Turquie, visas : la fin d’une guerre de cent ans ? C’est donnant, donnant !Accord de réadmission signé et dialogue sur les visas lancé. Mais l’avenir sera encore riche en rebondissements, retournements, réconciliations et aigreurs réciproques.

La commissaire aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, a signé le 16 décembre un accord historique avec Ankara, le ministre de l’intérieur Muammer Gûler. Si cet accord est ratifié, la Turquie bénéficiera d’une levée d’obligation de visa pour l’espace Schengen.L’accord stipule qu’Ankara devra rapatrier tous les migrants clandestins de pays tiers qui auront gagné le territoire de l’Union par le biais de la Turquie.  Pendant des années, la Turquie a résisté aux pressions de l’UE qui souhaitait conclure ce type d’accord. Selon un communiqué de presse de la Commission, les deux évènements ont eu lieu lors d’une cérémonie en présence de plusieurs représentants politiques. Le premier ministre de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, le ministre turc des Affaires européennes, Egemen Bağiš, le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davatogluet les ambassadeurs de tous les États membres de l’UE représentés dans le pays étaient présents.

 « Un évènement historique » ?«  Nous avons mené deux initiatives de front afin de renforcer les relations turco-européennes qui bénéficieront aux citoyens [turcs].  J’espère que l’accord de réadmission sera ratifié sans délai par les deux parties, et que les négociations en vue de libéraliser le régime des visas progresseront rapidement », affirme Cecilia Malmström.

Le Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen et la Grande assemblée nationale de Turquie doivent dorénavant ratifier cet accord. C’est finalement des progrès d’Ankara que dépendront le rythme et la réussite de ce dialogue des visas auquel la Turquie tient par-dessus tout. Il faut se l’avouer. Faisant écho aux déclarations de Cecilia Malmström, Erdogan a assuré que la « Turquie remplira sans faille tous les engagements qui lui incombent. Les parlementaires européens verts ou de la gauche se montrent plus réservés. Dans un communiqué le groupe GUE/NGL a estimé que cet accord renforçait l’Europe forteresse et s’est inquiété du sort des migrants, aux quels la Turquie accorde actuellement selon le groupe aucune protection ni garantie du respect de leurs droits fondamentaux. Les VERTS/ALE ont salué l’étape mais ont aussi jugé dans un communiqué que « la signature d’un accord de réadmission est une contrepartie chèrement payée : le rapprochement entre la Turquie et l’UE ne se fait-il pas sur le dos des nationaux de pays tiers, migrants ou réfugiés qui subissent trop souvent des situations dramatiques en voulant rejoindre l’Europe ? C’est notamment déjà le cas à la frontière turco-bulgare ou dans la mer Egée pour les réfugiés de Syrie » a déclaré Hélène Flautre.

 Mais la levée des obligations de visa pour les citoyens turcs n’aura pas lieu dans un avenir proche. Premièrement, l’accord de réadmission entrera pleinement en vigueur quand la Turquie aura fait ses preuves en matière de contrôle de ses frontières et de politique des visas afin d’éviter efficacement l’immigration clandestine en Europe. Ces dernières années, un grand nombre d’immigrés clandestins ont traversé la frontière gréco-turque. La situation s’est aggravée depuis la crise syrienne : une vague de réfugiés syriens traverse depuis la frontière turque pour gagner la Bulgarie. La Turquie est depuis longtemps la principale porte d’entrée de l’immigration clandestine en Europe. Par ailleurs la Turquie ressent l’obligation de visa comme une discrimination humiliante pour les citoyens tucs. Ces derniers doivent en effet formuler une demande de visa pour des séjours de courte durée au sein de l’espace de Schengen.En effet, la Turquie est un pays candidat à l’UE, mais ses citoyens font l’objet d’obligation de visa pour pouvoir circuler à l’intérieur de l’espace Schengen.

En 2010, la Turquie a établi un régime sans visa avec des pays comme l’Iran, la Syrie, le Yémen, la Libye, le Liban, le Maroc et la Tunisie, pour lesquels l’UE conserve des exigences de visa assez strictes. Contrairement aux pays des Balkans occidentaux, la Turquie ne bénéficie pas d’un régime de facilitation de la délivrance des visas qui mène à terme à la levée des exigences en la matière. C’est là tout l’enjeu des négociations.

 Le pays devra se doter de documents de voyage sécurisés et devra conformer ses systèmes d’asile et de politique migratoire au niveau des normes internationales. Elle devra mettre en place des structures fonctionnelles pour combattre le crime organisé, notamment dans le cas du trafic de migrants et d’êtres humains. Notons au passage que se profilent à un horizon proche d’énormes scandales de corruption mettant en cause des personnalités proche du pouvoir. Ankara s’est aussi engagée à mettre en œuvre une coopération judiciaire et policière en collaboration avec les États membres de l’UE et la communauté internationale. Enfin, la Turquie  sera dans l’obligation de respecter les droits fondamentaux des citoyens et des étrangers avec une attention redoublée pour les individus appartenant à des minorités ou bien à des catégories sociales vulnérables.

En effet, l’accord, qui doit être transmis, côté européen au Conseil et au Parlement européen et à l’Assemblée turque,  a pour objectif, rappelle-t-on côté européen, est d’établir sur la base de la réciprocité des procédures de réadmission rapides et ordonnées des personnes entrées ou résidant sur le territoire de l’autre Etat de manière irrégulirère.

 L’accord comprend des dispositions concernant à la fois la réadmission des ressortissants des Etats membres de l’UE et la Turquie ainsi que la réadmission de toutes les autres personnes (y compris les ressortissants de pays tiers et les apatrides) se trouvant en situation irrégulière et étant entrées irrégulièrement par l’une ou l’autre partie. . En ce qui concerne la libéralisation des visas, la Turquie devra respecter un plan d’action pour que soit levée l’obligation de visa pour les citoyens turcs quand ils veulent se rendre dans l’Union. La commission européenne explique que le dialogue consistera essentiellement en un examen de la législation et des pratiques administratives turques sur la base d’une feuille de route. Le document signé énumère les exigences qui doivent être remplies par la Turquie pour permettre à la Commission de présenter une proposition modifiant le règlement 539/2001 sur la liste des pays tiers dont les ressortissants doivent être en possession  d’un visa et faisant passer la Turquie dans la liste positive.

 Parmi les exigences à remplir : la nécessité de mettre en œuvre de manière pleine et effective l’accord de réadmission, la gestion des frontières et la politique des visas de manière à prévenir efficacement la migration irrégulière, sécuriser préalablement les documents de voyage, établir un système de migration et d’asile conforme aux normes internationales,disposer des structures adéquates de lutte contre le crime organisé (en mettant l’accent sur la traite et le trafic des êtres humains et des migrants), mettre en place et mettre en œuvre des moyens adéquats de coopération judiciaire avec la police et les Etats membres de l’UE et la communauté internationale et respecter les droits fondamentaux. S’annonce indiscutablement une longue marche pour la Turquie avant que soit vérifiée complètement lapleine réalisation de conditions permettant la libéralisation de l’octroi des visas.

 En conclusion disons que les relations UE se trouvent dans un contexte difficile, mais une éclaircie est toujours possible : flux alarmant de réfugiés, maltraitance grecque à l’égard des réfugiés, rappel que les visas sont contraire à l’esprit de l’intégration mais a contrario Roumanie et Bulgarie perdent progressivement espoir d’intégrer Schengen. Cette annonce à laquelle turcs et européens veulent donner un peu de solennité a coîncidé avec la réunion du conseil Affaires étrangères, le 16 décembre :le Conseil Affaires étrangères y a  fait le point sur ses relations avec la Turquie. Rituel oblige, il salue l’ouverture du chapitre sur la politique régionale et appelle au « maintien de l’élan retrouvé » dans les négociations d’adhésion « dans l’intérêt des deux partie ?, sacrifiant ainsi aux vertus de la méthode Coué.. Dans leurs conclusions ils rappellent que sans progrès dans la mise en œuvre non discriminatoire et complète du protocole additionnel, les mesures du Conseil 2006 qui bloquent l’ouverture de 8 chapitres seront maintenues. Le Conseil exhorte à nouveau la Turquie à éviter toute forme de menace ou d’action directe contre un Etat membre, ou d’action qui pourrait endommager les bonnes relations de voisinage et de règlement pacifique des différends. Il regrette que Ankara n’ai pas les fait les progrès nécessaires dans la normalisation de ses relations avec Chypre. Saluant les progrès dans les réformes, le Conseil rappelle que « de nouveaux efforts soutenus seront nécessaires, en particulier sur l’amélioration du respect des droits fondamentaux et des libertés ». A cet égard rappelons que la Turquie reste le champion incontesté du nombre de journalistes emprisonnés, plus que la Chine ou l’Iran. Le Conseil se félicite, bien évidemment, de la signature de l’accord de réadmission et du lancement du dialogue et la coopération sur les questions de politique étrangère d’intérêt commun et salue l’intensification du dialogue politique régulier entre l’UE et la Turquie sur des sujet d’intérêt commun. A prés avoir lu la longue liste des récriminations importantes de l’UE,  il faut faire preuve d’une bonne santé et d’un solide optimisme pour oser inviter les parties à « maintenir l’élan retrouvé ». On a signé, certes, mais cela n’exclut ni lenteurs, ni rebondissements, ni retournements.

Henri Pierre Legros

 Pour en savoir plus

 

      -. Troisième rapport semestriel sur le fonctionnement de l’espace Schengen (mai 2013) (FR) http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/doc_centre/borders/docs/third_biannual_report_on_the_functioning_of_the_schengen_area_fr.pdf   (EN ) http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/doc_centre/borders/docs/third_biannual_report_on_the_functioning_of_the_schengen_area_en.pdf

       -. Conclusions concernant la Turquie extraits  de « la Stratégie élargissement 2012-2013 Com :2012600 final (FR) http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2012/package/tr_conclusions_2012_fr.pdf (EN) http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2012/package/tr_conclusions_2012_en.pdf

       -. La politique européenne des visas- Etude du réseau européen des migrations  (FR) http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/networks/european_migration_network/reports/docs/emn-studies/migration-channel/09b._france_national_report_fr_version_fr.pdf

       -. Communiqué de Presse de Cecilia Malmström http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1259_en.htm?locale=en

       -. Road map towwards a visa-free regime with Turkey http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-is-new/news/news/docs/20131216-roadmap_towards_the_visa-free_regime_with_turkey_en.pdf

       -. Readmission agreement Turkey-EU (official agreement) http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-is-new/news/news/2013/20131216_01_en.htm

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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