Lampedusa : symptôme du mal-être européen. A quand le remède ?

En octobre dernier, le monde s’émouvait devant le naufrage qui avait fait plus de 360 morts aux abords de l’île italienne de Lampedusa. Depuis, les larmes ont séché et ne reste que cette politique migratoire européenne, qui, que nous soyons, journalistes, députés, simples  individus, a de la  peine à exister ou n’existe pas selon de bons principes et de bonnes modalités. Revenons sur les principaux termes du débat et sur la plénière du 22 octobre dernier qui a mis en exergue « les flux migratoires en Méditerranée ».

 Qu’il est regrettable de ne pouvoir écrire un article sur l’asile ou l’immigration sans que celui-ci ne comporte chaque fois des relents d’inaction. Qu’il est lassant d’écouter de jolis discours teintés d’émotion pour chaque fois détourner le regard lorsqu’il s’agit des problèmes de fond. Il a fallu atteindre la barre des 300 morts pour que la population prenne connaissance de Lampedusa, cette île qui n’en est pourtant pas à son premier incident. Déjà, en juillet, le pape s’y rendait et déplorait que « notre société a oublié ce que signifie pleurer et faire preuve d’empathie. C’est la mondialisation de l’indifférence qui a emporté notre capacité à ressentir ». Au niveau européen, on pourrait plutôt parler de mondialisation de l’impuissance qui a emporté notre capacité à croire que la politique migratoire européenne avait un avenir.

 Lors des discussions parlementaires à Strasbourg, plusieurs éléments sont revenus de manière récurrente : d’abord, la question de Frontex. Le Conseil évoque le fait qu’en 2012 déjà des propositions avaient été mises en place pour appuyer Frontex qui devait aider l’Italie à faire face à un afflux migratoire en provenance d’Afrique du Nord. Contrairement à de nombreuses idées reçues, Frontex a un rôle important à jouer, ce rôle étant repris par Malmström sous le slogan « chaque semaine, Frontex sauve des vies ». Celui-ci a d’ailleurs décidé de prolonger l’opération Hermès (côtes italiennes) jusqu’en novembre en la renflouant de pas moins de deux millions d’euros. Hélène Flautre (Verts/ALE) a largement critiqué cela : si apporter une aide financière est une chose, peut être est-il temps d’aborder les questions fondamentales. La plupart des députés se sont prononcés pour une augmentation du budget de l’agence (ainsi, il y a eu une coupure de 115 millions d’euros en 2011 à 85 millions au début de l’année 2013) ou encore une modification de ses compétences (Barraciu, Angourakis). La solution est peut être également dans une meilleure utilisation des ressources de Frontex : selon Angelilli (PPE), pas moins de 40% de son budget serait réservé à des dépenses purement administratives.

 La question d’Eurosûr a également était évoquée par nombre de députés, pressés de voir sa mise en place effective. Comme le mentionne le Conseil, Eurosûr devrait contribuer à de meilleurs résultats en termes de coopération entre les gardes côtes et les diverses forces intervenants.

A également été évoquée la nécessité de multiplier les accords avec les pays tiers notamment de transit comme cela a été fait avec le Maroc. Le Conseil évoque la nécessite d’approfondir « le dialogue sur la mobilité » avec ces pays tandis que la Commission s’extasie sur les discussions avancées avec la Tunisie : « il faut faire plus pour les aider à créer leur propre système d’accueil » a déclaré Mme Malmström.

 La criminalisation doit être combattue à deux niveaux : il n’est pas question, comme la loi italienne le permet de criminaliser l’immigration illégale. Est-il normal que ceux qui ont survécu risquent la prison et soient soumis à une enquête approfondie ? Sauver ceux qui sont vivants devrait être la priorité : c’est ce qui pousse Giacomo Sferlazzo à s’insurger que : « en Italie, on a un ministère de l’intégration mais la vérité c’est que c’est un ministère de la désintégration. On ne veut plus accueillir, on chasse ». Au contraire, il est nécessaire de mettre l’accent sur l’arrestation des passeurs. A ce titre, une information récente selon laquelle le somalien Mouhamud Elmi Mouhidin, responsable de l’embarquement, torture, enfermement des passagers ayant pour la plupart péri à Lampedusa, a été arrêté est une bonne nouvelle, autant que puisse l’être une information dans un tel contexte.

 Dublin II a été également très largement critiqué par les députés : dans une interview de Bruxelles2 on peut lire que « le principe de faire en sorte qu’un seul Etat membre soit responsable de l’examen d’une demande d’asile (…) ne prend pas en compte cette répartition de la charge ». D’ailleurs, la question du « partage du fardeau » est revenue d’abord dans la bouche de Iacolino (PPE) puis reprise par sa collègue Angelilli notamment. Il souligne le fait que seulement dix Etats membres ont jusqu’alors contribué à l’opération Hermès. Il en appelle à la solidarité. L’absence de répartition juste amène certains pays à tirer sur certains bateaux ou à leur refuser l’accueil, comme l’évoque Fontana (Europe, Liberté, Démocratie). Diaz de Mera (PPE), quant à lui, refuse l’expression de répartition du fardeau et préfère celle de solidarité. Papanikolaou (PPE) invite à la mise en place d’une « clé de répartition » entre les Etats membres.

 Tous sont surtout d’accord sur le fait que Lampedusa marque l’échec de la politique migratoire européenne. Pour la Commissaire Malmström, « il y a beaucoup de choses à faire à court-terme, moyen-terme, et long-terme » car selon elle, « les mots ne peuvent pas rester des mots, il faut des actions concrètes ». Sylvie Guillaume (S&D) confirme cette idées en refusant des ajustements qui seraient de l’ordre du « cosmétique ». Le temps est venu de se dégager de la vision purement sécuritaire de l’immigration par l’Union européenne. Mme Guillaume s’offusque du fait que certains pêcheurs préfèrent éloigner leurs bateaux plutôt que d’être accusés d’aider des migrants (en 2008 un bateau de pêcheurs avait secouru des migrants à Agrigente en Italie dont les pêcheurs ont ensuite été emprisonnés). Cette « politique de la dissuasion » telle que la qualifie Harms (Verts/ALE) amène à déplorer les chiffres suivants : selon l’Office international de l’immigration, environ 25 000 personnes seraient décédées noyées durant les vingts dernières années. Alors ne baissons pas les yeux, réalisons comme Triantaphyllides (GUE) le dit, que « la politique de l’Europe forteresse conduit à l’impasse ». Sinon, ne nous étonnons pas que « l’Histoire bégaye, se répète de manière macabre », selon Griesbeck (ADLE). La rhétorique est allée jusqu’à pousser Salavrakos (Europe, Liberté, Démocratie) à affirmer que « c’est la politique migratoire de l’UE qui a fait naufrage à Lampedusa ».

 Finalement, qui est responsable ? Pour Iacolino (PPE), la réponse est simple : « Le Conseil est à des années lumières de la Sicile ». Ainsi, pour Sylvie Guillaume (S&D), les instruments existent, ce qui manque est la « volonté politique ». Du coup, faute de vision globale, nous avons « des morceaux de législation collés les uns aux autres ». C’est ce constat qui amènera Griesbeck à la provocation : que fait le Conseil ? A quoi servons-nous dans ce Parlement si l’on réclame toujours la même chose mais que nous ne sommes guère entendus ? Les Etats semblent se plaire « à faire de l’hypocrisie une politique ». Une nouvelle fois, pas un journal n’a épargné l’Europe, alors que les Etats membres pouvaient s’en frotter les mains à coup de visite larmoyante. Citons par exemple le Conseil du 24-25 octobre où le scandale autour de la protection des données a effacé l’urgence de la question de Lampedusa : « unfortunately, too many heads of state in the EU are cowards : they do not consider themselves to have enough support from their constituents to transform their fine words about humanity and solidarity into concrete policy decisions ». Ainsi, le sommet européen qui a suivi le naufrage de Lampedusa a amené cette phrase en guise de compte-rendu : « nous avons des pistes mais pas encore une politique ». Espérons que la deuxième réunion de la Task force Lampedusa, réunie le 20 novembre permettra au Conseil JAI de début décembre de « prendre des décisions ».

 Pour les non-inscrits, on s’en doute, l’occasion était belle pour jouer sur la touche populiste. Marine le Pen, d’un  ton assuré, a rejeté cette « diplomatie de l’émotion ». Soyons rationnels donc, faisons leur comprendre, selon ses propres mots, que l’Europe ne pourra rien pour eux. Les larmes des uns sont donc effacées d’un revers de manche par la représentante du Front National, ayant la fermeté pour seul slogan. Ce que certains députés (comme le socialiste Moraes) se sont fait un plaisir de rappeler, c’est que ces individus étaient des réfugiés potentiels, des personnes qui ne sont pas venues pour des raisons strictement économiques mais pour fuir des situations insupportables dans une fuite qui est comme un élan de la dernière chance dont on connaît les risques mais on préfère se focaliser sur l’espoir qu’elle comporte malgré tout. Cependant, Marine le Pen n’a pas été la seule à relayer ce genre de propos. Brons a invité lui aussi à décourager les individus (leur qualité d’étranger étant supérieure à celle d’individu, d’être humain dans ce cas) à venir en Europe : ainsi, « nous sauverons des vies ». Le non-refoulement, principe clé de la Convention de Genève ne serait « qu’une recette pour que les migrants restent ». On peut voir ici ce que les non-inscrits font des grands principes juridiques., supposés être des acquis.

 Quel remède donc au populisme ? Une nouvelle fois, le dialogue. Plutôt que d’ouvrir le porte-feuille ou de réaliser un discours ému, rangeons nous derrière Hélène Flautre qui invite à se poser les vraies questions : allons nous changer nos priorités ? Ne faut-il pas renforcer les canaux de la migration légale ? Le fonds doit donc primer sur la forme.

 L’Union européenne, Prix Nobel de la paix, donc. Sûrement pour le projet, certainement pas pour les concrétisations. De tels événements ne font que « aggraver le désamour de l’Europe » selon les mots de Griesbeck. A la question de Chateaubriand : « La vieille Europe ; elle ne revivra jamais : la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? », nous répondrons : oui, mais pas pour tous !

 

Louise Ringuet

 

 

Pour en savoir plus :

 

 

 

 

Résolution du parlement européen du 24 octobre 2013 sur les flux migratoires en méditerranée, en particulier à la lumière des événements tragiques survenus au large de Lampedusa » :(FR) :  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0448+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR (EN) :  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0448+0+DOC+XML+V0//EN

 Euractiv – « Archbishop : EU immigration policy should put the human beings first » – 15 novembre 2013 : http://www.euractiv.com/east-mediterranean/archbishop-eu-immigration-policy-interview-531690

 The Parliament – « Mediterranean becoming dead sea for refugees seeking EU asylum » – 4th November : http://www.theparliament.com/latest-news/article/newsarticle/mediterranean-becoming-dead-sea-for-refugees-seeking-eu-asylum/#.Uo4QlBaGGQt

Le Nouvel Observateur – « A Lampedusa, beaucoup de monde est venu, mais on est encore là » – 24 octobre 2013 : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20131024.OBS2659/a-lampedusa-beaucoup-de-monde-est-venu-mais-on-est-encore-la.html

 Euractiv – « Le principe de Dublin II tue la solidarité européenne en matière d’asile » – 25 octobre 2013 : http://www.euractiv.fr/development-policy/le-principe-de-dublin-ii-tue-la-interview-531045

 Euractiv – « Le drame de Lampedusa décrédibilise Frontex et Eurosur » – 4 novembre 2013 :http://www.euractiv.com/node/530946

 Le Figaro – « Lampedusa : la moitié des migrants a disparu » – 20 novembre 2013 : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/11/20/97001-20131120FILWWW00542-lampedusa-la-moitie-des-migrants-a-disparu.php

 Le Monde – « Lampedusa : arrestation du bourreau des naufragés, reconnu par ses victimes » – 9 novembre 2013 : http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/11/09/lampedusa-arrestation-du-bourreau-des-naufrages-reconnu-par-ses-victimes_3511127_3214.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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