ROMS : une nouvelle fois le débat s’enflamme en France. Deux ans après le premier éclat peu ou pas de changement : cependant une rhétorique plus mesurée, moins stigmatisante, mais une fois de plus l’Europe se retrouve en première ligne. « C’est un défi historique » (Viviane Reding)

Malgré un été caniculaire, la Commission n’était pas partie en vacances, elle a rapidement réagi, faisant part de sa vigilance : la vice-présidente Viviane Reding a fait connaître son point de vue, notamment en s’exprimant dans le journal Libération. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault en appelle au prochain Conseil européen : un retour à la case départ. Après un été marqué par le démantèlement de campements illégaux et l’attitude ferme du ministre de l’Intérieur, le premier ministre a voulu calmer le jeu. Le gouvernement jette les bases d’une politique plus globale avec une première annonce: l’accès des Roms à l’emploi sera facilité.

Simplification de l’accès au marché du travail, discussion à l’échelle européenne, mais aussi poursuite de l’application des décisions de justice. Le 22 août, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé une série d’actions qui esquissent une politique plus cohérente envers les Roms, à mi-chemin entre fermeté et humanité. Cette annonce clôt un mois d’août au cours duquel  les évacuations des campements et les expulsions ont provoqué un profond malaise dans la majorité et parmi les associations de soutien aux migrants.

Aujourd’hui, les Roms seraient entre 15 000 et 20 000 en France, essentiellement regroupés dans des bidonvilles installés en périphérie de Paris, Marseille, Lyon ou Lille. Début août, plusieurs campements illégaux ont été démantelés par la police pour faire respecter des décisions de justice. Ces opérations ont reçu le soutien déterminé de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, pour qui «le laisser-faire ne résout rien». «La présence de migrants ne saurait se traduire par la multiplication et l’enracinement de campements insalubres, dangereux tant pour leurs occupants que pour le voisinage», justifie-t-il. Pour le ministre, «il n’est pas davantage question de tolérer que des organisations criminelles ou certains clans familiaux organisent l’exploitation de la misère et la mise en coupe réglée d’une partie de ces migrants, les contraignants à des activités délinquantes».

La fermeté de Manuel Valls a d’abord fait réagir les associations. Celles-ci ont rappelé l’assurance donnée par François Hollande au cours de sa campagne qu’il n’y aurait plus de démantèlement de campements sans solutions alternatives, de relogement notamment. Dans une lettre ouverte au premier ministre, le collectif Romeurope a exprimé «sa grande déception» et sa «totale incompréhension» d’une politique «qui ne semble pas marquer de rupture avec celle conduite par les gouvernements précédents», en particulier sous la présidence Sarkozy.

Cécile Duflot, la ministre écologiste du Logement, est également sortie de la réserve. Dans Libération, elle a estimé qu’une «politique durable, humaine, efficace et exemplaire, reste à construire»: «Il est inconcevable qu’en France, quelques milliers d’êtres humains venant de Roumanie et de Bulgarie vivent dans des conditions insalubres. Stigmatiser sur une base ethnique une population déjà discriminée et expulser […] est non seulement honteux, c’est aussi inefficace. On ne résout pas le problème, on le déplace.». La commissaire Reding tiendra des propos voisins (cf. infra) : on déplace le problème sans le résoudre.

Les mesures annoncées

Furent alors annoncées des mesures dont deux mesures pour faciliter l’accès au marché du travail aux Roms : le gouvernement a décidé de supprimer la taxe due par les employeurs de travailleurs roms et d’élargir les métiers auxquels ces derniers peuvent avoir accès.

Cécile Duflot a annoncé mercredi 22 août que le gouvernement avait décidé d' »assouplir les contraintes »  pesant sur l’accès au travail des Roms, « en supprimant la taxe »  due par les employeurs de ces personnes et « en élargissant  les métiers auxquels ils peuvent avoir accès ». La décision, prise lors d’une réunion interministérielle, a été « de faciliter l’insertion par le travail, en élargissant et assouplissant très largement les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les populations Roms qui souhaitent travailler,  a déclaré la ministre du logement.

Deuxième mesure : une liste de métiers élargie. Les ressortissants roumains et bulgares, majoritaires parmi les Roms présents en France, sont en effet actuellement soumis à des restrictions dans l’accès à l’emploi, que le gouvernement a décidé d’assouplir. Les immigrés de ces deux nationalités font en effet l’objet de « mesures transitoires », qui les obligent à disposer d’une autorisation de travail délivrée par la préfecture. Dans huit pays de l’Union européenne, dont la France, où elles ont été reconduites en janvier dernier jusqu’à fin 2013. Ces mesures, qui leur confèrent un statut à part parmi les citoyens européens, ont déjà été supprimées en Irlande et en Italie, par exemple.L’accès à l’emploi des Bulgares et Roumains est en premier lieu restreint à une liste de 150 métiers dits « en tension », dans des secteurs où les employeurs peinent à recruter. Le gouvernement a annoncé un élargissement de cette liste. Ces métiers concernent notamment le BTP (ouvrier, couvreur, dessinateur…), de l’hôtellerie (cuisinier, serveur…), l’agriculture et la pêche, l’industrie (soudeur, mécanicien…) et l’entretien.

Autre mesure : la taxe à l’embauche supprimée. Aujourd’hui, l’employeur qui veut  embaucher des Roms doit s’acquitter d’une taxe au près de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Pour un contrat de 3 à 12 mois, cette dernière oscille entre de 74 à 300 euros, en fonction du montant du salaire. Si l’embauche excède 12 mois, la taxe atteint 50% de la rémunération brute mensuelle, dans la limite de 2,5 Smic

Les campements illégaux pourront toujours être démantelés : le premier Ministre  a affirmé que les campements de Roms illégaux continueront à être démantelés dès lors qu’il y a « une décision de justice ». « Les décisions de justice continueront à être appliquées », écrivent les services du premier ministre, ajoutant: « Ces opérations sont pleinement légitimes, dès lors qu’elles interviennent en application d’une décision de justice ou pour mettre fin à une situation de danger ou de risque sanitaire immédiat ».

Un accueil mitigé par les associations

Des mesures considérées comme un progrès par les associations qui demandent toutefois que les roms  soient traités comme des citoyens européens à part entière. Le permis de travail, qui s’obtient après de très longues démarches, est maintenu.

 

« Les propositions restent insatisfaisantes » : le président du collectif RomEurope, Malik Salemkour, s’est dit « frustré » à l’issue de ces annonces. La réaction des associations était dans l’ensemble mitigée : « Si nous partageons le besoin d’apaiser le sujet et de le ramener à une question de citoyenneté, les propositions faites par le premier ministre restent très insatisfaisantes, affirme Malik Salemkour. La suppression de la taxe était une question de justice, mais le traitement discriminatoire est maintenu. Le permis de travail perpétue une politique de guichet qui freine l’accessibilité à l’emploi. » L’association se réjouit en revanche de l’attribution du dossier au préfet Alain Régnier, chargé de la lutte contre l’exclusion.

Même hésitation pour Pierre Henry, représentant de l’association France terre d’asile : « Il y a des pistes de progrès. D’abord, c’est une réunion interministérielle qui s’est occupée de cette question, et pas seulement le ministère de l’intérieur. Mais le gouvernement s’est arrêté à mi-chemin, sûrement pour faire plaisir à l’opinion publique. Nous demandons que la législation pour les Roms soit celle du droit commun. » D’autant que le premier ministre a persisté dans une logique de « fermeté » concernant les démantèlements de camp. Le gouvernement va par ailleurs fournir aux préfets un soutien pour « préparer et accompagner ces opérations d’évacuation ». Cécile Duflot la ministre du logement, a affirmé que « l’individualisation des solutions » serait désormais favorisée.

La Commission européenne a salué les annonces du gouvernement mais elle l’a encouragé à lever l’ensemble des restrictions touchant ces populations.(cf. infra) Désormais, l’enjeu important pour les associations de défense des Roms est de stabiliser les camps afin, selon Malik Salemkour, que « tous les enfants puissent être scolarisés à la rentrée ».

Retour à la case de départ : l’Europe

Le gouvernement français demandera à la présidence chypriote d’inscrire le dossier rom à l’ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 octobre prochain. C’est ce qu’a annoncé le gouvernement français le 22 août. Malgré les réserves formulées, ces initiatives représentent malgré tout un tournant dans la manière dont la France compte régler le problème des Roms arrivant principalement des deux nouveaux Etats membres de l’Union, Roumanie et Bulgarie : une moindre stigmatisation des populations, un appel plus spontané à l’Europe, un accent plus fort mis sur l’intégration. Si la France levait ses restrictions sur l’accès à l’emploi pour les Bulgares et les Roumains, elle rejoindrait les 17 pays qui y ont déjà mis un terme. En plus de la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas et le Royaume-Uni disposent toujours de telles restrictions, mais ils seront obligés de les lever dès le 31 décembre 2013.

Le gouvernement français a également réclamé une réponse européenne sur l’inclusion des Roms. Paris souhaite en outre entamer un dialogue ouvert avec Bucarest et Sofia pour mettre en place des initiatives visant à faciliter l’intégration des Roms dans leurs pays d’origine. La France a exhorté la présidence chypriote du Conseil de l’UE à mettre la question de l’inclusion des Roms au programme du prochain sommet européen et s’est engagée à mettre à jour sa stratégie en la matière, comme le réclamait la Commission européenne. Quant à l’éventualité que la France lève ses restrictions à l’emploi pour les citoyens bulgares et roumains,  la Commission encourage tous les pays à le faire, dans la mesure où ces restrictions sont également insensées sur le plan économique, estime-t-elle.

 Olivier Bailly, porte-parole de la Commission, a déclaré : « Nous saluons l’esprit constructif avec lequel le gouvernement français a cherché des solutions adéquates, ainsi que sa volonté de coopérer avec la Commission et les Etats membres, notamment les pays d’origine de ces minorités. ». Quant à Viviane Reding , vice-présidente de la Commission européenne elle a rappelé dans le Journal Libération du 16 août la position désormais traditionnelle de son institution et notamment :

Elle a rappelé : «  Il y a deux ans, l’éloignement d’un grand nombre de Roms du territoire français a donné un véritable signal d’alarme pour l’Europe. Ces événements avaient mis en lumière d’importants problèmes : les garanties matérielles et procédurales prévues par la directive européenne sur la libre circulation n’avaient pas été transposées dans le droit français. Par ailleurs, une circulaire ordonnait l’éloignement des Roms et ciblait spécifiquement cette minorité ethnique.   La Commission européenne a donc dû intervenir avec l’appui du Parlement européen (cf. Nea say)

Aux  yeux de Viviane Reding trois leçons sont à retenir :

      – . 1 l’éloignement d’un citoyen d’un Etat membre de l’Union européenne ne peut être arbitraire et doit toujours être le résultat d’un traitement au cas par cas. Le droit à la libre circulation est un droit fondamental, garanti par les traités européens ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Chaque citoyen européen doit respecter la loi – mais personne ne devrait être expulsé uniquement parce qu’il est Rom. Dans l’U et en l’espace d’un an, plus de 90% des dossiers ouverts en matière de libre circulation ont pu être résolus. Selon la nouvelle législation française, toute décision d’éloignement doit donc être écrite et pleinement justifiée – et doit pouvoir faire l’objet d’un recours judiciaire. Concrètement, des expulsions collectives dirigées contre une minorité spécifique ne peuvent avoir lieu. Elles sont explicitement interdites par l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

      – . 2  l’intégration des Roms a une dimension européenne. Elle est autant la responsabilité du pays d’accueil que du pays d’origine et nécessite des incitations, de la surveillance ainsi que le soutien des institutions européennes. Les éloignements ressemblent peut-être à une solution facile mais ils ne font que déplacer le problème – ils sont inefficaces, coûteux et dépourvus d’effets durables. Tous les Etats membres doivent intégrer les populations roms, avec l’aide des fonds européens.

« Pour encourager et renforcer l’intégration des Roms, la Commission a adopté, en 2011, un Cadre européen pour les stratégies nationales d’intégration des Roms et a fourni à chaque Etat membre des recommandations spécifiques quant à l’intégration des Roms, dans quatre domaines : l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement. Pour la Commission, qui a maintenant reçu et évalué les stratégies nationales, ces stratégies constituent une première étape importante et contiennent des projets innovants tels que les engagements pris par la France visant à créer des «villages d’insertions» afin de répondre aux besoins des personnes défavorisées et notamment des Roms, qui vivent dans des campements illégaux. Selon la stratégie française, ce type de projet sera reproduit dans plusieurs localités, y compris à Lille et à Lyon, avec le soutien des fonds européens. Reste à voir ces engagements se concrétiser. »

      -. 3 «  il ne faut en aucun cas que l’intégration des Roms ne se réduise à une anecdote estivale. Il y a 12 millions de Roms en Europe, qui, comme nous, sont chez eux en Europe. Et c’est notre responsabilité de les aider à s’intégrer. Cela requiert des efforts des deux côtés. »

En conclusion Viviane Reding prend acte du fait que les autorités françaises se montrent prêtes à coopérer avec la Commission qui restera vigilante. Elle veillera plus particulièrement  à ce qu’aucune politique publique ne prendra pour cible un groupe en particulier, que les garanties procédurales et matérielles introduites en 2011 sont correctement appliquées. « En même temps, je tiens à ce que l’engagement des autorités françaises à promouvoir l’intégration des Roms, tel qu’inscrit dans leur stratégie de 2012, ait des répercussions réelles dans la vie quotidienne des Roms. L’établissement des «villages d’insertion» annoncés pour Lille et Lyon représenterait un bon exemple, mais ne doit pas être retardé trop longtemps. » La  lutte pour l’intégration des ROMS représente pour Viviane Reding un « défi historique ».

Ce défi historique concerne les quatre points cardinaux de la bonne intégration : travail, santé, éducation, logement .Incontestablement le gouvernement français a tendu la main aux Roms, tournant le dos au discours de Grenoble de 2010. Y-a-t-il  un risque de créer un gigantesque appel d’air comme s’en inquiètent certains opposants ? Rappelons que l’Italie et l’Irlande ont levé les mesures transitoires sans que cela pose de problèmes. Un point reste préoccupant : le relogement : les terrains municipaux manquent et l’Etat ne donne pas un exemple toujours convaincant, , le gouvernement le sait et assure que cette politique sera mise en place progressivement : des initiatives qui se veulent prometteuses sont à l’étude. Jusqu’à présent tous les gouvernements se sont cassés les dents et à ce jour existent en France 300 à 400 campements illicites. Mais la solution la plus durable est d’impliquer les pays sources : Manuel Vals a déclaré : «  la vraie solution est que les pays d’origine changent fondamentalement leurs politiques qui discriminent depuis des décennies ces populations ».Certains font remarquer que les sommes d’argent dépensées pour rapatrier les Roms « volontaires » auraient pu être investies dans des projets concrets d’insertion.

Incontestablement un nouveau discours mais aussi une nouvelle pratique est annoncée. Les préfets chargés de piloter les évacuations devront mieux anticiper et individualiser les départs des Roms de leur campement. Au lieu un simple policier qui vienne distribuer une obligation à quitter le territoire, ce sera un travailleur social qui viendra identifier les situations et les besoins. Le gouvernement a annoncé également une mission interministérielle pour faire un état des lieux des dispositifs d’accompagnement sociaux et sanitaires existants pour les Roms. L’objectif est notamment d’évaluer le principe controversé des « villages d’insertion » qui a retenu, on vient de le voir, l’attention de Viviane Reding : beaucoup de communes confrontées aux problèmes des bidonvilles concentrées à la périphérie d’un petit nombre de villes ont investi dans ce concept et attendent une aide. Les questions épineuse demeurent telles que l’hébergement d’urgence après les évacuations de campements : le premier ministre a annoncé la création d’une mission de coordination. Là encore comme ailleurs, beaucoup d’annonces et de création de commissions d’études.

Déclaration de Viviane Reding dans le journal de Libération du 16 août  http://www.liberation.fr/societe/2012/08/15/l-integration-des-roms-mise-a-l-epreuve_839918

Dossier Rom de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=roms&Submit=%3E

Réactions de France Terre d’asile publiées par le Nouvel Observateur http://www.france-terre-asile.org/component/flexicontent/item/7497-mesures-transitoires-ayrault-favorable-a-une-qevolutionq

Expulsion des Roms : la gauche et les associations article publié par le Nouvel Observateur http://www.france-terre-asile.org/component/flexicontent/item/7473-expulsions-de-roms-laurent-joffrin-la-gauche-et-les-associations

Entretiens entre le collectif Romeurope et le premier ministre français Jean-Marc-Ayrault http://www.gouvernement.fr/gouvernement/entretien-avec-le-collectif-romeurope

Communiqués de presse de Romeurope http://www.romeurope.org/

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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