Espionnage de masse de la NSA et Parlement européen : un dénouement proche ? Un témoignage devant les eurodéputés, Snowden risque « un outrage supplémentaire au drapeau américain ». Mais que va faire Obama ?

Comme annoncé le 11 décembre 2013 par l’eurodéputé belge Marc Tarabella (PS), l’ancien consultant de la NSA, Edward Snowden, à l’origine du scandale des écoutes, devrait être auditionné début janvier (probablement le 9 janvier nous dit l’Agence Europe) par la commission du Parlement européen chargée d’enquêter sur le scandale de la surveillance des pays européens par la NSA. Une idée approuvée par la quasi-totalité  des membres de la commission Justice, Libertés civiles et Affaires Intérieures, hormis le PPE (qui désire une audience « en live ») et les conservateurs britanniques, alliés inconditionnels des Etats-Unis. Un accord de principe a finalement été conclu en ce sens. « C’est une décision qui représente une réussite énorme pour le Parlement », a indiqué Jan Philipp Albrecht. Si certains pays européens ont refusé de tendre la main à Edward Snowden cet été, ils seraient maintenant disposés à lui tendre uneoreille grande ouverte.Une intervention en direct et en streaming de l’ancien employé s’est néanmoins avérée trop dangereuse car donnant les moyens à la NSA de le localiser. Ainsi, Edward Snowden, actuellement réfugié en Russie, ne viendra ni à Bruxelles, ni à Strasbourg, sachant que les Etats-Unis exigerait aussi tôt son extradition et que celle-ci aurait toute les chances d’aboutir.  Si les détails de l’organisation de cette prochaine audition restent à définir, l’on se dirige d’un pas décidé vers l’option d’une vidéo dans laquelle Snowden répondrait aux questions que les députés européens lui auront transmises par avance.

En revanche, Mike Rogers (élu républicain du Michigan qui jusqu’ici s’est distingué pour son soutien sans faille à la NSA), a fait l’honneur de sa présence ce mardi 17 décembre 2013 au Parlement. Il était entre autres venu rencontrer le président de la commission des Affaires étrangères, Elmar Brok (PPE, allemand) et le rapporteur de la commission d’enquête sur les écoutes, Claude Moraes (S&D britannique). Voici ce qu’il leur a rapporté : « qu’il ne serait pas bon d’écouter le discours de quelqu’un qui est recherché, qui a volé des documents (…), bref qui a mis en péril la sécurité ; disant également qu’une telle audition serait contraire à un dialogue constructif entre l’Europe et les Etats-Unis. ». Selon lui, cela ne ferait que retarder l’aboutissement de la réforme relative à la protection des données et des négociations sur le traité de libre-échange avec Washington, qui en a fait sa priorité.

L’objectif principal de son voyage et de celui d’autres membres de la Chambre des représentants était de modérer ce mardi l’inquiétude de nos eurodéputés suite à l’espionnage de millions de données téléphoniques en Europe de manière à éviter que le Parlement ne devienne un vrai stand de tir où fuseraient des reproches par milliers. Mais aussi, plus indirectement, il s’agissait d’exercer une pression sur le Parlement pour que ses membres soient empêchés d’avoir un échange , que ce soit dans ses locaux ou en vidéo-conférence, avec Edward Snowden. Mike Rogers a même user d’une métaphore en disant que : «  demander à Snowden d’expliquer au Parlement ce qu’il sait sur l’espionnage au Parlement, ce serait comme demander au  concierge qui a volé l’argent d’une banque comme conseiller financier ; ce n’est pas à la hauteur de la dignité du Parlement », justifie-t-il.

On le sait bien, le mensonge come l’huile flotte toujours à la surface de la vérité et un jour il éclate. La délégation américaine a donc toutes les raisons de s’inquiéter.

Rogers a pour la défense de la NSA,  expliquer qu’une révision ou éventuelle suspension de l’accord connu sous le nom de « Safe Harbor » (« la sphère de sécurité » permettant à plus de 3000 entreprises américaines de transférer des données récoltées dans l’Union européenne) serait totalement  «trop radical et contre-productif ». Il considère qu’en prenant pareille mesure, l’Europe organise sa propre prise d’otage : « Suspendre Swift est déjà une mauvaise idée(…) et suspendre Safe Harbor  causerait autant de dommages aux entreprises européennes qu’aux entreprises américaines, surtout en termes de stratégies d’influence ».

Aussi si Viviane Reding ne cesse d’exhorter les Etats-Unis d’offrir aux citoyens européens des droits exécutoires en cas de violation des données, elle a toutefois jugé la semaine dernière au Parlement européen, peu pertinent de suspendre un accord supporté par 95% des entreprises européennes interrogées sur le sujet, allant plutôt jusqu’à prôner un renforcement de l’accord Safe Harbour. Si bien que l’UE et les autorités américaines envisageraient même de proposer  et de mettre en œuvre un accord amélioré « dès que possible ».

Bien qu’imparfait, Safe Harbor Data Privacy a du moins eu le mérite de mettre d’accord les Etats-Unis et l’Union européenne sur un sujet aussi sensible et stratégique que le transfert de données personnelles. Le rejeter parce qu’il tient plus du soft law (basée sur le volontariat) que d’une règlementation contraignante reviendrait à faire preuve d’un idéalisme dépassé entretenant la croyance que la loi est le remède à tous les maux, a soutenu la Commission.  Malgré tout Safe Harbor constitue un accord vide aujourd’hui au vues des pratiques américaines que nous observons, raison pour laquelle la Commission exige  que les entreprises auto-certifiées rendent publiques leurs politiques de confidentialité, y compris dans tous les contrats avec leurs sous-traitants, les fournisseurs de services cloud notamment. A ce jour, ces entreprises doivent à tout prix regagner la confiance  du citoyen en faisant preuve de transparence sur leur fonctionnement. La Commission s’attend à ce que toute politique de confidentialité inclut dès à présent, des informations  quant aux dérogations permettant aux autorités américaines de recueillir pour ensuite exploiter les données de leur clients mais aussi de spécifier les circonstances où elles pourraient être amenées à permettre l’accès à ce type de données.  Est-ce pour la sécurité nationale ? L’intérêt public ? Ou en raison d’obligations légales ?  Il faut se donner  comme objectif final, d’imposer des règles identiques à tous les géants du web.

Ce 17 décembre, Mike Rogers a encore tenu à avancer quelques chiffres publics disponibles justifiant une fois de plus les activités de la NSA. Ces chiffres démontreraient que 54 complots/tentatives terroristes « Etats-Unis et Union européenne combinés » auraient été déjoués grâce à des programmes de surveillance. Il a même évoqué des statistiques révélant que « pour un complot déjoué aux Etats-Unis par la NSA, trois autres le sont en Europe ». Des programmes appliquant ainsi parfaitement le principe du gagnant-gagnant favorable à toutes les parties. « La NSA  mène des activités importantes pour la sécurité des Etats-Unis et celle de nos alliés », a-t-il souligné. Avec ses millions de hackers, linguistes et autres génies de l’informatique, il n’a point hésité à encenser la NSA, la qualifiant  de «  chaste service de renseignement bien meilleur que tout ce qui existe en Europe  et n’ayant rien à se reprocher». « Les services de renseignement américain disposent d’incalculables couches de supervision et contrôle dont on ne parle pas dans la presse européenne, a-t-il rajouté  à son argumentaire».

L’Europe cherche encore à trouver la preuve de tout ceci : Claude Moraes (l’eurodéputé britannique  chargé de préparer une ébauche de réponse européenne) conteste ces données disant clairement que  la NSA a violé la législation communautaire et celles d’autres pays. D’ailleurs on a beau ne jamais l’avoir assez répété, le Parlement ne donnera son aval à un accord commercial de libre-échange que sur la base « d’un traitement différencié de la protection des données personnelles ».

Toutes ces interventions se sont faites alors que la veille même, un juge fédéral , Richard Leon ,qualifiait le système de la NSA de « quasi orwellien », voire d’anticonstitutionnel. Ils  peuvent presque regarder vos idées à mesure que vous les écrivez, c’est comme s’ils accédaient directement à votre cerveau disait déjà Edward Snowden à une époque pas si lointaine. Aujourd’hui  c’est un juge fédéral américain qui ajoute sa voix à toutes celles des autres qui pressent Obama de préserver la vie privée. Comme à chaque polémique sur l’utilisation par des puissances étatiques de données privées, la comparaison littéraire avec le roman d’Orwell (« Big Brother is watching you) refait surface. Et pour Cause !  Richard Leon a probablement raison de soulever  « qu’un tel programme de collecte de métadonnées (l’enregistrement des numéros appelés, la durée des appels, leur date…) sans feu vert de la justice, empiète sur les valeurs défendues par le quatrième amendement de la Constitution américaine, relatif à la protection de la vie privée ».  Dans une injonction qu’il a motivé sur 68 pages, le magistrat a déclaré sans ménagement ceci : « Je ne peux imaginer une intrusion plus arbitraire et dénuée de discernement que cette collecte et cette conservation systématique, au moyen d’outils technologiques perfectionnés, de données personnelles sur quasiment chaque citoyen ».

Cette injonction préliminaire a débouché sur une plainte déposée devant un Tribunal civil de Washington par deux particuliers clients de Verizon : Larry Klayman (avocat conservateur et fondateur de Judicial Watch) et Charles Strange (le père d’un expert en cryptologie travaillant pour la NSA, mort  en Afghanistan en 2011). Une affaire dont s’est saisi personnellement le juge Leon qui s’est positionné en leur faveur précisant que les métadonnées rattachées à leurs lignes Verizon avaient été récoltées à leur insu par la NSA et devaient être  absolument détruites. Etant donné qu’il s’agit d’une situation quasi inédite et l’originalité des questions constitutionnelles qu’un tel dossier soulève, le juge a estimé qu’il convient  d’accorder un délai de six mois au gouvernement pour faire appel ; la Cour d’appel devra elle se prononcer sur le fond car les griefs dépassent les compétences du tribunal saisi.

L’Administration de Barack Obama se retrouve pour la  première fois dans cette affaire sous la pression de la justice américaine. Une partie difficile est engagée qu’il convient de gagner pour les fervents partisans d’une plus grande protection de la vie privée aussi bien que pour  Snowden qui voit là une confirmation de la justesse de son combat. Une décision qui ne contraint pas la NSA à arrêt dans l’immédiat ses activités mais qui constitue bien la première étape de ce qui enfin de course  pourrait ressembler à un vrai  débat judiciaire sur la surveillance opérée par la NSA. La justice fait son chemin lentement mais surement ! L’Union américaine de défense des libertés civiles (ACLU) a dit espérer « que la décision mûrie du juge Leon contribuera (…) au débat au Congrès concernant les nécessaires réformes permettant de remettre les activités de surveillance de la NSA en conformité avec la Constitution ». Quoi qu’on dise cette décision du juge est simplement marquante  du fait que c’est la première fois qu’un tribunal autre que les Cours secrètes régies par le Foreign Surveillance Act (dont les délibérations sont secrètes), se prononce sur les agissements de la NSA depuis qu’a éclaté le scandale au printemps dernier.

« Il s’agit du dernier chapitre dans la longue lignée des défis auxquels le pouvoir judiciaire a dû répondre pour ménager la sécurité nationale des Etats-Unis et les libertés individuelles de nos citoyens », a écrit Richard Leon. Seuls des juges des cours secrètes supervisaient l’activité de la NSA, jusqu’à ce que Leon se lève et parle contre ce gigantesque « perfect storm » qu’est devenue la crise Snowden/NSA !

Cet avis du juge viendra certainement encore renforcer la volonté de la Commissaire Reding qui cherche, de façon urgente, à trouver un accord avec le Conseil sur sa réforme des règles européennes de protection des données, un dossier  qui actuellement évolue en dents de scie. Viviane Reding accuse les Etats-Membres d’être entrés « en hibernation » cherchant à enterrer ses propositions pour renforcer la protection des données des citoyens si bien qu’elle aspire dorénavant à l’arrivée rapide d’un « printemps grec » pour progresser. « Nous avons bien avancé sous la présidence irlandaise ; ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des décisions et je pense qu’avec la présidence grecque, c’est tout à fait jouable », a affirmé Reding devant le Parlement européen, le 16 décembre dernier .C’est auprès des eurodéputés que Viviane Reding est venue chercher du soutien pour affronter le Conseil, les exhortant de voter leur avis bien avant la trêve électorale faute de quoi le vote et l’entrée en vigueur du règlement seraient différés. La commission des libertés civiles qui s’était déjà prononcée à ce sujet le 21 octobre avait approuvé les amendements sur la réforme de la protection des données, un moment important pour la démocratie avait jugé Reding. Le Parlement a ainsi accompli son travail et est donc prêt à démarrer les négociations. Il serait temps maintenant que les 28 lancent à leur tour cette offensive dont l’Europe a besoin si elle tient à retrouver sa place de leader et de mettre un terme au coûteux  morcellement législatif actuel. L’évolution technologique est tellement rapide, qu’une telle impasse sur un texte européen semble plus que hautement problématique pour Viviane Reding, les nouvelles règles risquant de devenir désuètes avant même d’être publiées. Les particuliers, les entreprises, l’Europe toute entière ne méritent pas un tel sort  c’est ce que martèle la commissaire depuis plusieurs mois.

Glenn Greenwald (avocat, et journaliste politique), invité à la 15 ème audition du Parlement sur la surveillance électronique de masse est aujourd’hui un personnage important (on avait rarement vu un seul homme provoquer un tel tohu-bohu planétaire). C’est lui qui avec l’aide de la documentaliste Laura Poitras a pu récupérer une série de fichiers subtilisés auprès de la NSA. « Il n’y a jamais  eu une fuite de renseignements d’une telle ampleur, le gouvernement américain me déteste », a-t-il répété  à la face de l’Europe.

Ancien journaliste du Guardian, Glenn Greenwald a précisé que le choix d’Edward Snowden servirait les gouvernements du monde entier car ce n’est pas seulement le système de la NSA qui en cause ici mais bien plus le système d’espionnage en lui-même, tel qu’il est pratiqué par plusieurs pays. Selon lui, les révélations sur l’espionnage ne visent pas à affaiblir les sociétés démocratiques mais à les consolider, à éveiller les esprits sur les risques que comportent pour nos valeurs et principes cet énorme ratissage (« Data Mining ») de données permettant de lire dans nos vies, comme à livre ouvert. Lénine disait « qu’il ne faut jamais évoquer la démocratie dans l’abstrait mais toujours préciser sa nature de classe ;l’idée qu’un Etat puisse servir toutes les classes ou toute une Nation est manifestement fausse, puisque la classe capitaliste et la classe qu’elle exploite ont des intérêts inconciliables »,  les révélations de Snowden sont sans appel une preuve d’une telle vérité. Sous l’effet du terrorisme, nos démocraties sont actuellement agonisantes, réinventons les et vite ! (c’est l’idée véhiculée par Snowden et Greenwald devenus très proches).

Glenn Greenwald a tout de même tenu à rappeler qu’une chose fondamentale distingue Snowden de Bradley Manning : la portée de leurs actes. Alors que ce dernier avait révélé des informations dangereuses pour la sécurité nationale américaine, Snowden  s’est contrairement à lui  inscrit dans une démarche de « lanceur d’alerte » soucieux de l’intérêt public et de la démocratie et non au service de puissances extérieures. Greenwald est venu louer ce mercredi au Parlement, l’acte de civisme dont a fait preuve Snowden, au sens propre puisque les autorités américaines ont créé une véritable machine à espionner leurs citoyens. « Moi-même et Monsieur Snowden avons adopté des règles fondées sur le principe de responsabilité  et il n’a jamais été question de mettre en péril la sécurité des Etats-Unis ou de leurs alliés, mais plutôt de révéler au grand jour l’existence de ces programmes secrets d’espionnage conduits par des pays prétendument démocratiques (dont l’Amérique fait partie) ; jamais aucun document de la NSA n’a été transmis aux autorités russes ou chinoises ».

Gleen Greenwald rappelle que concrètement le but final recherché par Snowden serait plutôt de faire en sorte que  le travail des organes de sécurité des Etats démocratiques soit à l’avenir encadré par des procédures de contrôle efficace, parlementaire ou judiciaire. On en est encore très loin.

Nous arrivons à un moment où l’enjeu n’est plus tant de savoir si les informations récoltées sont celles que des gens veulent ou non cacher mais plutôt le pouvoir et la structure du gouvernement. Il y a existence d’un problème structurel dans nos sociétés démocratiques : la façon dont les gens sont traités par les institutions gouvernementales, cette dissymétrie grandissante de pouvoir qui se creuse entre les individus et le gouvernement… Il faut de toute évidence combler un tel fossé. Comme le disait si justement Jurgen Habermas (philosophe allemand), après les attentats du 11 septembre 2001, GeorgesW Bush a « empoisonné la culture politique de son pays en  hystérisant la vie publique. De cette façon il s’est procuré une majorité politique qui lui a permis d’investir l’exécutif des pleins pouvoirs, contraires à la Constitution américaine ».

Ainsi l’affaire Snowden pourrait avoir comme conséquence un rééquilibrage, et encore, ce n’est pas certain !

Le journaliste Greenwald précise que la meilleure réponse que les Etats européens puissent adopter face à l’espionnage massif de leurs ressortissants serait de s’engager eux-mêmes dans une saine émulation afin de restaurer la confiance auprès de leurs citoyens respectifs et de les rassurer sur leur cadre juridique national de protection des libertés. En effet, les Etats membres capables d’expliquer leurs propres mécanismes de surveillance et de traitement des données fourniraient aux opérateurs de services cloud placés sous sa juridiction, un cadre juridique de confiance pour l’ensemble de leurs clients. Prism devrait peut-être alors se concevoir comme une opportunité historique pour l’Europe qui devrait se réjouir de devenir la nouvelle plateforme mondiale des services clouds. Ceci est un autre débat.

De son côté, Claude Moraes  (S&D), le rapporteur britannique de la commission spéciale d’enquête sur les écoutes de la NSA, a livré mercredi 18 décembre ses premières conclusions de l’enquête, devant se concrétisées par un vote  d’ici la fin janvier en commission des libertés civiles et fin février en session plénière du Parlement européen.

Dans les grandes lignes de ses conclusions préliminaires, Moraes a vivement incité le Parlement à ne donner son aval à un accord commercial de libre-échange avec les Etats-Unis que « sur la base d’un traitement différencié de la protection des données personnelles et sur la nécessité pour les Etats-Unis de prévoir des modes de recours valables pour les Européens ».

« Nous devons pour l’avenir veiller à obtenir une protection accrue des données personnelles en dehors du TTIP (accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement », c’est primordial  a affirmé Claude Moraes ce mercredi 18 décembre 2013.

Le texte recommande aussi, la création succincte d’un « nuage européen » de stockage des données et comme la Commission européenne l’avait suggérer aux Etats-Unis fin novembre, d’introduire un recours judiciaire efficace apportant la garantie que les citoyens européens pourront obtenir réparation auprès de tribunaux américains pour y défendre pleinement leurs droits en cas d’intrusion dans leurs vies privées.

Faisant suite à l’idée franco-allemande du « code de bonne conduite » évoqué en octobre dernier qui s’était limité à du déclaratif, l’initiative  la plus prometteuse provient à présent de Claude Moraes qui a demandé à ce que les Etats-Unis se dotent d’un code de bonne conduite garantissant qu’ils n’espionneront plus les institutions et bâtiments de l’Union européenne.

De plus,  le rapport Moraes demande à la Commission européenne de suspendre provisoirement les principes  de la « sphère de sécurité » (normes relatives à la protection des données que les entreprises américaines doivent respecter lorsqu’elles transfèrent des données de citoyens européens vers les Etats-Unis) ainsi que l’accord SWIFT-TFTP, le temps de pouvoir « renégocier de nouvelles normes adéquates sur la protection des données et d’investiguer davantage sur les soupçons d’espionnage dont la banque de données Swift est accusée». Le texte souligne d’ailleurs que les consultations conclues récemment par la Commission n’étaient  basées que sur des garanties consenties par les Etats-Unis.

Dans le même ordre, les conclusions du rapport recommande que la réforme des règles de protection des données personnelles, présentée  par Vivianne Reding, soit conclue sans moratoire, « au plus tard fin 2014 », a-t-on entendu.

Sur un plan plus technique, LIBE a suggéré comme piste d’user de solutions locales afin de limiter l’accès des agences de renseignement aux données personnelles des européens. Effectivement un service de stockage européen pourrait déjà « garantir que les entreprises appliquent les normes élevées fixées par les règles européennes sur la protection des données, et les entreprises européennes pourraient bénéficier d’un avantage économique dans ce domaine ».   Le cloud européen, serait la première promesse de sécurité. Reste à souhaiter que l’Europe ne soit point tentée  d’imiter les pratiques américaines sur son propre territoire…

En termes de sécurité informatique, le rapport milite de même pour l’utilisation de logiciels libres, dont le code source ( exemple : Firefox) est facilement vérifiable contre des logiciels propriétaires (surtout jugé nécessaire depuis que la NSA aurait tenté d’introduire des « backdoors » ou « portes dérobées » dans le système d’exploitation  Linux).

A l’image du Brésil, l’Europe doit commencer à prendre quelques distances avec les infrastructures américaines, en  modérant l’utilisation de certains services et produits made in USA. Mais plus que jamais, la Commission LIBE insiste sur « le recours accru » par les entreprise à des techniques de chiffrement ou de cryptage pour éviter que des informations personnelles ne circulent à tout va. On espère ainsi assister dans un avenir proche à une explosion de nouvelles recherches et une refonte complète des logiciels cryptographiques.

Après cette longue liste de solutions, il semblerait que nous ne soyons pas obligés d’accepter cette phrase épicurienne de la Grèce antique qui disait : « pour vivre heureux, vivons cachés de la NSA » et pourrions du coup envisager une autre fin que de vivre dans des « abris ou coffre-fort du numérique », exactement comme le film  hollywoodien « Ennemi d’Etat » réalisé en 1998  par Tony Scott, le montre à ses spectateurs.

Mais que va faire Obama avec les conclusions de la commission sur la NSA, un rapport de plus de 300 pages(46 propositions) emportés en vacances à Hawaï ?

Ce rapport « Liberty and Security in a Changing Worls. Report and recommendations of the President’s Review Group on Intelligence and Communications Technologies » (cf.infra “Pour en savoir plus”) . Ce rapport change incontestablement la donne (La commission sur la NSA préconise l’arrêt du stockage généralisé des données) quel que soit le sort qui lui sera réservé. Pour l’instant beaucoup de critiques cherchent à accabler ce rapport et laisse prévoir une rude bataille au Congrès

Rien n’oblige formellement Barack Obama à suivre les 46 recommandations que le  groupe d’experts vient de lui soumettre en vue d’une réforme du système de surveillance mondiale mis en place par l’Agence de sécurité nationale (NSA) américaine après le 11 septembre 2001 et dénoncé par l’ancien informaticien Edward Snowden. Le président devrait annoncer ses décisions, début janvier, dans un discours. Le président est « ouvert à beaucoup » de changements, a fait savoir son entourage mercredi, alors que les premières fuites sur le rapport des experts avaient révélé qu’il avait déjà rejeté l’une de leurs propositions phares : le remplacement des militaires par des civils à la tête de la NSA et la dissociation de l’agence avec le Cyber Command, la structure chargée de la guerre informatique.

Venant après les démarches des   géants du Web ( Google, Microsoft, Facebook, Twitter, etc. –, inquiets d’une perte de confiance du public, étaient venus réclamer à M. Obama des mesures de transparence et trois jours avant, le juge fédéral Richard Leon, nommé en son temps par George Bush, avait qualifié de « quasi orwellienne » la surveillance de la NSA) ce rapport a chargé un peu plus la barque. Le président est « ouvert à beaucoup » de changements, a fait savoir son entourage, alors que les premières fuites sur le rapport des experts avaient révélé qu’il avait déjà rejeté l’une de leurs propositions phares : le remplacement des militaires par des civils à la tête de la NSA et la dissociation de l’agence avec le Cyber Command, la structure chargée de la guerre informatique.

De fait, les 300 pages du rapport contiennent un ensemble de mesures ambitieuses qui, si elles étaient retenues, mettraient un coup d’arrêt à la concentration de pouvoirs souverains entre les mains de la NSA observée depuis le 11-Septembre. « Les nations libres doivent se protéger et les nations qui se protègent doivent demeurer libres », pose d’emblée le document, qui met nettement en balance les nécessités sécuritaires d’une part, la protection constitutionnelle de la vie privée et les intérêts économiques des Etats-Unis, notamment ceux liés au fonctionnement de l’Internet, d’autre part.

Les experts – membres de la communauté du renseignement et juristes – auxquels Barack Obama avait commandé ce travail en août, disent avoir « identifié une série de réformes conçues pour sauvegarder la vie privée et la dignité des citoyens américains et pour promouvoir la confiance du public, tout en autorisant la communauté du renseignement à faire le nécessaire pour répondre aux véritables menaces ».Selon les experts, les métadonnées téléphoniques (qui appelle qui ? quand ?) au centre du scandale révélé par M. Snowden, ne devraient plus être collectées systématiquement par la NSA qui y puise aujourd’hui à sa guise sans réel contrôle judiciaire. Elles resteraient entre les mains des opérateurs de télécoms, ou d’un consortium privé les regroupant, et seule la décision d’un juge les rendrait accessibles, au cas par cas. Alors que les dirigeants de la NSA estiment les pratiques actuelles cruciales pour la sécurité du pays, le rapport estime qu’elles ne sont « pas essentielles pour prévenir les attaques (…) Le stockage en vrac de métadonnées pratiqué actuellement par le gouvernement fait courir des risques en matière de confiance du public, de vie privée et de libertés publiques », écrivent les experts. Selon leurs recommandations, les avocats de la NSA ne seraient plus les seuls à plaider devant la Cour FISA, la juridiction chargée de contrôler l’usage des données de communication : un « avocat de l’intérêt public » y représenterait « la défense de la vie privée et des libertés publiques ». Audacieuse, une autre proposition vise à mettre fin à la pratique consistant à obliger les fabricants à intégrer systématiquement des « portes dérobées » (« back doors ») dans les matériels et programmes informatiques afin de faciliter les cyberattaques. La NSA justifie sa surveillance généralisée par la nécessité d’empêcher des étrangers d’exploiter ces « backdoors » qu’elle a elle-même conçues.

Le rapport contient une recommandation à laquelle les européens devraient être sensibles : selon eux, les non-Américains devraient bénéficier des mêmes protections que celles accordées aux citoyens américains par le Privacy Act de 1974 qui donne droit à un accès aux données personnelles collectées par les administrations ou divulguées publiquement. Enfin, la surveillance des personnalités politiques, comme celle ayant visé Angela Merkel, ou le premier ministre israélien ou le membre de la Commission européenne en charge des dossiers de la concurrence, Joaquim Almunia, devrait être contrôlée non plus par les dirigeants du renseignement mais par la Maison Blanche elle-même.

Certaines des réformes proposées par les experts sont du ressort de l’exécutif, d’autres nécessiteraient le vote de lois. Le débat s’annonce serré : le net est  rempli de protestations et prises de position, le 18 décembre, dans un éditorial inhabituellement long, le Wall Street Journal accusait la « commission d’Obama » de vouloir « désarmer » l’Amérique. Rien de moins ! Le ton est donné.

A suivre ….

 

Géraldine Magalhães

 

Pour en savoir plus:

      -. Parlement Européen, Communiqué de presse « Enquête sur la NSA : présentation des premières conclusions », 18/12/2013 ; http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fTEXT%2bIM-PRESS%2b20131216IPR31029%2b0%

      -. European Parliament- Press release- « NSA inquiry: lead MEP presents preliminary conclusions, 18/12/2013;. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+IM-PRESS+20131216IPR31029+0+DOC+XML+V0//EN

      -. Parlement Européen- “Le choix de Snowden sera utile aux gouvernements du monde entier, selon  Greenwald », 19 /12/2013 ; http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fTEXT%2bIM-PRESS%2b20131218IPR31340%2b0%

      -. European Parliament- « Greenwald to MEPs: governments around the world benefit from Snowden’s choice”; 19/12/2013; http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+IM-PRESS+20131218IPR31340+0+DOC+XML+V0//EN;

      -. Bulletin quotidien Europe n°10979, « Protection des données, journée noire pour Viviane Reding, 06/12/2013

      -. Bulletin quotidien Europe n° 10986, « Snowden au PE, un geste inamical pour Washington, avertit un délégué, 17 /12/2013

      -. Bulletin quotidien Europe n° 10986, « NSA, le programme d’écoute américain « illégal » selon un juge fédéral », 17/12/2013

      -. Bulletin quotidien Europe n° 10988 (Agence Europe), « Enquête sur la NSA, le travail de la commission  spéciale touche à sa fin, 19 /12/2013

      -. Le figaro- « Un juge condamne les écoutes de la NSA », 18/12/2013 ; http://www.lefigaro.fr/international/2013/12/17/01003-20131217ARTFIG00257-un-juge-americain-condamne-la-technologie-

      -.Le Monde S.Lauer- « Un juge américain qualifie de « quasi orwellienne » la surveillance de la NSA », 18/12/2013 ; http://www.lemonde.fr/international/article/2013/12/17/un-juge-americain-qualifie-de-quasi-orwellienne-la-surveillance-de-la-

      -. RT- « NSA’s goal is elimination of individual privacy worldwide- Greenwald to EU”, 18/12/2013; http://rt.com/news/greenwald-eu-parliament-testimony-424/

      -. Europe Direct Information Centre- “NSA inquiry: lead MEP presents preliminary conclusions”, 18/12/2013; http://www.europedirect-eastleigh.org.uk/latest-eu-news/latest-eu-news-from-european-law-monitor.html

      -. Liberty and Security in a changing World , Report and Recommendations of the President’s Review Group on Intelligence and Communications Technologies http://i2.cdn.turner.com/cnn/2013/images/12/18/intel.comm.tech.review.pdf?hpt=po_t1

      -. Whashington Post: US reasserts need to keep domestic surveillance secret http://www.washingtonpost.com/world/national-security/us-reasserts-need-to-keep-domestic-surveillance-secret/2013/12/21/9d2b4538-6a7e-11e3-a0b9-249bbb34602c_

      -. The Guardian: Obama review panel, strip NSA of power to collect phone data http://www.theguardian.com/world/2013/dec/18/nsa-bulk-collection-phone-date-obama-review-panel

      -. NewYork Times Obama is urged to sharply curb NSA Data Mining http://www.nytimes.com/2013/12/19/us/politics/report-on-nsa-surveillance-tactics.html?_r=0

      -. Hill lawmakers battle over future of NSA spying, in wake of White House report http://www.foxnews.com/politics/2013/12/22/hill-lawmakers-say-wh-report-will-drive-washington-debate-on-future-nsa-spying/

      -. The Guardian: Congressional  NSA critics http://www.theguardian.com/world/2013/dec/19/nsa-critics-white-house-report-momentum-reform

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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