Extrême droite : l’’Hémicycle du Parlement européen secoué par l’ascension de l’extrême droite en Europe

Le 9 octobre dernier, les députés ont débattu d’un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur en Europe : la montée de l’extrême droite. Que ce soit autour de l’entrée au gouvernement du Parti du Progrès en Norvège ou des scandales entourant Aube Dorée en Grèce, pas un jour ne passe sans qu’un Etat membre observe les symptômes d’une société où « la droitisation de la société s’accélère » pour reprendre les propos de François Rebsamen. Si nous reviendrons sur le contenu des discussions de ce fameux 9 octobre à Strasbourg, nous nous baserons également notamment sur « L’Enquête sur la droitisation des opinions publiques européennes » de Jérôme Fourquet et sur la publication « The Rise of Populism » du groupe Spinelli.

D’abord, si la montée de l’extrémisme est observable globalement dans toute l’Union européenne, citons quelques exemples dans lesquels des partis d’extrêmes droites sont effectivement entrés dans différents gouvernements. En Norvège, donc, le Parti du Progrès est entré pour la première fois dans le nouveau gouvernement en place depuis le 2 octobre. En Suisse, c’est l’UDC (Union démocratique du centre) qui a gagné sa place, à la fois au gouvernement puisque son président Ueli Maurer en est issu et au Parlement, avec un quart des sièges à la Chambre basse et six sièges à la Chambre haute. En Italie, la Ligue du Nord a fait parti de la coalition gouvernementale de Berlusconi de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011. En Autriche, le FPÖ a fait parti de la coalition au pouvoir puis la BZÖ, scission de la FPÖ, a pris le relais entre 2005 et 2006. En Pologne, le parti Samoobrona faisait parti du gouvernement de 2005 à 2007. De même, en Grèce, le parti Laos a participé au gouvernement en 2011. Citons également le PVV (Parti pour la Liberté) de Geert Wilders qui avait des liens très forts avec le parti libéral au pouvoir en 2011. Enfin, en Bulgarie, le parti Ataka soutient lui aussi le gouvernement en place.

Mais alors, peut-on se rallier à l’affirmation du danois Geert Mak, journaliste et écrivain qui disait que « le populisme fait parti de la culture politique » ? Pour Jérôme Fourquet, « sous l’effet de la crise, du vieillissement de la population et des difficultés accrues de nos modèles d’intégration, les sociétés européennes se seraient considérablement durcies et fermées ces dernières années ». Son enquête révèle un ensemble de statistiques frappantes : ainsi, sur les questions régaliennes et identitaires, le phénomène de droitisation est frappant. Sur la question de l’immigration par exemple : il mentionne que l’idée selon laquelle trop d’immigrés seraient installés dans nos pays est rejointe par 83% des individus en Belgique et 60% des Allemands, de même que 70% des Italiens ne se sentiraient pas en sécurité. Il y aurait une corrélation positive entre les chiffres et l’impact de la crise sur le pays. Son étude montre également que la droite seule n’est pas touchée par le phénomène : la droitisation atteint également les individus les plus à gauche. Preuve à l’appui, 74% des sympathisants de gauche en Belgique pensent que les chômeurs pourraient se trouver un emploi s’ils le souhaitaient, 63% en Espagne, 57% en Allemagne, 50% aux Pays-Bas. Il en déduit que « le centre de gravité idéologique est aujourd’hui situé à droite (voir très à droite) sur différentes dimensions qui structurent habituellement le clivage gauche/droite qu’il s’agisse du couple sécurité/immigration ou du libéralisme économique et de la dénonciation de l’assistanat ». Cette droitisation va généralement de pair avec un rejet de la construction européenne, perçue comme complice d’une mondialisation dont beaucoup rejettent les effets ainsi que sa  responsabilité dans la perte de pouvoir des Etats. Nous y reviendrons, mais ce sentiment est largement entretenu par les Etats eux-mêmes qui se plaisent à mettre sur le dos de l’Europe leurs propres incapacités dans la gestion des affaires publiques. Bouc émissaire idéal, finalement, cela pousse les individus, pour les deux tiers voir les trois quarts, à penser que à cause de l’Europe « le gouvernement n’a plus aujourd’hui vraiment de marge de manoeuvre ».

Dans la publication du groupe Spinelli de juin 2013, on trouve un ensemble de pistes très intéressantes à ce sujet. Isabelle Durant, Daniel Cohn-Bendit et Martin Hirsch nous fournissent dans un premier temps un ensemble d’observations sur nos sociétés. D’abord, le succès des partis extrémistes est relevant, et ce depuis les années 1980. Dans le même temps, les partis plus traditionnels perdent des voix : cela s’explique par la perte de confiance dans les structures gouvernementales dont l’abstention en est un des symptômes. Ainsi, après avoir voté respectivement pour la droite, puis la gauche et vice versa, beaucoup se sentent trahis par un gouvernement, qui peu importe son penchant idéologique, semble avoir des préoccupations bien éloignées des promesses électorales. Troisième observation : la crise n’a fait que renforcer le succès de l’extrême droite. Alors que l’Europe a multiplié les mesures de rigueur, elle a transformé par ce fait une crise qui était économique, puis sociale, en crise politique. On observe donc un rejet latent de la construction européenne car faute d’identification, un retour au niveau national apparaît pour beaucoup la solution idéale. Si nous parlons des lacunes quant à l’identification des individus, c’est bien parce que les partis extrêmes aiment à jouer avec l’idée que l’Europe ne serait qu’une bureaucratie dont les aspects démocratiques présentent de nombreuses lacunes. On ironisera sur le fait qu’un parti extrémiste de droite, basé sur la construction d’un Autre qu’il faut rejeter, regrette ce manque de démocratie. Enfin, la montée des partis extrémistes et la droitisation des opinions publiques serait exploitée par les partis traditionnels, s’en appropriant la rhétorique dans le même temps qu’un électorat de plus en plus réceptif à ces idées.

Michel Hastings met en garde contre l’idée reçue selon laquelle seules les classes populaires seraient touchées par ce genre d’idées. Pour lui, différents facteurs ont aidé à faire de ces partis des « partis acceptables » sur la scène politique européenne. D’abord, il mentionne la modernisation de ces différents partis : changement de leadership, des discours, de la manière de communiquer notamment. De même, une certaine flexibilité programmatique et idéologique en fonction des défis du moment. Il mentionne aussi le rôle des médias et de l’appropriation de la rhétorique de ces partis par les partis politiques traditionnels : cela a contribué à dédiaboliser et à remettre sur le devant de la scène ces idées. Un des autres facteurs mentionné est celui d’une certaine lassitude de la population face à une inaction gouvernementale prolongée. De même, les partis extrêmes permettent de fournir une explication simplifiée des événements, rassurant une population heurtée par une mondialisation dont les enjeux lui semblent bien étrangers. Finalement, les citoyens  européens « feel a growing sense of being excluded from the effective exercise of democratic citizenship by remote elites who do not advance any alternative ». Face à cela, deux phénomènes : une abstention qui ne cesse d’être de plus en plus importante dans les différents Etats européens, ou un vote à l’extrême, tel un vote de la dernière chance guidé par l’idée que « là au moins cela bougera ». Pour Michel Hastings, la crise seule ne peut expliquer cette montée en flèche de l’extrémisme : si la crise a constitué un foyer idéal pour cultiver le populisme, elle n’a été que l’approfondissement d’une lassitude déjà bien présente. Cependant, là encore, les individus se sont sentis éloignés des décisions prises, celles-ci ayant pourtant un impact direct sur leur quotidien. Pour lui, il est nécessaire de promouvoir une Europe plus sociale, seul moyen de rattacher les individus à une construction qui apparaît comme étrangère à leur vie quotidienne. Il est également nécessaire de combattre le déficit démocratique en donnant au Parlement une visibilité accrue. Nicolas Levrat rejoint l’idée selon laquelle une Europe sociale permettrait de resserrer les liens de l’UE avec les citoyens. Il part pour cela de Rosanvallon qui liait déjà le déficit démocratique de l’Union européenne avec la faible capacité de redistribution de celle-ci. Tout naturellement, il préconise donc que le budget soit réévalué à la hausse, de même que l’Union européenne soit dotée de pouvoirs fiscaux. Le remède serait donc plus d’Europe et pas « moins d’Europe ». Quant à augmenter le pouvoir redistributif de l’Union les péripéties de l’adoption du Cadre financier pluriannuel (CFP) européen, une telle perspective sort du cadre historique habituel.

Avec l’ensemble de ces idées en tête, attardons nous maintenant sur le contenu des débats des députés à la première plénière d’octobre du Parlement européen. Pour le Conseil, l’Union européenne se doit de mettre fin à ce phénomène, car qu’est ce que l’Europe sinon le symbole d’une paix et d’une harmonie retrouvées ? Cependant, pour l’institution, c’est aux Etats membres d’agir dans le cadre de leurs dispositifs constitutionnels pour pallier aux abus. Viviane Reding vice-présidente de la Commission, mentionne le troisième rapport annuel de la Commission sur l’application des droits fondamentaux. Pour elle, l’année 2012 a belle et bien été le théâtre d’une montée en flèche des discours et actions extrémistes : on se souvient des émules suscitées par la nomination de Cécile Kyenge, ministre de l’intégration italienne, jugée injustement sur sa couleur de peau. Une législation existe pourtant à ce sujet comme la décision-cadre sur le racisme et la xénophobie du 28 novembre 2010. Les Etats membres se doivent de lui donner toute sa consistance en prévoyant des sanctions pénales aux incitations publiques à la violence se basant sur l’origine raciale, ethnique, l’orientation sexuelle : d’ailleurs à la fin de l’année, un rapport sur l’application de la décision-cadre aura lieu. La Commission soutient également les mesures de prévention, sensibilisation en entretenant avec la FRA de précieuses relations dans le cadre de la collecte de données. Pour Sylvie Guillaume, c’est une réponse sociale qu’il faut apporter, en renforçant une dimension de l’UE longtemps négligée par le contexte de crise : « il faut faire revivre la notion de protection » déclare-t-elle. Pour Keller (Verts/ALE), il est nécessaire d’interdire les discours racistes propagés par certains partis qui aident à un ancrage de ces idées dans la société. La GUE pointe du doigt les mesures d’austérité qui ont créé un repli massif de la part de la population, qui n’a pas trouvé en l’Union européenne la politique attendue : ainsi, Salavrakos (Europe, liberté et démocratie) résume l’idée en affirmant que « les loups sont arrivés à cause de l’austérité ». Cette crise morale est alors une « résultante de la désespérance » selon Aguilar (S&D). Il est nécessaire d’utiliser le droit pour donner corps à une législation pénale qui se doit de condamner l’incitation à la violence. Partie dans un élan philosophique, Griesbeck (ADLE) invite à suivre les mots de Sénèque : « il n’est de vent favorable qu’à celui qui sait où il va ». L’Europe doit donc se réinventer face à ce contexte et opposer un projet politique fort à cet extrémisme de droite. Vikström (ADLE) dénonce également la récupération de la rhétorique des partis extrémistes par certains partis traditionnels dans un objectif électoral. Pour Jaattenmaki (ADLE), l’Union européenne et les Etats membres doivent prendre leurs responsabilités : c’est bien parce que dans la crise les gens les moins bien lotis ont été mis de côté qu’ils « cherchent du confort du côté des violents et des haineux ». Cependant, Rapti (S&D) invite à ne pas réduire les causes de la montée de l’extrémisme à la crise : « il y a quelque chose au delà ». Il est donc nécessaire de créer le débat, d’arrêter de « mettre les vraies questions au placard » selon Torvalds de l’ADLE. Chrysogelos (Verts/ALE) demande à ce qu’un observatoire européen soit créé où seraient enregistrés tous les actes relatifs au racisme ou à la haine. La Commission doit pour elle également mener une enquête indépendante afin de trouver les causes de cette montée de l’extrémisme en Europe. Viviane Reding se dit déterminée à une « tolérance zéro » envers l’extrémisme : les juridictions se doivent donc d’utiliser la législation existante pour punir comme il se doit ces actes.

L’ensemble de ces débats arrivent à point, à l’heure où en France, le Front National arriverait en tête du scrutin européen selon certaines prévisions : l’IFOP lui donne 24% des voix contre 22% pour l’UMP et 19% pour le Parti socialiste. Le phénomène prend de l’ampleur, inquiète mais appelle surtout à la remise en question : l’ensemble de la classe politique européenne est appelée à donner un nouveau sens à la politique, à cesser cette fuite des responsabilités perpétuelle qui ne crée que frustrations et protestations. Tel un Jacques Delors, ne nous fions pas à la politique qui selon ses propres mots « priorise l’instantané sur l’expérience du passé et la prise en compte de l’avenir » mais retrouvons le politique qui « renforce la communauté nationale et affirme les valeurs essentielles qui la font vivre et qui constituent le ciment de sa cohésion ». Puisque nous sommes d’humeur à citer les grands hommes, terminons sur cette citation de Robert Schuman rappelée par Viviane Reding : « la paix mondiale ne sera pas préservée sans efforts créatifs proportionnés aux dangers menaçant la paix mondiale ».

Louise Ringuet

 

Pour en savoir plus :

      -. Fiche de procédure – Montée de l’extrême droite en Europe    http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?lang=fr&reference=2013/2871(RSP)

      -. Toute l’Europe – « Il n’y a pas une mais des extrêmes droites européennes, même si toutes prospèrent sur le même terreau » – 14 octobre 2013 :   http://www.touteleurope.eu/actualite/philippe-juvin-il-ny-a-pas-une-mais-des-extremes-droites-europeennes-meme-si-toutes-prosper.html

      -. Yahoo Actualités – « Les populistes de droite au gouvernement en Europe » – 16 octobre 2013 :  http://fr.news.yahoo.com/populistes-droite-au-gouvernement-europe-174638932.html

      -. Décision cadre sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal : (FR) :  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:328:0055:0058:FR:PDF (EN) :  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:328:0055:0058:EN:PDF

      -. Europa – « Droits fondamentaux : une réalité pour les citoyens grâce à la Charte de l’UE » – 8 mai 2013 : (FR) :  http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-411_fr.htm (EN) :  http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-411_en.htm

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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