Face au cas syrien, l’Union européenne. Quelle voie emprunter pour devenir un interlocuteur crédible aux côtés des Etats-Unis et de la Russie?

L’objectif se définit clairement et avec simplicité : devenir un interlocuteur crédible aux côtés des Etats-Unis et de la Russie. Comment régler le cas syrien ? C’est la question que tout le monde se pose mais dont personne n’a encore la réponse. En Europe, cette question syrienne est de plus en plus brulante aussi bien pour les Etats membres que pour les institutions européennes. L’UE n’a pas d’autre possibilité, pour l’instant,  que celle de répondre de façon ambiguë, le meilleur exemple en est la possibilité de livrer des armes avant le 1er août, du moins pour ceux qui le souhaitent. Ce seront les circonstances du moment qui dicteront la réponse, une réponse qui ne heurtera personne. Alors que le Parlement Européen se réunissait en session plénière le 22 mai pour parler du cas des réfugiés syriens, le Conseil et les Etats membres s’inquiétaient surtout des sanctions et de l’embargo sur les armes. Ce sont là les deux enjeux majeurs qui ne manquent pas de remettre en cause l’Europe et sa capacité d’action.

Concernant les réfugiés syriens, lors de la session plénière du Parlement Européen à Strasbourg du mercredi 22 mai, les députés ont pu faire part de leur sentiment au Commissaire Européen Stefan Füle. Si certains ont salué les actions entreprises, beaucoup se sont interrogés sur le manque de réactivité ou de volontarisme politique dont faisait preuve l’Europe.

Stefan Füle  a commencé par faire un état des lieux de la situation. Selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, 1,5 millions à l’heure actuelle, ils pourraient y avoir 3,5 millions de réfugiés syriens d’ici la fin de l’année. Les premiers pays concernés par cet afflux de réfugiés sont la Turquie, la Jordanie et le Liban. L’Union Européenne aussi est concernée notamment avec l’arrivée de réfugiés syriens en Grèce.

Or, ceci représente un défi considérable pour eux qui dépensent des sommes importantes en aide humanitaire : 700 millions de dollars pour le Liban (1,6% de son PIB), 850 millions de dollars pour la Jordanie (2,9% de son PIB) et 600 millions de dollars pour la Turquie. L’Union Européenne a été la première contributrice selon le Commissaire puisqu’elle a dépensé plus de 860 millions d’euros d’aide.

Au-delà de ces coûts économiques, le Commissaire a également souligné deux problèmes plus importants dans ce conflit à savoir l’utilisation d’armes chimiques et la présence de combattants européens.

Face à cette situation dramatique, Stefan Füle a réaffirmé l’engagement de l’Union Européenne (UE) à apporter une réponse globale à cette crise en lien avec les Etats membres et le Service d’Action Extérieure. Au cours de son intervention, il a rappelé la nécessité de la tenue d’une conférence internationale regroupant les différentes parties au conflit tout en les exhortant à respecter le droit international humanitaire.

Suite à son intervention, les députés ont largement réagi et fait part de leurs inquiétudes qui ont été reprises dans la résolution commune B7-0199/2013 (adoptée au Parlement  le 23 mai).

Tout d’abord, beaucoup ont critiqué le manque de réactivité de l’Union Européenne sur le plan politique afin de régler la crise syrienne. M. Salafranca, député PPE a même pointé le fait que l’UE était hors jeu sur le plan politique, avis partagé par Mme De Keyser, députée S&D. Certains, comme Mme Flautre (Verts) en ont même conclu que l’action européenne en matière humanitaire n’était qu’un prétexte pour cacher son inaction politique.

Cette « inaction » européenne serait renforcée par la division des européens sur la question humanitaire et politique. En effet, tous les Etats membres ne sont pas près à accueillir les réfugiés syriens. Mme Sargentini (Verts) a pointé le cas grec pour son mauvais traitement du cas des réfugiés syriens. Le Royaume- Uni aussi poserait problème en refusant certains bénéfices aux réfugiés en termes d’accès au marché de l’emploi ou aux soins de santé.

Autre difficulté, tous les Etats n’ont pas la même vision des solutions aux conflits. Ainsi par exemple le Royaume Uni est favorable à la levée de l’embargo sur les armes ce qui ne fait pas l’unanimité. Divergence de point de vue que l’on retrouve aussi au sein de l’hémicycle.

Sans surprise, tous ont appelé à régler au plus vite le cas syrien sur le plan politique. Si l’UE a un rôle important à jouer, les Nations Unies aussi, tout comme la Russie sur le fait qui il faut accentuer la pression. La députée Annemie Neyts-Uyttebroeck (ALDE) a ajouté à cette liste la Ligue Arabe qui devrait jouer un rôle plus actif dans cette crise.

D’ici là, les députés l’ont rappelé, il faut impérativement assurer la protection des personnes vulnérables particulièrement celle des femmes et des jeunes filles victimes de viols, de mariages forcés voir de la traite au profit de citoyens des Etats qui les accueillent. Pour cela, M. Demesmaeker (Verts) demande à ce qu’une pression soit mise sur ces Etats.

Il faut également se préoccuper du sort des réfugiés palestiniens fuyant la Syrie. Bon nombre de palestiniens s’étaient réfugiés en Syrie depuis plusieurs années mais désormais, ils doivent la fuir en raison du conflit en cours. Ils sont donc « doublement réfugiés » comme l’a dit M. Martin (S&D).

Il faudrait enfin envisager la mise en oeuvre de la directive « protection temporaire » au profit des réfugiés syriens comme ce fut le cas lors de la guerre des Balkans, comme l’a souligné Mme Flautre (Verts) puis M. Schmidt (PPE).

Le Commissaire Füle n’a pas semblé prendre en compte cette demande lors de sa réponse aux interventions, tout au plus a-t-il affirmé que des demandes aux Etats membres avaient été faites afin qu’ils accueillent plus de réfugiés syriens. Ceux qui répondront favorablement auront des fonds supplémentaires du Fonds Européen pour les Réfugiés (FER).

En revanche, M. Füle s’est montré plus alerte sur la question de la solution à la crise syrienne. Il estime en effet que la solution à la crise syrienne devra être régionale et non à l’échelle du seul pays. En tant que Commissaire à la Politique de Voisinage (PEV) et à l’Elargissement, il envisage même à l’avenir une intégration de la Syrie dans la PEV.

Or, cela a été évoqué, concernant l’attitude à adopter face à la crise syrienne, particulièrement sur les armes et la solution au conflit, mais la position des européens est très incertaine.

 

En effet, les ministres réunis en Conseil le 27 mai n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les sanctions et l’embargo sur les armes dans le cas syrien. Face au risque de voir un blocage « franco-britannique » qui aurait remis en cause toutes les sanctions prévues à l’échelle européenne, l’Union Européenne a reconduit les sanctions sur la Syrie mais pas l’embargo sur les armes. De facto, non seulement l’embargo européen est levé mais en plus, ce sont aux Etats membres seuls de décider s’ils livrent des armes ou non. Même s’ils se sont engagés à ne pas livrer d’armes dans l’immédiat, la porte est ouverte.

Cette décision a fait beaucoup de bruit. Elle a satisfait la France et le Royaume Uni qui demandait instamment une telle levée. Conviction renforcée alors que Le Monde annonçait sur son site le 27 mai que les forces de Bachar El Assad utilisaient bel et bien des armes chimiques contre les rebelles. Le président du groupe ALDE, Guy Verhofstadt, s’est également félicité de cette décision tout comme certains analystes politiques qui critiquaient depuis le début l’embargo sur les armes. Les Etats Unis ont aussi salué la décision estimant qu’elle enverra un message fort au régime de Bachar El Assad.

En revanche, d’autres Etats comme l’Autriche et la Suède ont critiqué une telle décision tant ils y étaient opposés par peur d’accroître les violences et par peur de voir les armes tomber dans des mains non désirées. Certains membres du Parlement Européen aussi ont critiqué cette décision, notamment Elmar Brok (PPE), président de la Commission Affaires étrangères du Parlement, qui a déploré le manque d’unité européenne : outre le  régime de Bachar El Assad il a bien entendu condamné également cette décision qui risquerait selon lui de mettre en péril les futures négociations de paix. Un constat repris par Véronique de Keyser (S&D).

Quoiqu’il en soit, désormais, le dossier syrien s’oriente de plus en plus comme étant un dossier national  et non plus européen tant les divergences européennes sont grandes. Le ministre belge des affaires étrangères voient dans cette décision du Conseil une « renationalisation du dossier ». Ce qui, risque d’exclure de facto l’Union Européenne du processus de paix en Syrie. Mme Ashton a voulu temporiser en affirmant que cela ne fermait pas la porte à une « politique étrangère commune ».

Néanmoins, la question se pose et devient urgente alors qu’une conférence sur la paix « Genève 2 » en Syrie est envisagée sous impulsion russe et américaine. La Turquie a clairement fait savoir qu’elle attendait beaucoup de cette conférence pour régler la question syrienne qui la concerne directement, ne serait-ce que sur le problème des réfugiés.

L’issue de cette conférence s’avère tout de même incertaine puisque l’opposition syrienne a fait savoir qu’elle refuserait de participer en cas d’intervention étrangère ou de présence dans le pays (Iran  et Hezbollah)

Ainsi l’UE, qui se trouvait déjà dans une position délicate, risque de perdre encore en crédibilité face à ces divergences exprimées par les Etats membres. Ces difficultés s’accentueront à mesure que le conflit s’envenime et risque de s’étendre aux voisins de la Syrie. Espérons qu’une solution soit prochainement trouvée (à l’occasion de Genève 2 ?) à ce conflit et il est de l’intérêt de l’UE d’y participer et de parler d’une seule voix si elle ne veut pas se trouver définitivement hors jeu sur la scène internationale.

Doit-on, une fois de plus, accabler l’Union européenne ? Evidemment non ! la situation syrienne est extraordinairement complexe et cela ne date pas d’aujourd’hui et c’est cette complexité qui a protégé jusqu’à maintenant la dynastie des Assad. Autre question : qui a fait mieux que l’Union européenne : Obama ou Poutine ? Evidemment non, encore une fois ? Cela n’exonère pas l’UE de ses responsabilités bien au contraire, cela constitue pour l’UE une exigence supplémentaire. La faiblesse américaine interpelle l’Europe. Les Etats-Unis  ne deviennent-ils pas « superflus »  à l’échelle mondiale ? C’est la thèse défendue par Vali Nasr dans un livre  au titre ravageur et au contenu dérangeant publié il y a quelques semaines, « The Dispensable Nation ». Selon lui Obama préside à des renoncements en chaîne particulièrement dramatiques en Afghanistan, en Irak, en Syrie s’indigne le professeur Nasr, doyen de l’école des hautes études internationales de la fameuse Université John Hopkins de Washington. Il a servi  à plusieurs reprises l’administration démocrate et a été le principal conseiller de Richard Holbroke, le négociateur entre autres des accords de Dayton. Il appelle européens et américains à joindre leurs efforts. Il fait remarquer que l’Europe a bien trouvé des centaines de milliards de dollars pour sauver la Grèce pourtant moins importante pour l’UE que l’Egypte ce qui ne veut pas dire qu’il ne fallait pas le faire. Ce qu’elle a fait également et continue  à faire pour l’Europe de l’Est dont l’Allemagne de l’est, faut-il le rappeler. Ce qui fait le plus défaut pour la région méditerranéenne et proche-orientale, c’est le manque de leadership et le manque d’intérêt, constate-t-il. Il interroge : pourquoi européens et américains n’organisent-ils pas un sommet des printemps arabes ? des printemps arabes qui sont entrain de  produire quantité d’Etats impuissants de la Tunisie au Yemen en passant par la Libye, l’Egypte, la Syrie…

 

Jérôme Gerbaud

 

En savoir plus :

 

–        Résolution commune B7-0199/2013 du Parlement Européen sur la situation des réfugiés syriens dans les pays voisins (FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=P7-RC-2013-0199&language=FR  (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+MOTION+P7-RC-2013-0199+0+DOC+XML+V0//EN

–        Communiqué de presse du Conseil Affaires étrangères du 27 mai 2013 (EN) http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/137317.pdf

–        Article du Monde « Guerre chimique en Syrie » du 27 mai 2013 (FR) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/27/syrie-le-monde-temoin-d-attaques-toxiques_3417225_3218.html

–        Article d’Euractiv « L’UE cède à Paris et Londres sur la levée de l’embargo sur les armes » du 28 mai 2013 (FR) http://www.euractiv.fr/international/syrie-lue-cede-a-paris-et-londres-sur-la-levee-de-lembargo-sur-les-armes-19280.html

–        Article du Monde « Lever l’embargo sur les armes en Syrie, un message envoyé à Bachar Al-Assad » du 29 mai 2013 (FR) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/29/la-levee-de-l-embargo-sur-les-armes-en-syrie-un-faux-debat_3419678_3218.html

–        Article de Bruxelles 2 « Syrie, peut on croire en la diplomatie ? » du 29 mai 2013(FR) http://www.bruxelles2.eu/zones/moyen-orient/syrie-peut-on-encore-croire-en-la-diplomatie.html

–        Interview de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS « Syrie : quelles perspectives d’évolution du conflit ? »(FR) http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8215

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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  1. Benedict

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