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La Politique Européenne de Voisinage : bilan d’un an de « more for more »

  Le 15 mai dernier, le « paquet » 2012 sur la Politique Européenne de Voisinage (PEV) a été adopté par la Commission Européenne. Il permettait de faire le bilan d’un an de mise en œuvre de la PEV « nouvelle formule » initiée en mai 2011 par la communication « Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation » (1). Nous revenons ici sur l’histoire de cette jeune politique et sur le bilan de sa rénovation, caractérisée par la volonté de donner plus aux pays qui s’engagent positivement vis-à-vis des valeurs de l’Union Européenne (UE).

 

Les débuts de la PEV : une européanisation sans contrepartie ?

            C’est en 2003, au moment où l’UE s’apprêtait à s’ouvrir à dix nouveaux membres, qu’elle a également envisagé de proposer un « nouveau contrat » (2) à son voisinage élargi. Les critères de définition de ce voisinage avaient été élaborés en négatif : étaient voisins ceux qui n’avaient « aucune perspective d’adhésion ». C’est ainsi qu’est née la PEV qui créait ce nouveau voisinage auquel était proposé « tout sauf les institutions » (selon la formule de Romano Prodi alors Président de la Commission Européenne). En effet, l’UE devait offrir « une perspective de participation au marché intérieur ainsi que la poursuite de l’intégration et de la libéralisation afin de promouvoir la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux (les quatre libertés) » (3). Pour que cette perspective se réalise, il était demandé à ces pays (17 si l’on compte la Russie) un alignement sur la législation européenne et une adhésion aux valeurs de l’UE. Or, les Etats membres refuseront la proposition de la Commission de permettre, à terme, de créer une telle zone de libre circulation (4). Aucune ambigüité ne devait ainsi plus apparaitre entre d’une part les pays adhérents et d’autre part les pays du voisinage renvoyés à leur altérité, à la fois cause de la différence de traitement et raison de la nécessité (impérieuse ?) de se réformer. Il s’agissait ainsi d’envisager une européanisation (au sens d’incorporation des normes) de ce voisinage « sans compensation » (5) – ou seulement celle d’adhérer à une communauté de valeurs. Il s’agissait, également, d’actualiser la politique européenne de sécurité en invitant les nouveaux voisins à se responsabiliser vis-à-vis des enjeux liés aux risques allant « du terrorisme à la pollution atmosphérique » (6). Pour ces différentes raisons, la notion de « frontière » (7) est ce qui caractérisait le mieux l’ambition de la politique plus que celle de « relation » dont la PEV devait être le cadre. Ainsi, le volontarisme européen s’apparentait plus à une « quête d’identité » (8) qu’un véritable projet évitant que ne se crée un nouveau « rideau de fer », et pouvant déboucher in fine sur la création de « banlieues de l’Europe » enfermant un ressentiment à l’égard de l’UE – comme en témoigne le cas de l’Ukraine dont le rejet du projet était synonyme d’une réaction déçue d’être mis à l’écart de toute perspective d’adhésion.

Les « Révolutions arabes » ou l’opportunité d’une réforme

La Commission ne semblait pas savoir choisir entre une approche globale et une approche différenciée : « Bien que l’Union doive tendre vers une approche plus cohérente offrant les mêmes perspectives à l’ensemble des pays voisins et fixant les mêmes exigences pour chacun d’eux, la différenciation entre les pays devrait rester à la base de la nouvelle politique de voisinage » (9). Cette ambiguïté renforçait l’idée d’un projet sans perspective et de nature majoritairement défensive vis-à-vis de son nouveau voisinage. En conséquence, l’UE s’est montrée pragmatique et a évolué « pas à pas » (10) avec ses nouveaux voisins. Cette stratégie unilatérale de la part de la Commission semblait ne plus la satisfaire elle même quand, dans son bilan de 2010, elle estimait que « toutefois, le rythme des progrès dépend aussi des avantages que les partenaires  peuvent escompter dans un délai raisonnable. À cet égard, l’ampleur de l’engagement souscrit  par l’UE dans le cadre du partenariat a aussi eu et continuera d’avoir des effets significatifs » (Ibid, p16). Suite au vent de révolution qui a soufflé sur le versant Sud de la Méditerranée à la fin de l’année 2010 et se perpétuant, tout en s’élargissant, durant l’année 2011, la Commission et la Haute Représentante pour les Affaires Etrangères, Catherine Ashton, ont cru opportun d’examiner à nouveau ce partenariat avec les marges de l’UE (11). Cette communication intimait l’UE à « examiner avec un œil neuf les relations qu’elle entretient avec ses voisins » après avoir fait le constat des changements en train de se réaliser en Tunisie, en Egypte mais également les répressions commises en Syrie et en Biélorussie. Si la volonté est, comme nous le verrons, d’enraciner les valeurs qu’ont portées ces « Révolutions » – et que partage l’UE -, cette communication fait également office de constat d’échec de la PEV : si ces valeurs étaient inscrites dans les textes, ce n’est pas elle qui a provoqué ces révolutions arabes. Bien au contraire, pourrait-on dire, puisqu’elle n’a pas mis fin au soutien de nombreux pays européens aux régimes en place et n’a pas pu contrebalancer l’ambivalence de l’UE, trop conciliante qu’elle était avec les dictatures aux motifs de contrecarrer la « menace » islamiste et de parier sur une hypothétique « modernisation » économique. A court terme, cette communication se voulait comme une récompense (12) après les changements estimés encourageants dans ces pays : elle proposait, sur un plan bilatéral, une aide plus approfondie pour permettre aux Etats de poursuivre leurs efforts dans les domaines de la démocratie et des droits de l’homme et le développement économique et social (respectivement les points 1 et 2 de la Communication). Les signaux positifs seraient ainsi récompensés par une aide accrue de l’UE. Cette vision était symbolisée par l’expression « more for more » : « la coopération et les échanges seront considérablement renforcés, conformément à l’approche «more for more» (selon laquelle les pays allant plus loin et plus vite dans leurs réformes pourront compter sur un soutien plus important de la part de l’UE) » (p 14). Un approfondissement de la relation bi-régionale était également envisagée : cette politique vise à encourager « la coopération entre les régions et en dégageant des synergies et des solutions régionales face aux enjeux géographiques, économiques et sociaux propres à chaque région ». Le Partenariat Oriental est caractérisé principalement par la possibilité de lier des accords de coopération prévoyant « un alignement sur la législation, les règles et les normes de l’UE, qui débouchera progressivement sur une intégration économique au sein du marché intérieur » (p 18). Pour ce faire, des dialogues approfondis se réaliseront dans l’ensemble des domaines d’intervention de l’UE et les Sommets du Partenariat Oriental tiendront lieu de vitrine à ces coopérations. Le partenariat avec les pays du Sud de la Méditerranée se concentrera sur « la démocratie et une prospérité partagée » (p21) – ce qui a fait l’objet d’une communication spécifique de la part de la Commission Européenne (13). Dans la même ambition de « donner plus pour plus », cette stratégie se voulait « incitative fondée sur une plus grande différenciation: les pays allant plus loin et  plus vite dans leurs réformes pourront compter sur un soutien plus important de la part de  l’UE » (Ibid, p5). Ce « nouveau partenariat » veut également redynamiser l’Union pour la Méditerranée (UpM) par « une démarche plus pragmatique et fondée sur des projets » (Ibid p23). Cette communication participe au processus d’unification et de rationalisation de la politique étrangère européenne puisque ce qui est en jeu, ce n’est pas un changement radical de perspective, mais bien un approfondissement et une plus grande efficacité escomptée dans les rapports existants. Pour ce faire, les plans d’action de la PEV devront dorénavant être plus restreints et se concentrer sur un nombre limité de priorités pour faciliter la programmation de l’apport européen, déjà simplifié par « le traité de Lisbonne qui donne à l’Union européenne la possibilité de mettre en œuvre des actions et des programmes cohérents et compatibles en réunissant des volets de la politique étrangère et d’assistance de l’UE précédemment gérés par plusieurs institutions » (p24, ibid).

Bilan par la Commission Européenne d’un an de « more for more »

Dans la communication du 15 mai 2012 qui intime l’UE à « Tenir les engagements de la nouvelle politique européenne de voisinage » (14), la Commission Européenne revient sur ces engagements contenus dans ce principe que l’on a relevé : « donner plus pour recevoir plus ». Elle montre que la Commission entend mettre la conditionnalité au centre de cette nouvelle approche : « seuls les partenaires souhaitant s’engager dans des réformes politiques et respecter les valeurs universellement reconnues des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit peuvent bénéficier des aspects les plus avantageux de la politique de l’Union » (Ibid, p4). De la même manière, ce nouveau partenariat entend également se baser sur un processus de responsabilisation que les « nouveaux outils stratégiques » doivent promouvoir. Ce premier retour sur soi met encore davantage en avant les questions de démocratie et de droits de l’homme devant dorénavant irriguer l’ensemble des politiques de l’UE et faire l’objet d’une  « action résolue » (Ibid, p12) de la part de l’UE. Ces questions liées à la bonne gouvernance démocratique apparaissent comme les premiers défis que l’avenir devra relever grâce à de nouveaux instruments comme le Fonds Européen pour la Démocratie (FEDEM) et le nouvel instrument financier de voisinage européen (IVE) incluant la participation jugée fondamentale de la société civile (« agent de la démocratisation veillant au caractère durable et solidaire du processus de réforme » Ibid, p19).

            Dans le concret, voici quelques mises en pratique du principe « more for more » de l’UE (Ibid, p 4 et 5) :

–          En Tunisie,  « l’UE a doublé son aide financière, la faisant passer de 80 000 000 EUR en 2010 à 160 000 000 EUR en 2011, et fourni une assistance technique visant à faciliter l’organisation de l’élection de l’Assemblée constituante ».

–          La résolution du conflit en Transnistrie dans la République de Moldavie, « s’est accompagnée d’une coopération intense avec le gouvernement moldave, du lancement, par l’UE, de vastes mesures de restauration de la confiance ainsi que d’un réexamen progressif des sanctions prises par l’UE à l’égard de la Transnistrie ».

 

A l’inverse, l’UE a adopté des mesures restrictives dans les cas où la situation sur les questions de principe de l’UE est jugée insatisfaisante (less for less) :

–          En réaction à la détérioration de la situation en Syrie, « l’UE a décidé de suspendre son aide financière au gouvernement et d’imposer des sanctions ».

–          En Biélorussie, l’UE a mis au point une série « de mesures restrictives et redirigé l’essentiel de son aide vers la société civile », préoccupée qu’elle est par « le manque de respect permanent dont fait preuve la Biélorussie à l’égard des droits de l’Homme ».

Malgré ces mesures de sanction prises à l’égard de certains de ses voisins, l’UE estime que le « bilan est prometteur » (Ibid, p24) et que « le voisinage de l’UE est aujourd’hui plus démocratique et plus ouvert au changement qu’il y a un an » (Ibid). La Commission s’en félicite et juge que « l’UE a fait preuve de célérité en posant les nouveaux jalons de sa politique et que la plupart des pays partenaires ont répondu favorablement » (Ibid, p3). Pour la Commission cette nouvelle approche est déjà ancrée et « la plupart des pays partenaires s’en sont félicités et plusieurs d’entre eux sont prêts à poursuivre les réformes politiques et économiques avec plus de détermination et à s’engager davantage vis-à-vis de l’UE ».

Ne pouvant pas agiter le bâton pour des raisons d’intérêts nationaux divergents – comme nous avons pu le constater avec l’intervention en Lybie -, la Commission Européenne entend rendre plus efficace l’usage de la carotte en promettant des avancées économiques et sociales dans le cas de la mise en œuvre d’une gouvernance démocratique saine par ses voisins. Ce principe était déjà celui de la « première » PEV, il se retrouve en fait renforcé dans la nouvelle formule. Néanmoins, des instruments ont été mis en place pour rendre effective et efficace cette stratégie de « more for more » afin de re-légitimer une politique étrangère européenne en mal de crédibilité sur le plan international.

Pour en savoir plus :

(1)   COMMUNICATION CONJOINTE AU PARLEMENT EUROPEEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS. Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation, COM(2011) 303 :http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0303:FIN:fr:PDF.

(2)   LEPESANT Gilles, « L’Union européenne et son voisinage : vers un nouveau contrat », Politique étrangère, N°4 – 2004 – 69e année pp. 767-780.

(3)   Communication de la Commission, L’Europe élargie – Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud, COM (2003) 104 final, 11/03/2003 : http://ec.europa.eu/world/enp/pdf/com03_104_fr.pdf

(4)   LEPESANT Gilles, « L’Union européenne et son voisinage : vers un nouveau contrat », article cité, note 2

(5)   PETITHOMME Mathieu, « Quelle politique de voisinage pour l’Union européenne ? » Entre injonctions sécuritaires et conditionnalité démocratique, la puissance normative européenne en question, Politique européenne, 2009/2 n° 28, p. 163-172.

(6)   Communication de la Commission, L’Europe élargie – Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud, Document cité, Note 3

(7)    BALZACQ Thierry, « La politique européenne de voisinage, un complexe de sécurité à géométrie variable  », Cultures & Conflits, 66, été 2007, mis en ligne le 13 mars 2008 : http://conflits.revues.org/index2481.html#ftn1

(8)   GOUJON Alexandra, « L’Europe élargie en quête d ‘identité », Politique européenne, 2005/1 n° 15, p. 137-163.

(9)   Communication de la Commission, L’Europe élargie – Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud, Document cité, notes 3 et 6

(10)    Communication, Bilan de la politique européenne de voisinage, 12/05/2010 http://eur lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2010:0207:FIN:FR:PDF

(11)    Op cit, Note 1

(12)    « Récompenser » est le mot utilisé sur le site du SEAE : http://eeas.europa.eu/top_stories/2012/160512_enp_1year_fr.htm

(13)    COMMUNICATION CONJOINTE   AU CONSEIL EUROPÉEN, AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU  COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS  UN PARTENARIAT POUR LA DÉMOCRATIE ET UNE PROSPÉRITÉ PARTAGÉE  AVEC LE SUD DE LA MÉDITERRANÉE COM(2011) 200 final : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0200:FIN:FR:PDF

(14)    COMMUNICATION CONJOINTE AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS Tenir les engagements de la nouvelle politique européenne de voisinage, JOIN(2012) 14 final, 15/05/2012 : http://ec.europa.eu/world/enp/docs/2012_enp_pack/delivering_new_enp_fr.pdf

http://ec.europa.eu/world/enp/docs/2012_enp_pack/delivering_new_enp_en.pdf

Mathieu Arnaudet

(Institut d’Etudes Européenne – Université Libre de Bruxelles)

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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