Nominés pour le prix Sakharov : Le courage politique en 7 noms

Ca y est ! depuis le 17 septembre, le Parlement européen a révélé les 7 nominés pour le prix Sakharov. Pour tous ceux qui sont  un peu perdus dans la liste des trophées, oscars, césars et récompenses en tout genre, rappelons  que le prix Sakharov est un prix bien particulier : cette récompense, créée en 1988 vise à gratifier un individu, une campagne, un mouvement symbolisant la tolérance, la lutte contre le fanatisme et l’oppression. Les nominations sont réalisées par un groupe politique ou quarante députés au minimum. C’est à la conférence des présidents que reviendra le loisir de choisir le lauréat parmi les trois finalistes sélectionnés par les commissions parlementaires des affaires étrangères et du développement. La liste  des nominés a été rendue publique ce qui donne une belle occasion de faire un tour d’horizon de ceux, qui par leur combat, rendent à la politique ses valeurs et son sens.

Comment énumérer les noms des nominés au prix Sakharov sans en connaître plus sur celui du prix en lui même ? Andreï Sakharov est le physicien russe à l’origine de la bombe à hydrogène. Très vite cependant, il met en garde l’ensemble des dirigeants face au danger que représente l’armement nucléaire. Perçu comme un dissident en Russie, il obtiendra néanmoins la signature du Traité de 1963 sur les essais nucléaires, et quelques années plus tard, le Prix Nobel de la paix pour la justesse de son combat. On comprend d’autant plus toute la symbolique derrière ce prix, dont l’unique lauréat ne saurait pourtant mettre en avant, tous ces individus qui, par leur action nous rappellent que la liberté et les droits restent en de nombreux lieux encore à conquérir.

Premier nom mis en exergue, celui de Malala Yousafzai. Dès 2009, cette jeune fille, dénonce sur un blog de la BBC la violence des talibans au Pakistan et notamment les incendies répétées des écoles pour filles dans le pays. Elle s’obstinera par la suite dans son militantisme pour le droit à l’éducation des filles au Pakistan, élément d’autant plus surprenant au vu de son jeune âge. Elle sera en octobre 2012 la cible des talibans qui lui tireront une balle dans la tête, incident terrible auquel elle survivra néanmoins. Sa prise de parole aux Nations Unies a impressionné, bouleversé même, une opinion publique pourtant rétive ;

Reeyot Alemu et Eskinder Nega constituent les deuxièmes nominés au prix Sakharov : ces deux individus sont emprisonnés depuis 2011 dans la prison de Kality, en Ethiopie. Ils sont victimes d’une loi anti-terroriste qui autorise l’incarcération de personnalités critiques envers le gouvernement ethiopien. Reeyot Alemu écrivait, elle, sur les inégalités sociales et sexuelles alors que Eskinder Nega présageait un mouvement à la hauteur des révolutions du printemps arabe en Ethiopie si des réformes n’étaient pas rapidement engagées. C’est à une peine respectivement de 14 ans et de 18 ans que ces deux individus sont soumis pour avoir dénoncé ce que le gouvernement s’efforce d’étouffer.

Les trois individus suivants qui sont nominés s’illustrent dans le même combat : les droits de l’Homme en Biélorussie. Ales Bialiatski a été arrêté et emprisonné en 2011 pour une peine de quatre ans et demi pour avoir utilisé ses comptes bancaires personnels en Lituanie et en Pologne afin de financer son organisation des droits humains en Biélorussie, organisation non reconnue, on s’en doute, par le gouvernement. Il n’a de plus pas eu droit à un procès équitable. Eduard Lobau est lui, un activiste en Biélorussie qui milite pour la démocratisation de la Biélorussie. Il a participé à l’organisation de la manifestation contre la réélection en 2010 de Loukachenko, dictateur biélorusse, lors de laquelle il s’est fait arrêté. Enfin, Mykola Statkevich, est lui un homme politique qui s’était présenté comme candidat à la présidentielle de 2010 en Biélorussie, pour un pays démocratique. Lui aussi s’est fait arrêté dans la manifestation organisée par Eduard Lobau.

 

Mikhail Khodorkovsky ajoute son nom à la liste des nominés. Cet homme était craint par sa puissance, car dès l’âge de 40 ans il devient le principal actionnaire de la plus grande firme pétrolière de Russie, achetée pour une bouchée de pain quelques années plus tôt. En 2003, il décide de fusionner sa compagnie avec Sibneft, autre compagnie très puissante dans le secteur des hydrocarbures. Il fait état de son ambition d’ouvrir le capital de sa société à des entreprises étrangères, notamment américaines. A cela, Poutine ne pouvait rester stoïque, étant donné le poids du secteur des hydrocarbures en Russie. D’autant plus que Khodorkovsky n’hésite pas à investir de l’argent dans le développement de la société civile, moteur d’une opposition ferme à Poutine. Alors qu’il décide lui-même de s’engager en politique il sera arrêté en 2003, envoyé en Sibérie, de laquelle il ne sortira qu’en 2016.

Snowden fait lui aussi parti de la liste des nominés. On ne le présentera plus, l’actualité l’ayant fait dans une large mesure à notre place. Sa présence dans la liste est audacieuse car elle montre que face à l’accusation dont il est l’objet pour ses révélations, c’est le courage politique que le Parlement européen, du moins en partie, retient. Comme quoi, on pense souvent l’occident épargné par les atteintes aux droits et libertés des citoyens, c’est pourtant sur cela que Snowden a permis de mettre le doigt, réveillant la conscience de nombreux individus quant à la thématique de la protection des données.

Ensuite, c’est un mouvement initié par Erdem Gunduz qui s’illustre parmi les nominés : il a crée un nouveau mode de protestation : « les manifestations du type homme à l’arrêt ». Ainsi, suite au scandale de l’évacuation du parc Gezi, il décide de se tenir debout, des heures durant, en face du portrait de Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne. Résistance silencieuse, cette méthode s’est ensuite propagée. Combinaison harmonieuse entre art et rébellion, Erdem Gunduz a permis de montrer que l’immobilisme faisait parfois plus de bruit que d’autres modes de contestation a priori plus démonstratifs.

Enfin, la liste se clôt sur la campagne de CNN « Freedom Project » : celle-ci vise à dénoncer toutes les formes d’esclavage moderne qui persistent. C’est plus de 400 documents sur cette thématique qui ont été mis en avant par CNN depuis 2011. Cette forme de journalisme engagé ravit face à une télévision qui semblait avoir perdu de vue ses combats. Eduquer et motiver les spectateurs, voilà les mots d’ordre de cette campagne, mots qui font plaisir à entendre quand la télévision tient aujourd’hui plus de l’abrutissement qu’autre chose.

Si notre tour d’horizon se termine, leurs combats restent des réalités chroniques. De même, si dans cet article le courage politique a sept noms, n’oublions pas qu’avant tout il possède tous les noms que chacun d’entre nous veut bien lui donner. Celui-ci prend forme en tous lieux, y compris en ceux où l’on aurait tendance à croire que les acquis autorisent l’atrophie. Si l’on essaye de faire taire ces individus dont la parole dérange, n’oublions pas les mots de Pascal Mourot : « Il n’y aura jamais de prison assez grande pour enfermer l’esprit d’un seul homme ».

Louise Ringuet

Pour en savoir plus :

 

 

 

 

      -. Europarl – Droits de l’homme – Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit http://www.europarl.europa.eu/aboutparliament/fr/00f3dd2249/Sakharov-Prize-for-Freedom-of-Thought.html

      -. 7sur7 – « Malala Yousafzai et Edward Snowden nominés pour le prix Sakharov » – 17 septembre 2013 : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1705952/2013/09/17/Malala-Yousafzai-et-Edward-Snowden-nomines-pour-le-Prix-Sakharov.dhtml

      -. Le Figaro.fr – « Pakistan : la lettre d’un taliban à Malala Yousafzai » – 18 juillet 2013 : http://www.lefigaro.fr/international/2013/07/18/01003-20130718ARTFIG00249-pakistan-la-lettre-d-un-taliban-a-malala-yousafzai.php

      -. Euronews – « Malala Yousafzai : l’adolescente qui a défié les talibans » – 17 décembre 2012 : http://fr.euronews.com/2012/12/17/malala-yousafzai-l-adolescente-qui-a-defie-les-talibans/

      -. Jeune Afrique – « Ethiopie : deux journalistes emprisonnés nominés pour le prix Sakharov 2013 » – 18 septembre 2013 : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130918165931/

      -. Amnesty international – « Liberté pour Ales Bialiatski » – 2012 : http://www.amnesty.ch/fr/pays/europe-asie-centrale/belarus/docs/2012/liberte-pour-ales-bialiatski

      -. La Croix – « Mikhaïl Khodorkovski, un oligarque en prison » – 5 mars 2012 : http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Mikhail-Khodorkovski-un-oligarque-en-prison-_NG_-2012-03-06-775243

      -. Le Nouvel observateur – « Turquie : « l’homme à l’arrêt » prédit une rentrée chaude » – 27 juillet 2013 : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20130727.AFP0740/turquie-l-homme-a-l-arret-parc-de-gezi-predit-une-rentree-chaude.html

      -. Le Figaro – « L’homme à l’arrêt lance une nouvelle forme de protestation en Turquie » – 18 juin 2013 : http://www.lefigaro.fr/international/2013/06/18/01003-20130618ARTFIG00478-l-homme-a-l-arret-lance-une-nouvelle-forme-de-protestation-en-turquie.php?page=&pagination=2

      -. Le blog Tvnews – « CNN Freedom project : initiative pour endiguer l’esclavage des temps modernes » – 8 mars 2011 : http://www.leblogtvnews.com/article-cnn-freedom-project-initiative-pour-endiguer-l-esclavage-des-temps-modernes-68823122.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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