Editorial du N° 124 de Nea say. Le Royaume-Uni lance un audit sur l’Europe. Bientôt il sera face à un référendum ! et bientôt une Europe sans lui ?

En sept ans, jamais  Nea say n’a consacré un article auRoyaume-Uni, le moment est venu car l’heure de vérité est arrivée. Une redéfinition des liens avec l’Union semble inéluctable et peu importe le processus finalement choisi. Toujours est-il que le Ministre des affaires étrangères, William Hague,  a annoncé le lancement d’un vaste audit qui débutera à l’automne pour s’achever fin2014 : toutes les implications de l’appartenance à l’Union seront passées au crible, mais cet exercice, purement technique, ne doit pas déboucher sur  des conclusions ou recommandations, est-il précisé. Exercice utile malgré tout face à tant de nervosités croissantes et de débats sans fin. D’autres y voient une manœuvre dilatoire visant à gagner de temps en desserrant la pression actuelle exercée sur le gouvernement tory tout en repoussant les perspectives d’un référendum pour après les élections de 2015. Il reste peu probable que l’audit ait par ses propres vertus la capacité de stopper les débats et la marche en avant vers un rejet, sous une forme ou une autre, de l’Union européenne, un rejet qui gagne du terrain inexorablement.

Cette annonce intervient alors que la pression grandissante pour l’organisation d’un référendum  sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union a poussé David Cameron, qui avait jusqu’à maintenant écarté cette option, à donner des espérances à sa frange eurosceptique, aujourd’hui encore minoritaire, mais provisoirement minoritaire. Le retentissement est à la mesure de tout ce qui vient du Royaume-Uni, disproportionné mais en partie fondé et en tout cas justifiable. Wolfgang Schaüble n’a pas eu le même « succès » et a suscité moins de passions lorsqu’il a déclaré au Spiegel qu’un nouveau transfert de compétences à l’Union rendrait tout à fait justifié que le peuple allemand se prononce. Ce référendum pouvait arriver « plus vite que je ne le pensais il y a quelques mois » a-t-il déclaré et  il est tout à fait envisageable avant cinq ans. Il a argumenté que  ce nouveau transfert de compétences devrait s’accompagner de plus de légitimité : un renforcement du Parlement européen doté alors du pouvoir d’initiative législative, la Commission devenant un vrai gouvernement élu, qui plus  est au travers de l’élection directe de son président.

L’évolution du parti conservateur anglais et la crise de l’euro ont conjugué  leurs effets sans que l’on puisse dire lequel des deux et le plus fort, sans doute la crise dite bien à tort « crise de l’euro »  pousse l’eurozone à devenir l’entité dominante et une entité de plus en plus intégrée. Or la contrainte de la loi  votée, l’an passé, par la Chambre des Communes  s’impose dans toute sa rigueur : toute nouvelle délégation de pouvoir au profit de Bruxelles devra être dorénavant soumise à référendum. Pas question donc que l’Union prenne le chemin voulu par Angela Merkel « il n’y a pas trop peu d’Europe, au contraire, il y en a trop », juste le contraire de ce qu’ Angela Merkel martèle jour après jour:  plus d’Europe, plus de gouvernement économique, plus d’harmonisation, plus de social, une union bancaire, plus d’union politique. Ce n’est donc plus cette même  Europe dans laquelle les anglais avaient  décidé de rester,  par référendum en 1975 (67% de oui peuvent-ils estimer à juste titre. Un tel bouleversement passé et le bouleversement à venir qui se profile déjà, représentent  un changement de nature profond de l’Union européenne et imposent de renégocier les termes de l’adhésion. Telle est la pensée dominante anglaise et cela bien au-delà du clan eurosceptique.

Mais une eurozone plus intégrée, dominante déstabilise l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Europe, marginalise le Royaume-Uni, l’affaiblit dans ses rapports futurs avec l’Union car le Royaume-Uni entend bien conserver le Marché unique, un Marché unique débarrassé  bien évidemment de toutes les intrusions de l’Europe, intrusions scandaleuses à ses yeux. Bien des gens raisonnables (y compris la City) ne veulent pas que leur pays quitte l’Union mais pourtant une mécanique implacable est en marche (une opinion chauffée à blanc contre l’Europe, une Europe présentée comme un véritable repoussoir, des medias et une classe politique largement europhobes et largement ignorantes etc.. ), tout cela fait dire à l’Economist du 23 juin dernier que « la Grande-Bretagne n’a jamais été aussi près de la sortie ». Même les plus europhiles évaluent à 50 chances sur 100  que David Cameron ne puisse échapper à un référendum au cours de la prochaine législature, un référendum évidemment débouchant sur un vote négatif. L’idéal : un statut de simple associé. Mais fait remarquer José Manuel  Barroso  cela peut seulement convenir à un petit pays comme la Norvège, la Suisse, le nom du Lichtenstein n’a pas été prononcé…

David Cameron a concédé à François Hollande que le Royaume-Uni n’est pas heureux dans sa relation avec l’UE, il a besoin de changements, et certes  il se trouve toujours mieux en son sein qu’en dehors : « quitter l’Europe ne serait pas dans l’intérêt de notre pays », disait-il dans le fameux interview du Sunday Telegraph (cf.infra le lien vers le texte de l’interview) un aveu douloureux  et autant dire que sa situation est franchement très inconfortable. François Hollande face à une telle situation pouvait-il tirer une autre conclusion que celle qu’il a avancée : « nous devons  respecter la volonté du Royaume- Uni de rester en dehors de l’Euro (…) nous devons concevoir l’Europe à plusieurs vitesses, chacun avançant à son rythme et prenant à l’Europe ce qui lui est bénéfique, tout en respectant les règles communes » (rencontre du 10  juillet) ?

 En disant cela sommes-nous sorti d’embarras ? Non, outre le risque de détricotage de l’existant, tout le problème ne réside-t-il pas dans la définition du périmètre de ces « règles communes »? et pour simplifier les choses, le ministre anglais des affaires européennes, David Lidington, et au même moment,  ne vient-il pas de déclarer, à Paris il est vrai, tout le bien qu’il pense de l’Union européenne  en lui rendant un vibrant hommage et notamment  au rôle qu’elle peut jouer pour la prévention des conflits et la sécurité internationale grâce à sa Politique européenne de défense et de sécurité (PESDC).Certes, « l’OTAN est et restera le meilleur outil de l’Europe pour répondre aux situations de conflit de haute intensité tels que l’Afghanistan ou la Libye. Et l’ONU et d’autres jouent un rôle vital dans le développement à  long terme et  la stabilité(…) Mais l’UE dispose d’un avantage compétitif quand il s’agit de la sécurité internationale(…) Son avantage et de pouvoir relier de façon large et complémentaire un ensemble d’outils : diplomatique, civil ou militaire, de développement et financier, qu’il peut employer de façon collective, pour promouvoir la paix internationale, souvent dans des lieux où l’OTAN et d’autres ne peuvent agir. Les missions de la PESDC peuvent faire une différence réelle pour la sécurité internationale. Elles aident à maintenir la paix dans les Balkans. Elles sont là pour assurer la protection de la navigation internationale et assurer l’aide alimentaire face au fléau de la piraterie. Et elles  contribuent en Afghanistan à assurer un avenir stable et sûr ….Ces missions apportent des résultats tangibles et positifs au Royaume-Uni, à l’Union européenne et à la communauté internationale ». Le ministre reste très lucide sur les imperfections de la PESDC : la Libye l’a montré clairement à ses yeux : « les Européens peuvent réagir rapidement et résolument quand ils en ont besoin, ils ont le leadership adéquat et les capacités adéquates (…) mais nous manquons de la volonté politique collective et des capacités militaires pour mener les opérations sans un soutien important des Etats-Unis ». Conclusion pour Lidington : « nous devons nous engager à maintenir, développer et rendre disponibles nos capacités de défense qui pourraient être utilisés soit par la PEDSC ou l’OTAN ». Le ministre a défendu l’axe franco-britannique, « un engagement de long terme et stratégique ». Le président Hollande a bien reçu le message, ne vient-il pas d’associer le Royaume-Uni, tout comme l’Allemagne, à la vaste réflexion qu’il engage en matière de défense qui doit déboucher à l’automne sur la publication d’un Livre blanc . Certes de façon subliminal le ministre anglais a suggéré que tous les partenariats ne se valent pas et que ce partenariat franco-britannique l’emporte sur les autres, l’allemand notamment, plus passif du côté opérationnel, plus incertain ou moins assuré dans sa volonté politique. Nous sommes arrivés au cœur  du déchirement anglais et au carrefour de toutes les incertitudes, mais le Royaume-Uni ne peut plus poursuivre la politique qui fut la sienne depuis la fin de la dernière guerre mondiale.

David Lidington vient de récidiver dans une tribune publiée par le journal le Monde du 18 juillet (cf. infra le lien) . David Lidington appartient à une espèce politique britannique rare : point de gros mots, imprécations, de dérision : »Il ne fa                it aucun doute qu’il est dans l’intérêt du Royaume-Uni d’être membre à part entière de l’Union européenne. Notre pays est déterminé à jouer un rôle de premier plan dans une Union européenne solide et stable ».Suit un liste d’avantages pour le Royaume-Uni. »Notre pays comprend bien les raisons qui poussent les membres de la zone euro à vouloir renforcer l’intégration budgétaire et économique au sein de l’union monétaire (…)Cette consultation n’a pas pour but de déterminer s’il convient ou non de rester membre de l’UE ». Mais il doit être clair que l’UE doit se réformer en réduisant le poids de la législation, en s’élargissant etc…Bref comme le pensait Churchill au lendemain de la guerre : l’Union de l’Europe est une excellente chose, mais pour les autres, les Etats du continent. Quant à cette chose innommable, une fédération d’Etats-nations ,l’on s’en tient à une vision caricaturale, tronquée de celui qui n’a pas lu l’excellent essai de Gaëtane Ricard-Nihoul (aux éditions Larcier)

Bref « Faites vos jeux…attention rien ne va plus. »

Bien des observateurs de longue date disent enfin ce qu’ils n’osaient pas se l’avouer à eux-mêmes clairement comme Jean Quatremer de Libération : « Dans quelques années, la Grande-Bretagne aura quitté l’Union. On ne voit plus ce qui pourrait l’empêcher ». Les derniers mois l’ont démontré, l’Union ne peut poursuivre cette politique de la mort lente et de l’asphyxie progressive : dans la nuit du 3 décembre elle a choisi de vivre  fut ce au prix de l’isolement du Royaume-Uni, un isolement ni absolu, ni définitif, mais cette fois ci persistant. Les mécanismes anciens qui permettaient  la persistance des ambiguïtés, de toutes les ambiguïtés, ne fonctionnent plus. L’attitude du Royaume-Uni  remet  en cause  trop fortement et trop clairement l’ensemble d’un édifice patiemment construit. Ses refus ont découragé ses derniers défenseurs et obligent ceux qui veulent aller de l’avant à passer en dehors des traités existants au prix d’une Europe de plus en plus  illisible pour ses citoyens. En décidant de se placer en marge de la monnaie unique en 1992, le Royaume-Uni a pris un risque : que ses partenaires contraints par la logique même du fédéralisme monétaire, ne décident de franchir le pas du fédéralisme politique. Aujourd’hui ce stade est atteint, l’urgence financière conduit la zone euro à accélérer la marche vers davantage d’intégration, dans des zones où le Royaume-Uni refuse de s’aventurer alors qu’il n’a pas d’autres choix : ses partenaires non détenteur de l’euro l’ont bien compris, tous, à l’exception de la république tchèque. Le gouvernement britannique et la partie la plus éclairée de l’opinion ont  par ailleurs bien compris que la disparition de l’euro, annoncée à voix redoublée, risquerait de les engloutir. Une masse très importante des avoirs détenus par la City est libellée en euros et qu’elle le veuille ou non elle fait partie de la zone euro comme jadis bien des monnaies européennes faisaient partie de la zone Deutschmark. Londres ne pourra pas continuer à être la première place financière où se traite l’euro et elle ne peut plus compter sur des alliés, pas même les Etats-Unis, ces derniers n’ayant plus guère d’intérêt stratégique à le faire et cette tendance ne pouvant que s’accentuer avec le départ du Royaume-Uni de l’Union. Une situation intenable : un référendum serait un suicide politique, mais rien ne semble pouvoir l’empêcher.

Les temps sont révolus où le représentant britannique aux négociations de Val Duchesse sur le futur traité de Rome pouvait dire : « le futur traité que  vous êtes en train de discuter n’a aucune chance d’être accepté ; s’il était accepté, il n’aurait aucune chance d’être ratifié, s’il était ratifié, il n’aurait aucune chance d’être appliqué et s’il était appliqué il serait totalement inacceptable pour la Grande-Bretagne (…) Monsieur le président, messieurs, au revoir et bonne chance », le représentant britannique refusait de continuer à dépenser inutilement l’argent du contribuable au travers du salaire qui lui était versé. La conclusion s’imposait, il quittait la table de négociation. C’est l’anecdote que raconte le jeune négociateur d’alors Jean-François Deniau, futur fonctionnaire de la Commission européenne, future ambassadeur de France, futur membre de cette même Commission et futur ministre, puis membre de l’Académie française. C’est cette conduite que semble avoir adoptée le Royaume-Uni aujourd’hui encore et  avec encore moins de chance de réussir. Les manœuvres dilatoires mises en œuvre par le Royaume-Uni  pendant des décennies n’ont et n’auront plus cours, la leçon, donnée alors par de Gaulle, est dans toutes les oreilles et se répète chaque jour pour ceux qui ne l’auraient pas entendue :au lendemain de son second refus, il faisait observer  le 27 novembre 1967 « faire entrer l’Angleterre et par conséquent engager maintenant une négociation à cet effet serait pour les Six- le monde sait de quoi il retourne- donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoirs ». Le moment est venu de fermer ce qui ne fut qu’une longue parenthèse estiment beaucoup de décideurs, la survie de l’Europe est à ce prix. Sans aucun doute le Royaume-Uni poursuivra sa politique des « artifices, délais et faux-semblants » que dénonçait il y a près d’un demi siècle de Gaulle. Dernier en date de ces artifices et faux-semblants, ce référendum dont le premier ministre n’a livré aucune indication quant à la question qui sera posée, ni quant à la date (« au moment approprié », ce que l’on peut traduire par : après les prochaines élections). Loin d’apaiser l’antagonisme avec la frange rebelle la plus eurosceptique, le référendum va exacerber le conflit. A William Hague qui déclarait qu’aucune décision ne sera prise tant que l’Europe  n’aura pas résolu sa crise de la dette,  bien entendu la faute revient une fois de plus à l’Europe, c’est-à-dire les autres.« Le bon moment pour organiser le référendum sera quand nous saurons comment l’Europe va évoluer, et si alors nous aurons des relations plus avantageuses », à William Hague Liam Fox, leader de la frange eurosceptique a répondu : « nous ne devrions pas attendre que les dirigeants européens reconnaissent l’échec de l’euro (…)l’avenir du pays n’est pas une question à débattre avec les dirigeants du continent ». Le conflit entre David Cameron et une partie grandissante de sa majorité pourrait donc s’intensifier. Quant aux travaillistes par la voix du Guardian on peut imaginer leur position : le référendum est prématuré dans la mesure où le pays ne fait pas partie de la zone euro et que l’avenir de l’intégration européenne est encore à écrire. Pour tous, à l’exception des eurosceptiques, et pour des raisons évidemment différentes, il est urgent d’attendre. Mais l’Europe peut-elle encore attendre ? Une fois de plus et dans le meilleur des cas, des « artifices, des délais, des faux-fuyants ».

L’Euroscepticisme est un sérieux défis et pas seulement pour les anglais, mais comme tout scepticisme d’ailleurs il tourne ses regards vers le passé.  Les citoyens européens sont certes mécontents de la situation actuelle, mais le scepticisme ne porte en soi aucun élément positif et ce dont nous avons besoin c’est d’un engagement créateur et mobilisateur pour l’avenir.

      -. Déclaration du Premier ministre http://www.number10.gov.uk/news/prime-ministers-statement-on-the-european-council/

      -. EU Common Security and Defence Policy :the UK Perspective(David Lidington) http://www.fco.gov.uk/en/news/latest-news/?view=Speech&id=780905582

      -. David Lidington: “le Royaume-Uni, un européen convaincu. Des réformes s’avèrent toutefois nécessaires » le Monde du 18 juillet http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/17/le-royaume-uni-un-europeen-convaincu_1734721_3232.html

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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