en relevant, les frémissements d’un glissement idéologique, avec la mise en avant de solutions de type keynésien (attention portée à la demande et non plus uniquement à l’offre…), voire écologistes (emplois verts, taxes environnementales et foncières, réduction du temps de travail…).». Les partenaires sociaux – à travers la voix de Valeria Ronzitti, secrétaire général du Centre européen des Employeurs et des Entreprises du secteur Public » (CEEP) – ont, quant à eux, perçu « positivement l’intention de la Commission de [les] associer davantage dans la gouvernance économique, tant au niveau national qu’européen », autre mesure primordiale de ce paquet pour l’emploi.

Le caractère louable des objectifs visés au sein du « paquet pour l’emploi », en font un objet fédérateur, d’autant plus qu’il définit, également, de nouvelles stratégies jugées plus sociales.

 

Une remise en question des conceptions libérales : pour un visage plus social en Europe.

L’attention prépondérante portée à cette initiative européenne, est le fait d’un double constat : la question de l’emploi demeure une préoccupation majeure des européens en temps de crise etla Commissioneuropéenne tente d’insuffler un vent plus social aux marchés du travail.

A ce titre, il faut souligner que cette initiative – portée par László Andor, socio-démocrate du collège des commissaires – a particulièrement retenu l’attention de certains pays tels que l’Allemagne, puisque la communication vient clairement demander une valorisation salariale dans les pays européens afin de « soutenir la demande globale ». Or, l’Allemagne –  à travers l’Agenda 2000 et les lois Hartz, dans le courant des années 2000 – a exercé une pression à la baisse sur les salaires et a très largement redéfinit les critères concernant les emplois « décents » en se situant sur un segment développant les métiers à bas salaires et à faible durée (5). L’Allemagne est donc directement visée par cette initiative, d’autant que sur l’évolution des contrats de travail, la Commission entend également freiner la multiplication des contrats de travail dits « atypiques » en garantissant de nouveaux types de contrats adaptés aux situations des salariés. Sur les questions inhérentes aux salaires et aux contrats de travails, il y a donc une véritable évolution quant au discours prôné par la Commission européenne. La conception passée – envisageant l’augmentation des salaires uniquement sous l’angle libéral, à savoir, de frein à l’embauche – a, en effet, laissé place à une vision moins manichéenne puisque désormais les augmentations de salaires et des conditions de travail, à un degré convenable, sont aussi considérées comme des  moyens d’éviter la paupérisation en Europe. Cette pression exhortant les Etats-membres à une hausse des salaires pour redynamiser l’Europe, rencontre les réticences de la chancelière allemande A. Merkel qui y voit une perte possible de compétitivité pour les entreprises allemandes après les plans drastiques mises en œuvre. Si cette mouture du texte de la Communication déplait aux dirigeants politiques allemands, qu’en aurait-il été de la version avancée du texte ? Qui indiquait que les salaires minimums « permettent d’éviter la course destructive vers un coût du travail toujours plus bas » (6).

Ce visage social de la Commissioneuropéenne demeure, toutefois, très fragile puisqu’en parallèle au constat effectué sur la logique du marché du travail, on se souvient que la Commissioneuropéenne avait aussi exhorté la Grèceà une diminution de 22% du salaire minimum en février 2012. Cette mesure, et d’autres inscrites dans la présente communication, ont été décriées par les opposants au « paquet pour l’emploi », qui y voit une initiative en trompe l’œil, sans impacts véritables sur les Etats-membres.

 

L’emploi, une question sensible sujette à de nombreuses polémiques et chimères.

Si la question des salaires minimums « différenciés » a fait l’objet de nombreux débats, notamment entre les candidats à l’élection présidentielle française, beaucoup de ce qui a été dit à son sujet demeure fantasmatique. Au-delà, des propos de Mme Le Pen, jugeant que cette proposition serait « une avancée pour la Bulgarie, mais un recul pour la France permettant de mettre en place des Smic à 600 ou 500 euros dans des secteurs tendus » (7), en réalité le texte ne fait mention d’aucun montant minimum. De plus, les chiffres – véhiculés par la candidate frontiste – semblent, également, contredits par la volonté de la Commission européenne de «garantir des rémunérations décentes et viables pour éviter les pièges des bas salaires.». Les préoccupations engendrées par une telle mesure – dans les pays disposant déjà d’un salaire minimum, tels que la France – proviennent de la crainte d’une possible régression sociale, la communication ayant préconisé la mise en œuvre d’un salaire minimum qui pourrait être revu à la hausse, mais aussi à la baisse en cas de mauvaises conjonctures économiques. Toutefois comme le souligne Mathieu Plane – économiste à l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) – « l’idée de la Commission n’est pas de taper sur les pays les plus vertueux, mais d’instaurer au contraire des règles minimum pour ne pas tirer la compétition vers le bas et lutter contre un phénomène en plein développement : celui des travailleurs pauvres ». Pour lutter contre ces trappes à pauvreté et trouver des solutions innovantes face à la pénurie d’emplois, la Commission a également appelé à renforcer l’ouverture du marché du travail à l’ensemble des européens. Une fois encore, cette proposition a été vilipendée – de la même manière que l’avait été la directive Bolkestein, de la part des partis politiques extrémistes en Europe – en prédisant l’invasion d’une main d’œuvre étrangère et une concurrence déloyale. La Commission espère, quant à elle, convaincre la main d’œuvre – touchée par les forts taux de chômage dans les pays en crise – à se déplacer davantage, afin d’endiguer les taux de chômages alarmant en Europe, alors même que certains pays gardent une offre d’emplois supérieure à la demande. Ainsi, selon le journaliste P. Ames, « seul  3% des citoyens européens en âge de travailler sont expatriés dans un autre pays de l’Union, […] alors qu’il y aurait, selon les estimations, 4 millions d’emplois à pourvoir dans l’UE – en particulier en Allemagne ou dans d’autres pays du Nord de l’Europe » (8). Afin de faciliter la mise en place de ce marché unique du travail en Europe,la Commission dans sa communication a émis des idées permettant d’exporter ses allocations chômages, mais également de rendre plus visible les possibilités d’emplois sur le territoire européen en promouvant le portail pan-européen de recherche d’emplois, EURES (9).

 

En dehors de certaines déterminations spécifiques – liées à l’agenda politique ou à un caractère invariablement eurosceptique –, la communication « paquet pour l’emploi » a donc été accueillie favorablement en Europe. Sa logique sociale – rompant avec la vision libérale prônée jusqu’à présent parla Commission- a su séduire une majorité de groupes sociaux et de partenaires politiques.

Toutefois, son caractère non contraignant et le double langage de la Commissionsur ces questions (10) laissent certains partenaires politiques et sociaux dubitatifs, quant aux réels impacts d’une telle communication, rappelant notamment l’échec des nombreuses méthodes ouvertes de coordinations. Pour la Confédération Européennedes Syndicats (CES), ce paquet n’est tout simplement « pas à la hauteur des défis du chômage en Europe » (11).

Il faudra, donc, patienter pour savoir sila Commission- à défaut de pouvoir s’inviter dans les affaires sociales des Etats-membres – aura su lancer un débat de fond, qui mérite d’être traité à l’échelle européenne.

 

Gildas LE SAULNIER. Etudiant au master complémentaire de l’Institut d’Etudes Européennes à l’Université Libre de Bruxelles

 

Notes de bas de page :

1-     Selon Eurostat, 24.550 millions de personnes de personnes étaient sans emploies au sein de l’Union Européenne en Février 2012.

Voir : Le taux de chômage à 10,8% dans la zone euro

2-     Commission européenne, Communication de la Commission au parlement européen,au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, Strasbourg, 18/04/2012.

Voir en Fr : Vers une reprise génératrice d’emplois ; Voir en En : Towards a job-rich recovery

3-     Commission européenne, Emploi, affaires sociales et inclusion, Stratégie européenne pour l’emploi.

Voir en Fr De nouvelles compétences pour de nouveaux emplois et en En New Skills for New Jobs

4-     Ibid.

5-     LE SAULNIER Gildas., Enjeux et conséquences de la politique économique allemande au tournant des années 2000 : D’une compétitivité accrue à une hégémonie décisionnelle au sein de l’Union Européenne, Mémoire de fin d’étude, 2011.

6-     HERBET M., Emploi : la commission infléchit son agenda libéral, Emploi : la Commission infléchit son agenda libéral, Euractiv.fr

7-     Libération.fr : Smic : l’apocalypse (sociale) selon Marine Le Pen.

8-     AMES P., Un plan pour 17 millions d’emplois d’ici 2020, Jolpress, 20/04/2012.

9-     Au 30/04/2012, le portail européen sur la mobilité de l’emploi regroupait 27.109 employeurs, 1.290.883 offres d’emploi et 845.650 CV.

Voir en Fr : EURES ; Voir en En : EURES

10-  Au-delà des aspects développés au sein de cet article, le « paquet pour l’emploi » prévoit également une réforme du marché du travail basée, en grande partie, sur les préceptes de la fléxicurité. Ceci est, notamment dénoncé par la confédération européenne des syndicats.

11-  La confédération européenne des syndicats, Paquet pour l’emploi : les réformes du marché du travail ne produiront pas de nouveaux emplois et ne relanceront pas l’économie, 18/04/2012.

 

 

 

Pour en savoir plus :

 

  • Commission européenne, Communication de la Commission au parlement européen,au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, Strasbourg, 18/04/2012.

(Fr) : Vers une reprise génératrice d’emplois ;(En) : Towards a job-rich recovery

  • Portail européen sur la mobilité de l’emploi, EURES.

(Fr) : EURES ; (En) : EURES

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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