Commission CRIM : c’est la fin de sa mission, le Parlement consacre le rapport Iacolino

Après un an et demi d’intense activité, la commission spéciale CRIM a enfin accompli sa mission. 5 missions d’enquêtes, 24 réunions, plus de 100 experts auditionnés, outre 700 amendements déposés : voilà quelques chiffres témoignant l’énorme travail réalisé par cette commission en un an d’activité. Le 23 octobre dernier, la plénière de Strasbourg a consacré le fruit majeur de son travail en adoptant le « rapport Iacolino », un programme d’action contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux. Une véritable feuille de route par laquelle le Parlement Européen s’apprête à jouer un rôle clé dans la lutte contre le crime en Europe.

En vertu de son pouvoir de créer des commissions spéciales, l’assemblée européenne avait adopté sa décision d’établir une commission CRIM le 14 mars 2012 : cette décision précisait les attributions, la composition numérique et la durée de son mandat. Le nouvel organe parlementaire devait fournir un panorama complet de la criminalité au sens large dans l’Union, analyser l’efficacité des instruments en vigueur et enfin proposer de nouvelles solutions pour mieux contrer le crime européen.

Sous la présidence de la députée italienne Sonia Alfano (ALDE), la commission spéciale a organisée 24 réunions, dont 15 auditions, et a entendu quelques 100 experts de tout milieu – académiciens, juges, procureurs, chefs de police, représentants des administrations nationales. Ajoutons les cinq missions d’enquêtes menées à Belgrade, Milan, Palerme, Rome, La Haye et Washington. Louée par tous les groupes politiques, la commission CRIM s’était vue prolonger son mandat d’autres six mois outre les douze initialement prévus. Le rapport Iacolino, du nom du rapporteur désigné du PPE, est l’ambitieux produit de cette commission. Divisé en plusieurs sections, la résolution s’attaque aux défis posés par la criminalité dans tout domaine.

      -. Plus de cohérence entre les droits nationaux
Avant tout, la commission CRIM et le Parlement entier appellent pour un cadre législatif homogène au niveau de l’Union pour mieux contrer le crime dans tous les 28 Etats Membres. Surtout pour que les criminels ne puissent profiter des vides juridiques se produisant entre les différents droits nationaux. A cette fin, l’on propose une définition commune des délits d’association mafieuse, de corruption et d’autoblanchiment, ainsi que l’élaboration d’indicateurs plus homogènes pour mesurer l’ampleur et le coût de la criminalité organisée en Europe. Puisant dans la politique anti-terroriste de l’Union, les membres de la commission CRIM plaident aussi pour l’instauration d’une liste européenne d’organisations criminelles.

      -. Une coopération policière et judiciaire renforcée
La coopération policière et judiciaire en matière pénale dispose déjà d’un certain nombre d’instruments pour lesquels la commission CRIM demande une application rigoureuse au sein des Etats Membres. D’ailleurs, elle reconnît aussi la nécessité de réformer ce système. La mise à jour souhaitée par les eurodéputés passe par la révision d’Europol et d’Eurojust, la création d’un réseaux opérationnel anti-mafia sous la coordination d’Europol, ainsi que l’établissement d’un Parquet Européen (dont on regrette les limites prévues à ses compétences par la proposition de la Commission).

      -.Lutte contre la mafia
Elle a fait l’objet d’une attention spéciale au sein de la commission CRIM, poussée en ce sens par les députés italiens, particulièrement sensibles à ce sujet. Ce n’est pas un hasard  si parmi les membres de la délégation socialiste, on retrouve rien moins que Mme Rita Borsellino, sœur du fameux juge sicilien Paolo Borsellino, tué dans un attentat mafieux en 1992. Egalement très réceptive à cet égard, Mme Alfano a aussi proposé une Journée européenne en mémoire des victimes de la criminalité organisée, symboliquement établie pour le 23 octobre, date de l’adoption du rapport.

      -. Plus de transparence
Elément clef de toute stratégie qui se veut efficace contre la criminalité, la transparence a fait l’objet de plusieurs propositions dans le rapport Iacolino. Parmi les plus éclatantes, on retrouve l’abolition du secret bancaire, la suppression des paradis fiscaux en Europe, ainsi que la mise en place d’une liste européenne publique des entreprises coupables de corruption. La Plénière est venue renforcer cette tendance, en suggérant la création de registres centralisés des comptes courants bancaires. D’ailleurs, la stratégie de transparence ne cible pas que les banques et les entreprises. Au contraire, de nombreuses propositions visent aussi le secteur publique : par exemple, la réduction de la bureaucratie dans les administration nationales, le renforcement du droit d’accès aux documents par les citoyens ou encore une meilleure surveillance des marché publics.

Bien consciente du fossé qui se creuse toujours plus entre les citoyens et leurs institutions, la commission CRIM s’est aussi tournée vers la politique. En vue de restaurer une confiance aujourd’hui largement perdue, elle plaide pour que toute personne condamnée pour des délits relatifs à la criminalité organisée, à la corruption ou au blanchiment d’argent soit exclue des listes électorales européennes pour au moins 5 ans.

Ce bref aperçu des propositions démontre l’ambition d’une résolution ovationnée par l’assemblée de Strasbourg, qui l’a votée à 526 voix pour. Malgré un consensus très répandu, un groupe politique a présenté ses réticences à l’adoption du rapport final. Les Verts, en effet, ont dénoncé une insistance disproportionnée sur la répression et la surveillance, au détriment de plus amples garanties individuelles. Par conséquent, lors du vote en plénière, le groupe de M. Rui Tavares a opté pour l’abstention.

La réponse de la Commission est en demi-teinte. La Commissaire aux Affaires Intérieures, Cecilia Malmström, principal interlocuteur de la commission CRIM au sein de la Commission européenne, a en effet écarté la possibilité de proposer de nouvelles définitions communes du délit de corruption ou de nouveaux instruments législatifs au motif que ce domaine serait déjà amplement couvert par le Conseil de l’Europe. Les défauts actuellement présents – a-t-elle affirmé – sont plutôt dus aux négligences nationales dans l’application du droit existant. Mme Malmström a d’ailleurs rappelé la prochaine publication du rapport sur la corruption, qui examinera les lois et les pratiques à ce sujet au niveau de l’Union et des ses Etats Membres.
Par contre, au niveau d’autres secteurs tels que la lutte contre le blanchiment d’argent, la cybercriminalité ou le trafic d’êtres humains, la Commissaire a dit partager pleinement les priorités épinglées dans le rapport. Mettant en exergue les initiatives déjà en cours notamment à propos de la sécurité sur internet, Mme Malmström a estimé cependant que l’adoption d’un plan d’action complémentaire ne serait pas nécessaire.

L’absence de représentants du Conseil dans la salle de la plénière, vivement regrettée par la députée Véronique Mathieu, ne laisse peut être pas trop d’espace aux espoirs. Il n’en demeure pas moins que cette commission CRIM et son rapport final représentent un tournant crucial pour le rôle que le Parlement aura à jouer dans des secteurs aussi sensibles que ceux de la criminalité organisée, de la corruption et du blanchiment d’argent. La balle passe maintenant à la Commission, appelée à lancer un plan d’action globale pour la période 2014 – 2019.

Gianluca Cesaro

Pour en savoir plus :
– Enregistrement du débat en plénière – 22/10/2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/plenary/video?debate=1382446871858

– Rapport sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux – 26/09/2013 – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2013-0307+0+DOC+PDF+V0//EN
          – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2013-0307+0+DOC+PDF+V0//FR

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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