Myanmar : faut-il condamner les élections du 7 novembre 2010 ?

A l’approche des élections législatives, les avis sont divisés sur l’attitude à adopter par rapport au processus électoral. Si certains voient les élections comme un moindre mal, et portent sur elles un regard plutôt bienveillant malgré les nombreuses irrégularités dont le processus est entaché, d’autres sont plus sceptiques et estiment qu’une condamnation intégrale est la seule réaction adaptée.

Trois ans ont passés depuis la Révolution de Safran, dont le nom fait référence aux toges des bonzes ayant pris part aux manifestations contre le régime de Than Shwe.

Trois ans ont passé depuis que les moines bouddhistes sont descendus dans les rues de Birmanie pour protester pacifiquement et demander le respect des droits de l’homme. Ils ont été arrêtés, torturés, emprisonnés.

Les élections législatives à venir pourraient-elles annoncer un tournant démocratique pour ce pays jusqu’ici mené par la junte et son dirigeant ubuesque, le général Than Shwe ?

L’opinion internationale est divisée. Si, lors de la 65e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le Myanmar a promis d’organiser des élections « libres et justes » , d’aucuns considèrent néanmoins le processus comme étant une mascarade destinée à légitimiser la dictature déjà en place.

C’est notamment le cas des trois invités entendus le 30 septembre au Parlement européen, à l’occasion d’une réunion du Sous-comité des droits de l’homme.

Benedict Rogers, le responsable Asie du Sud-Est pour l’ONG Christian Solidarity Worldwide , estime ainsi qu’« il est futile de penser que l’on pourra réussir à faire changer ce régime et à l’entrainer sur la voie d’une démocratisation, même modeste ».

Il appelle de ses vœux une action plus engagée de la part de l’Union Européenne, qui doit selon lui suivre la voie du Parlement européen. A l’instar de pays tels que les Etats-Unis, l’Australie ou encore le Canada, celui-ci a en effet apporté son soutien officiel aux recommandations du Rapporteur spécial pour le Myanmar auprès des Nations-Unies, Tomas Ojea Quintana, qui préconise la création d’une commission d’enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par la dictature.

Zoya Phang, coordinatrice internationale de Burma Campaign UK, juge pour sa part que les élections législatives ne changeront pas la situation sur le terrain, et insiste également sur la demande d’une commission d’enquête. Elle rappelle que l’Union Européenne n’a pour l’instant pas soutenu officiellement cette demande, en dépit de l’adoption par le Parlement d’une résolution dans laquelle ce dernier « note que les lois et décrets électoraux publiés violent tous les principes démocratiques et ne permettent pas la tenue d’élections libres, en particulier en excluant les 2.200 prisonniers politiques recensés et en privant de leur droit de vote des membres d’ordres religieux, dont quelque 400.000 moines bouddhistes » .

L’Union, estiment les deux invités, doit également pousser les Nations-Unis à relancer un processus de dialogue à haut niveau pour obtenir la réconciliation nationale. C’est également la position de la troisième oratrice, Debbie Stothard, coordinatrice de l’ALTSEAN (Alternative ASEAN Network on Burma), qui rappelle qu’aujourd’hui plus que jamais, l’Europe doit être ferme pour défendre les droits de l’homme et la démocratie.

Tous sont unanimes : l’Union Européenne doit reconnaître le caractère factice des élections du 7 novembre, et par conséquence les rejeter dans leur intégralité.

Face à ces déclarations, Seamus Gillespie, DG relex, réplique qu’« on ne pourra évaluer la situation qu’au début de l’année prochaine ». A l’instar du Groupe d’amis sur le Myanmar, qui pose un regard relativement bienveillant sur le processus électoral à l’œuvre, Gillespie estime qu’on ne peut ignorer le progrès que constitue la mise en place de ces élections, malgré les conditions difficiles dans lesquelles elles auront lieu.

Quant à la demande d’une commission d’enquête, Gillespie semble sceptique, et s’interroge sur les changements concrets qu’une telle initiative pourrait apporter.

A l’opposé de cette position modérée, certains estiment que nul progrès ne pourra être constaté si les élections ne se déroulent pas dans des conditions entièrement démocratiques : libération des prisonniers politiques, conditions de campagne permettant l’égalité entre tous les candidats, …

En 2008, déjà, Human Rights Watch notait dans son rapport annuel  que les « simulacres de démocratie » minaient les droits de l’homme. Le rapport dénonce notamment la participation des entités européennes à un « jeu de dupes », et condamne l’aveuglement de la communauté internationale, parfois trop prompte à se satisfaire du simple aspect formel des élections.

D’autres voix s’élèvent également pour faire écho à Human Rights Watch ; notamment celles d’Amnesty International et Info-Birmanie.

La première appelle la junte à libérer tous les prisonniers politiques – ils sont, selon Amnesty, plus de 2200 à l’heure actuelle- et attire l’attention sur le fait que « en vertu des lois électorales adoptées en mars 2010, aucun prisonnier politique ne peut participer aux élections ni adhérer à un parti politique » .

La seconde, ASBL française luttant pour les droits humains en Birmanie, se réjouit de l’annonce de la libération prochaine d’Aung San Suu Kyi, symbole de la résistance à la dictature.

Toutefois, la prudence se mêle à la joie, et Isabelle Dupuis tempère en affirmant que « la junte compte certainement utiliser la libération d’Aung San Suu Kyi comme tactique pour obtenir l’aval de la communauté internationale concernant les élections à venir ». Selon elle, il ne faut en aucun cas « voir la libération d’Aung San Suu Kyi comme une ‘ouverture’ de la part du pouvoir   militaire » .  Ici aussi, on appelle à la libération de tous les prisonniers politiques sans distinction.

Le problème reste donc, toujours aux termes d’Isabelle Dupuis, « le manque de clarté des réactions diplomatiques, et l’absence de réponses fermes et concertées », et notamment de la part de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).

Or, malgré la résolution du Parlement Européen, « l’Union n’a pas initié de pressions tangibles et concrètes sur la junte, pas plus que l’ONU qui est paralysée , et l’ASEAN qui se retranche derrière le principe de non-ingérence dans les affaires internes de ses membres » .

S’il est impossible pour l’instant de lever le voile sur l’avenir au Myanmar, il est en tout cas permis de critiquer les manquements du gouvernement en place dans l’organisation d’élections qui ne sont ni transparentes, ni ouvertes à tous, et dont le résultat risque fort d’être en faveur de la junte.

Malgré sa rhétorique convaincante, il semblerait que l’Union Européenne doive dépasser le stade des discours et, si besoin est, renforcer les sanctions prises à l’égard du Myanmar.

Ainsi, et contrairement à ce que pense Seamus Gillespie, la demande d’ouverture d’une commission d’enquête pourrait être bien plus qu’une simple « déclaration de principe », et pourrait être un premier pas vers une sévérité accrue de la part de la communauté internationale –et, qui sait, vers un futur à l’aspect plus démocratique au Myanmar.

Fanny Davoise

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire