Rapport Duff : « Européaniser, politiser la campagne européenne de 2014 » : la théorie et le contexte le permettent-ils ?

Les élections européennes de mai 2014 approchant, le temps est propice à un petit bilan de ce qui nous attend. L’adoption le 4 juillet dernier de la résolution non-législative d’Andrew Duff (ALDE) avec une large majorité (507 voix pour, 120 contre, 18 abstentions) constituera la matière première de cet article. Cependant, si Viviane Reding saluait ce rapport comme prometteur pour «améliorer la participation aux prochaines élections européennes » et « renforcer le rôle direct des citoyens de l’UE dans la démocratie en Europe », nous le confronterons à la théorie et au contexte et nous nous interrogerons sur son apport substantiel.

 Paul Magnette (PS, Belgique) résume peut être le mieux la situation qui nous préoccupe à l’aube des élections européennes de 2014 : « Parlement puissant, électeurs absents ? ». Parlement puissant, rien n’est plus vrai, du moins en théorie, depuis le traité de Lisbonne où le Parlement s’est vu promu au rang de co-législateur. En ce qui concerne « les électeurs absents », les chiffres ne peuvent pas mieux nous renseigner  : en 1979, le taux de participation était de 62% des inscrits, en 2004, il était de 45,47% des inscrits et en 2009 de seulement 43,1% des inscrits. A cette faible participation s’ajoute une prééminence des enjeux nationaux lors des débats lors des  élections européennes : ces deux éléments se conjuguent pour faire des élections européennes ce que Reif et Schmitt (1980) appelaient des « élections nationales de second ordre ». Cette expression constitue le symptôme du ressenti des citoyens européens : faute de comprendre son fonctionnement, son apport et son évolution, les véritables enjeux, ils se détachent de plus en plus de l’objet européen. Ainsi, voter est l’expression ultime de la participation à une communauté politique à laquelle on se sent appartenir et pour laquelle on souhaite qu’elle aille dans une direction ou l’autre : Sans légitimité ni compréhension du fonctionnement européen, comment déterminer la direction d’un vote ? C’est donc, selon Olivier Rozenberg (Centre d’études européennes), sur l’incapacité des élections européennes à produire de l’identification politique qu’il convient de s’interroger en partant des intérêts et interactions des acteurs en jeu plutôt que des attributions du Parlement ».

 C’est face au même constat qu’Andrew Duff était parvenu quand il déclarait : « Nous avons passé beaucoup de temps à augmenter le pouvoir de ce Parlement mais on a pas réussi à augmenter sa popularité ».

La présentation du dernier « Bilan social de l’Union européenne de 2012 » lors d’une conférence organisée par Ose et Etui nous amène à d’autres éléments relativement inquiétants quant aux futures élections européennes. David Natali (OSE), s’est attardé sur la crise politique traversée par l’Union européenne. Dans un premier temps, il développe le problème du déficit démocratique allié à un manque de légitimité presque chronique : l’Union européenne est perçue comme intrusive dans les politiques nationales, cela plus pour manier « le bâton » que la « carotte ». Ainsi, perçue comme responsable des mesures d’austérité imposant de gros sacrifices au niveau national, l’Union européenne ne serait plus que le « mauvais flic », celui qu’on aime à éviter en restant chez soi. La métaphore est d’autant plus vraie que les résultats ne légitiment guère de tels sacrifices. Si l’Union européenne fait face, on l’aura compris, à une crise politique, le niveau national n’en est pas épargné : les Etats membres sont touchés par des vagues de populisme jouant avec l’entretien d’un sentiment anti-européen, l’Europe étant instrumentalisée pour en faire la source de tous les maux. David Natali termine en résumant la situation au travers de pourcentages frappants : si la confiance des citoyens en l’Union européenne était de 50% en 2004, elle n’est plus que de 33% en 2012. Philippe Courard (secrétaire belge pour les affaires sociales), autre intervenant, insiste lui sur l’importance des élections de 2014 : pour lui, pas de doutes, les structures européennes doivent à son sens être simplifiées pour être mieux comprises. C’est là aussi ce qu’Andrew Duff avait annoncé : la nécessité d’une « campagne électorale de 2014 plus intéressante, plus européenne et plus politique que les élections précédentes ».

 On comprend donc au travers de ces éléments, sur quel chantier les élections européennes sont bâties : cependant, le 4 juillet dernier a été adopté la résolution non-législative d’Andrew Duff : les fondations sur lesquelles seront basées les futures élections en ressortent-elles plus solides ?

 D’abord, face à la prééminence des enjeux nationaux sur les enjeux européens lors des dernières élections, Andrew Duff préconise un ensemble de mesures pour focaliser à nouveau l’attention sur l’objet européen : le nom des candidats aux élections législatives européennes doit être rendu public six semaines avant la tenue des élections, le nom ou l’emblème des partis politiques européens doivent figurer sur le bulletin de vote, le candidat à la présidence de la Commission pour chaque parti doit être connu suffisamment tôt pour permettre une campagne et un débat efficace à l’échelle européenne, les partis nationaux doivent souligner à quel parti politique européen ils appartiennent. Finalement, l’ensemble de ces aspects « d’un point de vue qualitatif sont quelque chose de nouveau, cela modernise la procédure électorale et brise le monopole que les Etats ont sur les élections européennes » selon le rapporteur Andrew Duff. D’autre part, la parité est elle aussi mise en avant. Ne parlons pas trop vite, même si un amendement réclamait la parité, seule une présence accrue des femmes est requise. On regrettera pour cet aspect, mais aussi pour d’autres développés ici que certains amendements plus restrictifs aient été laissés de côté. Enfin, concernant des aspects plus pratiques, une campagne publique devra être lancée pour inciter à plus de participation, de même que les résultats officiels ne devront pas être communiqués avant la fermeture de tous les bureaux de vote.

 Finalement, même au vu des freins théoriques et contextuels, on saluera le rapport d’Andrew Duff pour avoir le mérite de « passer à la vitesse supérieure pour que les électeurs puissent faire des choix sérieux sur les sujets politiques importants qui sont désormais également traités par le Parlement européen », selon ses propres propos. Cependant, cette seule résolution ne peut suffire à une crise qui si elle était d’abord économique est devenue sociale et politique. Néanmoins, chaque pas vers une prise de conscience par les citoyens de l’apport européen mérite d’être salué. Nous conclurons avec les mots d’André Frossard : « L’Europe cherche, avec raison à se donner une politique et une monnaie commune mais elle a surtout besoin d’une âme ».

 Louise Ringuet

 

 Pour en savoir plus :

 

 Résolution du Parlement européen du 4 juillet 2013 sur l’amélioration des modalités pratiques d’organisation des élections européennes de 2014 : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference=P7-TA-2013-323

Fiche de procédure de la résolution : http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2013/2102(INI)&l=FR

 Article CAIRN – « L’influence du Parlement européen et l’indifférence de ses électeurs : une corrélation fallacieuse ? » – Olivier Rozenberg – 2009 :http://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2009-2-page-7.htm

 Dossier Diploweb.com – Parlement européen : participation et abstention, 1979-2009 :http://www.diploweb.com/Parlement-europeen-participation.html

 Europarl – « Européaniser les élections européennes : entretien avec Andrew Duff » – 30 septembre 2010 : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/content/20100927STO83663/html/Européaniser-les-élections-européennes-entretien-avec-Andrew-Duff

 Communiqué de presse – Rendre les élections européennes plus européennes, affirme la commission des affaires constitutionnelles – 28 mai 2013 : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=IM-PRESS&reference=20130527IPR10528&format=XML&language=FR

 ETUI-OSE – « Social developments in the European Union – 2012 : http://www.ose.be/EN/agenda.htm#050713

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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