Editorial Nea say N°123 « En l’Europe nous ne croyons plus » ! Alors réconcilions avec l’Europe des citoyens réservés, inquiets ou désenchantés.

« En l’Europe nous ne croyons plus ! »Tel est le titre provocateur de l’article publié par le Figaro de Ana Palacio, ancienne députée au Parlement européen, ancienne ministre des affaires étrangères espagnole et ancienne vice-présidente de la Banque mondiale. Aujourd’hui chacun peut constater un nouveau et dangereux déficit de confiance au sein de l’Union à la fois entre les gouvernements et les citoyens des Etats membres. Ce manque de confiance a conduit la zone euro au bord de l’explosion. Depuis le 29 juin, ce risque s’est éloigné, provisoirement et jusqu’à quand ? Plus grave que le pseudo déficit démocratique, régulièrement évoqué, peu de mesures ont été prises  et peu de  déclarations faites pour remédier à ce déficit.

Ana Palacio fait remarquer que si les billets en euro devaient porter une maxime, comme les billets en dollars elle pourrait être : « en l’Europe nous ne croyons plus ». C’est plus qu’une simple discipline qu’il faut, c’est de la confiance et la confiance du plus grand nombre et pas seulement de quelques uns, une petite élite complice. L’Europe doit donner le jour à des politiques concrètes touchant directement les citoyens, des citoyens enfin conscients de leurs  atouts, et plus proches de la réalité : bien éduqués malgré des défaillances de plus difficilement supportables, en bonne santé, principale économie mondiale, disposant d’une formidable influence. Tels sont au premier regard les atouts de l’Europe et de ses citoyens.

Il faut admettre  que les medias ont une lourde responsabilité par leurs dénigrements appuyés et permanents. Les europhiles également, les résultats d’aujourd’hui n’étant jamais à leurs yeux à la hauteur de leurs rêves dont ils n’ont jamais analysé la consistance, enfin les politiques également et avec eux, tous ceux dont la vocation est d’enseigner, de montrer le chemin.

Le hasard, dit le dicton, fait souvent bien les choses : il se trouve que la publication de l’article de Ana Palacio a coïncidé avec la publication de l’excellente publication de Notre Europe : « les Européens croient-il encore à l’Europe ? Analyse des attitudes  et des attentes des opinions publiques européennes depuis un quart de siècle ». Le titre est le même, mais un point d’interrogation a judicieusement remplacé l’affirmation péremptoire. Que retient cette étude : un niveau record d’adhésion politique à l’Europe au printemps 1991, un point historiquement bas au printemps 1997, une remontée partielle lente et en dents de scie jusqu’en 2007, puis une nouvelle baisse depuis 2008 qui correspond de façon aveuglante avec le début de la crise. La recherche de l’appui des opinions publiques est désormais un combat permanent, une ardente obligation. Sans elle rien ne peut être obtenu durablement. Rien n’est définitivement perdu ou gagné. Dans sa préface, Antonio Vitorino, président de Notre Europa, ancien membre éminent de la Commission européenne, écrit fort justement : « chacun peut mesurer avec le recul de 25 ans que le déclin de cet enthousiasme n’est pas nécessairement synonyme de profonde défiance vis-à-vis de l’UE, et ce déclin relatif n’est pas irrévocable » La crise en cours va-elle modifier cette perception finalement encourageante. Antonio Vitorino hésite à répondre même si l’on sent dans quel sens va la réponse.

L’état de l’opinion apparait globalement plus ou moins « eurofavorable » dans les différents Etats membres, anciens comme nouveaux. Les attentes des citoyens européens restent conformes à l’intention des pères fondateurs. Cette Europe des pères fondateurs est toujours une Europe souhaitée et face à un horizon assombrit et qui continuera à s’assombrir il faut continuer à réaffirmer fortement et inlassablement la permanence des objectifs proclamés par les pères fondateurs.

Comment expliquer la période de faveur ? Un projet clairement identifié et incarné par des responsables nationaux et communautaires de grande envergure. On peut parler aujourd’hui plus de mollesse que de franche opposition (un sur cinq). Malgré un fléchissement sensible  depuis 2008, ce n’est doc pas  un effondrement et ce n ‘est pas le niveau  le plus bas constaté depuis vingt-cinq ans.

Parmi les anciens Etats membres, ce sont les citoyens des pays du Benelux, de l’Irlande et du Danemark qui se montrent les mieux disposés à l’inverse des britanniques et des autrichiens, les moins bien disposés. Un heureuse surprise pour les danois qui viennent d’achever une présidence de façon plus qu’honorable et une grosse déception avec les autrichiens contaminés par les mouvements  xénophobes, pour ne pas dire plus. Parmi les nouveaux Etats membres, les plus favorables,  les polonais, les slovaques, les estoniens puis les roumains et les lituaniens, les hongrois, suivis des lettons étant au contraire les plus réservés. L’ampleur des évolutions peuvent se faire  et dans des directions différentes. Parmi les 12 plus anciens Etats membres, ceux où la dégradation a été la plus forte par rapport aux maxima historiques sont la Grèce, le Portugal, l’Italie et la France. La présence de deux pays comme la France et l’Italie peut être qualifiée d’inquiétante s’il n’était pas mis fin rapidement à une dégradation que l’on n’arrive pas à enrayer depuis l’échec du référendum de 2005. Mais là encore la désaffection française reste relative (cf. l’analyse faite par Nea say de l’enquête Eurobaromètre de mars 2012) et ce relatif déclin n’est pas à la hauteur de ce que l’on pourrait imaginer et redouter compte tenu de l’ampleur de l’échec de 2005. A l’inverse les scores danois sont proches de leur maxima et la baisse est relativement faible au Luxembourg et en Belgique.

L’étude de Notre Europe est d’une richesse exceptionnelle dont le présent compte rendu donne un aperçu très imparfait. Il faut la lire attentivement (une soixantaine de pages). Elle fourmille d’aperçus particulièrement pénétrants. C’est finement observé.

Ce sont, peut-être, les dix dernières pages qui sont les plus fascinantes : en quelques lignes, chacun des 27 pays est passé en  revue sous l’angle des facteurs de désenchantements liés aux mentalités collectives nationales. Les italiens : leurs désillusions paraît liée à la lenteur de l’unification européenne. Les néerlandais qui voyaient dans l’Union européenne une caisse de résonnance de leurs valeurs dont ils se prétendaient les gardiens sont frustrés par les tentations dominatrices de leurs grands voisins, toujours en faveur de l’Europe, mais en réalité très défiants et peu disposés à accepter des conduites laxistes. Les belges : d’incontestables europhiles, mais s’impliquant moins. Les Luxembourgeois : constants dans leurs opinions, leur petite taille les a vaccinés contre la frustration. Les Britanniques : vivent toujours dans une île comme l’avait constaté le général de Gaulle, mais il est vrai que ni la classe politique, ni les médias ne les  encouragent à changer d’attitude. Pour les irlandais la mémoire des combats menés pour acquérir l’indépendance est bien toujours présente dans la mentalité collective. Les grecs : un grand désarroi  face à la mise en question de leur sentiment jadis très européen. Chez les Espagnols alternent eurofaveur et frustrations face à la lenteur de leur rattrapage. Les portugais ils sont sans la nostalgie d’anciennes grandes puissances, mais ils ont peur  de rester à la traîne et le sentiment d’être traités de façon injuste peut les entraîner à certaines dérives. Les suédois ont abandonné leurs préventions initiales, mais sans beaucoup d’investissement affectif. Les autrichiens entrés allègrement dans l’Union mais avec la nostalgie des splendeurs de l’Empire de Habsbourg d’où un repli sur soi. Les hongrois victimes d’on ne sait quel complot expliquant   ainsi les dérives nationalistes actuelles de ces  anciens corégents de l’Europe. Les polonais anxieux d’être relégués à n’être que des européens de deuxième catégorie, la peur d’être déçus une nouvelle fois et comme tant de fois dans le passé,  en  a fait pendant tout un temps des partenaires mal commodes puis peu à peu ils ont émergé de cette attitude de défiance pour se trouver dix ans après parmi les plus eurofavorables. Etc, etc

Gardons pour la fin l’Allemagne et la France, des petits cailloux précieux pour ne pas se perdre en chemin.

« En ce qui concerne les français, les investigations qualitatives menées il y a 25 ans, les montra             ient  déjà soucieux de l’érosion du poids de leur pays , mais enclins à lui attribuer une forme de suprématie culturelle et intellectuelle dont l’Europe serait le terrain « naturel » d’exercice, en lieu et place de son rôle mondial passé. Il est  assez manifeste que la désaffection croissante à l’égard de l’Union observée chez eux va de pair avec la fin des illusions d’une « Europe à la française » et la perte graduelle, au cours des deux dernières décennies, de l’influence de leur pays au sein de l’Union comme ailleurs. On ne voit guère comment cette tendance pourrait se renverser à terme prévisible, eu égard au profond pessimisme pour l’avenir dans lequel ils paraissent s’enfoncer ».

Pour les allemands, en plus d’être une entité économique facteur de progrès incontestés, l’appartenance à la Communauté européenne leur conférait en quelque sorte une identité de substitutions à une identité allemande qui répugnait encore à s’exprimer il y a 25 ans, toujours obérée qu’elle était par les réminiscences de la période hitlérienne. Se considérant comme Européens loyaux par excellence, versant rubis sur l’ongle leur quote-part sans prétendre à la domination, ils manifestaient toutefois quelque irritation vis-à-vis des « moins bons élèves » de la classe européenne et de la subsistance des égoïsmes nationaux. S’étant aujourd’hui -depuis une quinzaine d’années maintenant-  affranchis de la tare du passé et amenés à jouer, au moins pour des raisons économiques, les premiers rôles, ils entendent peser pour convertir à leurs valeurs de rigueur des peuples et des Etats restés à leurs yeux insuffisamment vertueux à cet égard. La difficulté à y parvenir inspire certainement leurs attitudes actuelles »

Dés lors la conclusion s’impose : réconcilier avec l’Europe des citoyens réservés, inquiets ou désenchantés, en prenant en compte les  racines profondes des sentiments, « au-delà des argumentations rationnelles aussi nécessaires soient-elles et cela d’autant plus dans une période difficile où les risques de repli sur soi peuvent s’accentuer ».

 

Notre Europe : « Les Européens croient-ils encore en l’UE ? Analyse des attitudes et des attentes des opinions publiques européennes depuis un quart de siècle »(FR) http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/OpinionsPubliquesUE1985-2011_D.Debomy_NE_Juin2012.pdf

(EN) http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/PublicOpinionEU1985-2011_D.Debomy_NE_June2012_01.pdf

 

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Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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