Décrypter le passé du Parlement Européen pour en anticiper le futur : premiers pronostics de l’organisation Votewatch sur les élections européennes de 2014.

            Le Parlement européen attend avec anxiété les prochaines élections européennes de 2014. Et pour cause : son avenir ne semble pas être des plus radieux si l’on en croit les premières intentions de vote délivrées par YouGov et IFOP. Elles illustrent dans de nombreux états-membres une montée plus que significative du vote pour les partis populistes d’extrême-droite, mais aussi d’extrême gauche. Sommes-nous en présence d’un danger réel ou ces derniers sondages ne constituent-ils qu’un énième scénario catastrophe improbable ? C’est la question qu’a tenté d’élucider Votewatch  début Juillet lors de la publication de son dernier rapport.

            Votewatch est une initiative citoyenne encadrée par des chercheurs qui entend proposer aux européens un moyen efficace de suivre les faits et gestes politiques de leurs représentants. Son site, très clair, permet pour chaque formation politique et pour chaque état-membre de voir non seulement qui à voter quoi, mais surtout d’analyser les désormais célèbres pourcentage de présence, d’abstention et de loyauté vis-à-vis de la formation politique qui ont largement été médiatisés en 2012.

 Fort de cette capacité à étudier l’ensemble du travail des parlementaires européens, l’association a profité des élections qui s’approchent à grand pas,  pour dresser une analyse générale de la 7ème législature du Parlement européen  actuel. Un bilan complet essentiel pour comprendre le futur Parlement « post-2014 », reposant sur l’interprétation des dix résolutions les plus marquantes de l’institution de 2008 à aujourd’hui (à savoir l’allongement du congé maternité, la sortie du nucléaire, la création des eurobonds, la taxe sur les transactions financières, la ratification d’ACTA, l’augmentation du fonds du MESF, le budget de la PAC, la fixation du prix du carbone, la réforme du nombre de sièges par circonscription au Parlement Européen et le Grand Marché Transatlantique).

             Le rapport, très complet, propose une étude approfondie de chacun de ces dix votes, par partis européen, par partis nationaux tout en étudiant les dissidences internes à chacun. Nul besoin de rentrer dans les détails ici, nous nous attarderons plutôt sur une des leçons à tirer de cette étude : la décision au Parlement est le fruit d’un équilibre très fragile que les élections de 2014 peuvent remettre gravement en question.

             L’efficacité du Parlement peut être éclairée par un constat simple. Loin des systèmes nationaux où une majorité peut sauf exception majeure légiférer seule, il est une institution ou le plus large consensus possible doit être obtenu à la suite d’accords important entre partis. Il est systématiquement recherché. Pourquoi ? Parce que les parlementaires se doivent de trouver un texte de compromis entre familles politiques, un compromis  suffisamment clair et efficace pour contrebalancer le Conseil, seconde « chambre européenne » de codécision. Plus les familles politiques arrivent à se mettre d’accord sur les points essentiels d’un rapport sur une proposition de la Commission, et plus le Parlement dans son ensemble peut se mesurer aux avis du Conseil.

 Il est cependant bien sûr très intéressant pour un parti européen d’influencer le plus possible la résolution, afin que ses idées soient les mieux représentées. Pour cela, un parti a besoin de quatre atouts, mis en équation par Votewatch pour étudier l’impact de chaque famille : un maximum de sièges possibles, un nombre de rapporteurs conséquents (et donc un maximum de députés européens actifs et sérieux), un minimum de dissidences internes et enfin une capacité à trouver des alliés chez les autres partis sur des thèmes précis.

            On l’aura compris, selon Votewatch, pour son bon fonctionnement, le Parlement a besoin d’être le moins fragmenté possible. Le septième Parlement européen dispose globalement de ces atouts et de cet équilibre.

             Le Parlement de 2008 à 2014 est marqué par deux grands partis majoritaires, le parti chrétien-démocrates de droite du PPE (dont l’UMP est membre), avec 298 eurodéputés, et le parti social-démocrate, coalition dont le PS français fait partie, avec 195 membres. Ces deux partis n’ont pas assez d’eurodéputés pour pouvoir faire passer seul des résolutions (et en vérité, la nature consensuelle du Parlement présenté plus haut les en empêcherait même en cas de majorité absolue), mais il dispose globalement d’un nombre de parlementaires suffisant pour maintenir leur suzeraineté sur les autres familles politiques, d’un nombre de rapporteurs très conséquents et de parlementaires très actifs, ainsi que d’une dissidence non seulement très faible mais également en recul par rapport à l’état du sixième parlement (pour prendre l’exemple français, l’UMP vote à 95% les consignes du PPE, et le PS à 90% les avis du groupe S&D). De part ces qualités, les deux partis maintiennent l’équilibre nécessaire du Parlement, parfois au détriment de leur propre idéologie : sur les dix résolutions étudiées, sept ont été voté par une consigne de vote commune entre PPE et S&D.

             Le Parlement survit très bien aux dissensions possibles entre PPE et S&D par un « parti pivot » qui peut faire des alliances tantôt avec le PPE et tantôt avec le « S&D », le parti libéral du Parlement : l’ALDE. Avec une discipline intérieure très importante, et un nombre de rapporteurs conséquent, ses 95 députés permettent aux deux partis majoritaires d’utiliser ce groupe centriste pour former des alliances sur certains thèmes : alors que l’ALDE a tendance à s’allier au PPE sur les questions économiques, il est un allié de choix pour les S&D sur les questions de libertés fondamentales et d’immigration. Ce besoin des partis majoritaires des votes de l’ALDE et son caractère centriste fait de ce parti malgré son nombre de députés moyennement important un des plus puissants et des plus audibles des partis du Parlement.

             Malgré le nombre important de partis, l’équilibre est maintenu car les deux partis majoritaires peuvent également compter sur d’autres alliés, d’une importance moindre mais bien souvent loyaux. Les sociaux-démocrates trouvent sur certains points un appui dans deux coalitions plus à gauche que lui : les Verts Européens, parti très soudé et très médiatique (dont Europe Ecologie fait bien sûr parti), mais aussi la Gauche Unitaire, dont le Front de Gauche est une composante, mais dont le petit nombre de députés modère l’importance au Parlement. La même chose peut-être dite pour les Conservateurs du CRE, allié obligatoire du PPE. Ces deux groupes n’ont qu’une importance relative, et ne sont que peu courtisés par les deux groupes majoritaires, tout comme les deux groupes d’extrême-droite,  l’ALE et les non-inscrits, qui eux préfèrent ne pas jouer du tout le jeu des alliances du Parlement dans la plupart des cas. A cet égard remarquons que le fait pour les conservateurs britanniques de d’être sorti du PPE a constitué une erreur stratégique de première importance s’accompagnant d’une perte d’influence considérable.

             Cette situation du Parlement, ou deux ou trois partis majoritaires peuvent passer des résolutions avec une certaine facilité, peut être sévèrement remise en question aux élections de 2014. Votewatch a mis en lumière un risque majeur qui risque de se réaliser dans un an : celui d’une fragmentation du Parlement lui faisant perdre sa capacité à passer des résolutions consensuelles, et donc sa facilité à être le contre-pouvoir des décisions du conseil. Les tendances européennes semblent démontrer que le danger est réel et immédiat : les partis majoritaires, fragilisés, risquent de dépendre de plus en plus du consentement de partis plus à gauche que les sociaux-démocrates et plus à droite que le PPE, rendant les consensus beaucoup moins facile à construire. Sans consensus, l’efficacité du Parlement risque d’être bien freinée.

             On ne peut que penser à la vie politique française actuelle pour étayer les pronostics de Votewatch. Deux estimations des chances de chaque parti aux élections européennes ont été mené, et toutes deux dressent un bilan dramatique : si l’on croit l’IFOP dans son analyse du 5 Juin, le PS (21%) et l’UMP (21%) pourraient bien jouer au coude-à-coude en 2014, mais ils risquent de subir la compétition farouche du FN (21%) qui a fait de l’euroscepticisme son cheval de bataille avec un succès palpable, accentué par la crise économique. Les deux partis majoritaires de la politique française risquent de n’envoyer qu’un nombre limité d’eurodéputés modérés. L’UMP, qui aurait dû bénéficier de la mauvaise popularité de François Hollande auprès des français, semble fragilisé par son manque de leadership clair, par les séquelles du duel Coppé-Fillon et par les multiples affaires judiciaires dans lequel l’opposition au gouvernement s’englue.

 Les socialistes pâtiront eux sans doute de leur exercice du pouvoir en période de crise et peut-être de leur contradiction interne sur le sujet européen, entre une aile droite ouvertement pro-européenne et une aile gauche alter-européenne peu éloigné des positions du Front de Gauche. Il se pourrait d’ailleurs que ce dernier, unique anomalie dans les deux enquêtes, bénéficie de la chute libre du PS dans le cœur des français : si l’IFOP ne donne que 8% à la coalition de gauche radicale YouGov lui donne plus de 15% face à un PS à un score similaire. Le mouvement, qui tend de plus en plus à être la seule formation à la gauche de la gauche, est relativement jeune, son socle électoral encore changeant, et son discours sur l’Europe difficile à percevoir, allant de la proposition d’une autre Europe par la réforme jusqu’à la table rase, insistant tantôt sur l’internationalisme inhérent au socialisme, puis ensuite sur le besoin de souveraineté nationale. Tous ces facteurs font du score du Front de Gauche le mystère le plus déterminant des élections à venir, et le scénario d’un dépassement du PS n’est pas si fantaisiste : plongé dans la crise du « Congrès de Reims » le PS en 2008 avait tout de même perdu 17 sièges au profit d’une autre formation : Europe Ecologie.

 Europe Ecologie et le MODEM de François Bayrou seraient pourtant aux prochaines élections en assez mauvaise posture. Privé de sa figure de proue, Daniel Cohn-Bendit, il semble assez évident qu’Europe Ecologie ne pourra réaliser à nouveau son exploit de 2008, ou le parti avait été le premier parti de gauche en France au Parlement Européen. Le MODEM peinerait à décoller, dû en particulier à son manque d’adhérents et de médiatisation.

Si l’exemple français a un sens plus général (et il semble que oui, les autres états-membres de l’UE suivent des évolutions assez similaires sur le sujet), un Parlement Européen constitué en plusieurs pôles de puissance égales bien incapable de mener des négociations ensemble risque de voir le jour. Les avertissements de Votewatch sont décidemment à prendre au sérieux, d’autant plus que l’extrême-droite crée toujours un bloc de plus en plus important à l’extérieur de toutes négociations possibles. Simon Hix, chercheur réputé sur les affaires européennes et invités par Votewatch, se voulait rassurant : une famille politique unie de l’extrême-droite et des partis populistes de droite est impossible, puisque la plupart du temps, leurs objectifs sont opposés. Impossible donc d’alliés des anti-islam à des antisémites, ni des ultra-libéraux à des protectionnistes. On y croirait si le Front National depuis les années 80 n’avait pas justement prouvé le contraire, en soudant des tendances d’extrêmes-droite parfois très antagonistes, avec le malheureux succès qu’on lui connaît aujourd’hui.

  

Yoann Fontaine

 

 

Pour en savoir plus :

 – Intention de vote aux européennes de 2014, une étude de l’IFOP.

http://www.ifop.fr/?option=com_publication&type=poll&id=2253

 – Sondage YouGov pour I-télé et le Huffington Post sur les intentions de vote aux européennes de 2014.

http://www.huffingtonpost.fr/2013/06/13/europeennes-2014-fn-ps-ump-sondage-yougov_n_3428818.html

 – Site Internet de Votewatch

http://www.votewatch.eu/

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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