Maroc et Union européenne. Conclusion du partenariat pour la mobilité : quand se mêlent perspectives nouvelles et réserves.

Après cinq années de négociations, qui constituent une durée respectable pour un partenariat à la mobilité, le 8 avril 2013, le Maroc et l’Union européenne se sont entendus sur « la déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le Royaume du Maroc et l’UE et ses EM ». Neuf Etats membres y ont donné leur aval : Belgique, Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède et Royaume-Uni. Soulignons que le Maroc est le premier pays du pourtour méditerranéen à s’engager dans une telle coopération et qu’il se classe au 7ème rang des pays dans le monde pour le nombre de visas Schengen délivrés. Un partenariat qui pose autant de questions qu’il n’ouvre de perspectives.

             On le sait, l’approche globale des migrations telle que défendue à l’heure actuelle n’a pas toujours été de mise pour l’Union européenne. Pendant longtemps, ses relations avec les pays tiers ont été rythmées par la préoccupation de la lutte contre l’immigration illégale et dans ce but, à une « course aux accords de réadmission ». Cependant, les pays tiers, dont le Maroc ont longtemps été récalcitrants à une telle externalisation par l’Union européenne pour au moins une double raison : d’une part, mettre en place de tels accords coûte cher car ils nécessitent de nombreuses réformes liées à un meilleur contrôle des frontières extérieures notamment. D’autre part, rappelons l’importance cruciale des transferts de fonds réalisés par les migrants marocains réussissant à atteindre l’Union européenne ou venant de ceux originaires d’Afrique subsaharienne faisant transit au Maroc. Selon la Banque Mondiale, en 2011 les transferts financiers des migrants vers les pays en développement auraient atteint 351 milliards de dollars, soit plus de deux fois et demi le montant de l’aide publique au développement. (cf. Nea say)

 S’il est intéressant, dans le cadre de cet article, de revenir sur ce qui a précédé l’approche globale, c’est bien parce que le Maroc a été au coeur de la prise de conscience par l’Union européenne de la nécessité de nouvelles perspectives. Revenons à l’année 2005 et à l’événement largement relayé par les médias de Ceuta et Mellila, les deux enclaves espagnoles situées sur la côte méditerranéenne du Maroc. Cinq cents migrants d’Afrique subsaharienne avaient alors tenté massivement de pénétrer sur le territoire espagnol via ces deux enclaves. La répression a hautement heurté l’opinion publique, celle-ci ayant occasionné la mort de 11 individus. Ainsi, officiellement, l’Espagne et le Maroc ont signé un accord de réadmission en 1992 mais le Maroc faisant état d’une « clause de provenance » (obligation de prouver que l’individu est passé par le Maroc), cet accord s’est souvent révélé sans réelle répercussion pour l’Espagne. Ce qui ressort de cette catastrophe est bien illustré par le rapport de Médecins sans Frontières : ainsi, sur la période 1995-2005, 6300 migrants auraient péri dans la tentative de rejoindre l’Espagne via le Maroc. De même, en 2004, 17 252 migrants irréguliers venant en particulier d’Afrique subsaharienne avaient été appréhendés et sur les 177 demandes d’asile posées, aucune décision positive constatée. On voit donc que si le Maroc se refusait à être « le gendarme de l’Europe », la pression exercée par l’Union européenne quant à la lutte contre l’immigration irrégulière a fait des victimes, mais aussi réfléchir à la dimension externe de l’asile et de l’immigration. Ces incidents graves ont été à l’origine d’une prise de conscience nouvelle où a été amorcée une nouvelle politique.

 En effet, dès 2005, « l’approche globale » remplace la vision autocentrée de l’Union européenne vers une approche multidimensionnelle : on y prône certes toujours la lutte contre l’immigration illégale mais il est désormais question également de favoriser l’immigration légale et d’appréhender les migrants comme véritables vecteurs de développement. Le tout étant censé être au bénéfice de tous les acteurs : Union européenne, pays tiers et migrants dans une approche qui se veut orientée vers le credo du « donner plus pour recevoir plus » : la conditionnalité politique donne le tempo du partenariat. Cependant, entre 2007 et 2010, le programme thématique « Migrations et asile » n’aurait consacré que 17% de ses fonds à la migration économique pour 28% au développement et surtout toujours 31% à l’immigration irrégulière. De même, les perspectives pour 2008-2013 ne sont pas plus optimistes puisque Eurasylum et l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) portent peu d’espoir sur une augmentation importante du financement de la migration économique. D’autant plus que la crise économique et la croissance des préoccupations sécuritaires tendent toujours, dans la dialectique entre le bouclier et l’épée, à favoriser le pôle épée de la politique d’asile et d’immigration plutôt que le pôle bouclier.

L’un des instruments phare de cette approche de l’Union européenne est le partenariat à la mobilité. Si dans un premier temps, des partenariats, il faut en convenir, à faible enjeu stratégique ont été conclus, depuis 2011 le cap est désormais mis sur les pays du sud. En effet la COM(2011)292/3 ouvre le dialogue sur la migration, la mobilité et la sécurité avec les pays au sud de la Méditerranée, dialogue d’autant plus nécessaire au vu des secousses migratoires provoquées par le printemps arabe.

 Après avoir longuement posé le contexte et le soubassement historique des relations euro-marocaines, venons-en au Maroc lui-même, parfois qualifié de « champ d’expérimentation JAI ». Si la question de l’importance stratégique du Maroc posait encore certains doutes, il est nécessaire de rappeler que celui-ci est un pays de transit, même s’il devient parfois un pays de destination par défaut : selon l’enquête AMERM (Association Marocaine d’Etudes et de Recherches sur les Migrations), la durée moyenne de séjour au Maroc serait de 2,5 années environ pour l’ensemble des migrants subsahariens enquêtés. Si jusque là il y avait un « Plan d’action UE-Maroc » depuis 2005 ainsi qu’un « Plan d’action pour la mise en oeuvre du statut avancé », le Maroc s’est enfin donné le grade de gendarme de l’Europe en matière migratoire

Reprenons certaines des mesures phares de ce partenariat. Une facilitation en matière de visa est prévue, une promotion de l’intégration, la lutte contre l’immigration irrégulière est également promue.

 On remarque que l’accent est fortement mis sur l’immigration légale : on y évoque une meilleure information des possibilités d’immigration légale pour les marocains mais aussi un ensemble de facilitations notamment pour les chercheurs et étudiants via une reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et universitaires. On le sait, face au vieillissement de la population et du manque de travailleurs qualifiés dans l’Union européenne, cet aspect est d’une importance stratégique. Ainsi en 2008, 10,4% des émigrants marocains avaient un niveau d’étude supérieur, auxquels il faut ajouter 40% de ceux qui ont terminé le secondaire.  De même, en Belgique, le groupe le plus important des entrepreneurs extra-communautaires est celui constitué des marocains, soit 8% du total. Aux, Pays-Bas, ce taux atteint même les 12%. De même, le fait que 48,5% des migrants de transit aient un niveau supérieur au primaire, 32,4% un niveau secondaire et 16% un niveau supérieur pourrait heurter les stéréotypes. Finalement, seuls 31,7% de ces migrants n’auraient aucun niveau d’instruction selon un rapport du CARIM (Consortium for Applied Research on International Migration).

Mais cette volonté d’attirer les travailleurs qualifiés ne fait pas l’unanimité notamment auprès d’Abdellatif Maâouz, ministre chargé des marocains à l’étranger qui prône la mise en place de « systèmes de compensation » : ce départ des « talents », sous-entendu les travailleurs qualifiés, doit être compensé via un programme de mobilisation des compétences marocaines, destiné aux travailleurs voulant apporter leur contribution au développement de leur pays d’origine.

 De même, il est évoqué au sein de ce partenariat, les négociations sous-jacentes aux accords de réadmission. Il est cependant difficile d’envisager un quelconque accord sans la mise en place par le Maroc des mécanismes adaptés de protection associés.

 Ainsi, nous l’avons dit, trois acteurs sont au coeur de ces partenariats à la mobilité : l’Union européenne, le pays tiers, en l’occurrence ici le Maroc et les migrants. Justement, la perspective d’un accord de réadmission laisse-t-il une place décente aux migrants ? C’est à partir de cette interrogation que le REMDH (Euro-mediterranean Human Rights Network) invitait dans une note publiée le 22 juin 2011 à « plutôt que de présenter la lutte contre l’immigration irrégulière et les accords de réadmission comme le prix à payer par les pays tiers pour espérer obtenir une dose de migration légale à destination de l’Europe, de favoriser réellement et sans préalable la mobilité des citoyens du sud de la Méditerranée en leur permettant plus largement de circuler ou de migrer vers l’Europe ».

 Après sa visite au Maroc en septembre 2012, le Rapporteur spécial des Nations Unies, Juan Mendez,sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dresse un portrait tout à fait inquiétant. En effet, après avoir évoqué les efforts réalisés par le Maroc en opposition avec « les années de plombs » (1956-1999) ou celui-ci se serait rendu coupable de nombreux cas de torture et de mauvais traitements, c’est à un constat tout aussi noir qu’il faut se préparer. Ainsi, les conditions de détention sont pour lui à améliorer, des passages à tabac et violences sexuelles subies par les migrants subsahariens sont également évoqués, de même que des expulsions illégales et collectives de migrants violant dans le même temps le principe de non-refoulement.

 Si le Maroc a ratifié la Convention de Genève dès 1956, il n’existe toujours pas de législation spécifique en matière d’asile puis qu’aucune procédure nationale d’application n’existe. On peut s’étonner par exemple que la loi de novembre 2003 sur l’entrée et le séjour des étrangers, l’émigration et l’immigration irrégulière n’ait pas incorporer le principe de non-refoulement. De même, le bureau des réfugiés et apatrides a suspendu ses activités en 2004, transmettant le flambeau au HCR : problème, la carte délivrée par le HCR n’a aucune valeur pour les autorités nationales, pas plus en termes de droits sociaux,droit  au séjour et au travail. D’ailleurs, faudrait-il que les demandeurs d’asile puissent atteindre les bureaux du HCR. Dans le rapport de suivi de 2012 de la Politique européenne de voisinage, il est expliqué que même si le droit d’asile a été inscrit dans la nouvelle constitution, il n’y a pas de changement notable pour le moment. Rappelons également que au Maroc, la sortie du territoire non autorisée est passible de sanctions pénales : idée totalement opposée au droit de toute personne à quitter n’importe quel pays y compris le sien prôné par le PIDCP.

Enfin, pour clore l’idée qu’avant même d’évoquer des négociations quant à un accord de réadmission, la place des migrants doit être envisagée sous un œil nouveau, attardons nous sur le rapport de mars 2013 réalisé par Médecins sans frontières qui note que : «  A partir du mois de décembre 2011, une recrudescence importante des abus a été constatée ainsi qu’une forte violence et des comportements à caractère dégradant envers les migrants subsahariens exercés par les forces de sécurité marocaines et espagnoles (…) (Ce rapport) donne un aperçu du degré alarmant des violences sexuelles auxquelles sont exposées les migrants durant tout le processus migratoire et demande de réserver aux personnes affectées une meilleure assistance et une plus solide protection ».

Si ici ont été abordés certains points de division substantiels, des questions quant à l’accord en lui-même pourraient être posées : Pourquoi après avoir tant refusé d’être le gendarme de l’Europe un tel revirement de la part du Maroc ? Si les coûts de la mise en place d’un tel partenariat ne sont pas à démontrer d’un côté comme de l’autre, quels en sont les apports bénéfiques réels  ? Pourquoi ce partenariat a-t-il provoqué le déplacement du président de la Commission, Juan Manuel Barroso en personne ? Y-a-t-il eu un marchandage contre des éléments d’autres secteurs comme par exemple touchant à la politique étrangère ?

 Face à ces interrogations ne demeure pourtant qu’une seule certitude : ce partenariat inaugure une toute nouvelle ère. L’ère des partenariats pour la mobilité à connotation stratégique forte, l’ère d’une ouverture vers les pays du sud peu enclins à coopérer dans un premier temps, mais surtout l’ère d’une approche où l’on reçoit tout autant qu’on donne. Désormais, c’est à un effet d’entraînement qu’il faut se préparer : la Tunisie et la Jordanie se sont déjà ouverts au dialogue, leur uniforme de gendarme n’étant dès lors plus qu’à ajuster. D’ailleurs, Laura Baeza, chef de la délégation européenne en Tunisie déclarait ce 13 juin 2013 vouloir hisser les relations euro-tunisiennes « à un niveau supérieur et stratégique ». Quoi qu’il en soit, si ce partenariat risque de faire des remous dans toute la Méditerranée, les contours même de cette vague marocaine restent eux mêmes encore  largement à définir.

 

 Louise Ringuet

 

Pour en savoir plus :

 –            Communiqué de presse du 7 juin 2013 : « L ‘UE et le Maroc signent un partenariat pour gérer la migration et la mobilité » :

http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-513_fr.htm

 –            Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants :

http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session22/A-HRC-22-53-Add-2_fr.pdf

 –            Communiqué de presse sur les Accords de réadmission :

http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-05-351_fr.htm

 –            Communiqué de presse sur l’incident de Ceuta et Melilla :

http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-05-380_e.htm?locale=FR

  –            Déclaration conjointe établissant un Partenariat de mobilité entre le Royaume du Maroc et l’UE et ses Etats-membres :

http://www.parlament.gv.at/PAKT/EU/XXIV/EU/11/25/EU_112554/imfname_10400628.pdf

  –            COM(2011) 292/3 « A dialogue for migration, mobility and security with the southern Mediterranean countries » :

http://www.west-info.eu/files/communication-on-migration-from-North-African-countries.pdf

  –            Rapport du CARIM « La migration des personnes hautement qualifiées-Le cas du Maroc »

http://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/13689/CARIM_ASN_2010_37.pdf?sequence=1

  –          Point de vue du Euro-Mediterranean Human Rights Network :

http://www.euromedrights.org/fra/wp-content/uploads/2012/07/Partenariat-pour-la-mobilité_FINAL_FR.pdf

  –            Rapport de MSF « Violences, vulnérabilité et Migration : bloqués aux portes de l’Europe »,

http://www.msf.fr/sites/www.msf.fr/files/informemarruecos2013_fr_0.pdf

  –            Allocution de Mme Laura Baeza à Tunis :

http://eeas.europa.eu/delegations/tunisia/documents/press_corner/allocution_lb_forumtunis_13juin2013_fr.pdf

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cet article a 2 commentaires

Laisser un commentaire