Surveillance des frontières maritimes extérieures : entre les grands enjeux géostratégique de la Méditerranée et le respect de grands principes comme celui de non-refoulement

La réunion conjointe du 19 mars entre le Parlement européen et les représentants des parlements nationaux portant sur les futures priorités dans le domaine des libertés civiles, justice et affaires intérieurs, a donné l’occasion d’ analyser les points forts de la proposition du PE et du Conseil établissant les règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures.

Dans le cadre de la réunion conjointe du 19 mars entre le Parlement européen et les représentants des parlements nationaux portant sur les futures priorités dans le domaine des libertés civiles, justice et affaires intérieurs, le débat a été consacré au système européen de gouvernance des flux migratoires irréguliers traversant la mer Méditerranée et plus particulièrement la proposition de règlement du PE et du Conseil établissant les règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures dans le cadre de la coopération opérationnelle cordonnée par FRONTEX (rapport de Carlos Coelho, approuvé en commission LIBE le 09 décembre 2013, à en première lecture à la session plénière du PE du 14-17 avril). En effet, à l’aube de la programmation stratégique du post- Stockholm, ce sujet figure parmi les priorités de l’Union étant donné les réponses faibles des Etats membres aux pressions migratoires survenues après les bouleversements politiques du Moyen Orient et du Maghreb.

Selon les données fournies par Carlos Coelho, lors de son intervention, en 2010, ce sont 10 000 tentatives de franchissement irrégulier des frontières maritimes, 70 000 en 2011 et 20 000 en 2012. Selon le dernier rapport d’analyse des risques rédigé par FRONTEX concernant la période juillet-septembre 2013 ces franchissements se sont montés à 42.618, dont environ 30 000 par mer et 12 000 par terre. Le corridor de la Méditerranée centrale a donc été le plus concerné par les franchissements, environ 23 000. Les deux premières nationalités de départ sont la Syrie et l’Erythrée.

Au de là du corridor syrien et de la nature exceptionnelle du drame humanitaire qui l’alimente, les autres corridors, celui de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient et celui de l’Afrique subsaharienne, du Sahel et du Corne d’Afrique, sont , eux, stables depuis plusieurs années. Cette nature régulière des mouvements migratoires faisant pression sur les frontières maritimes et les défauts des mécanismes de réaction et d’accueil mises en place par les Etats membres appellent à quitter la posture de situation d’urgence que souvent on pratique et à adopter un instrument législatif à même de garantir la sécurité juridique, la coopération entre les Etats, le partage de responsabilité, l’absence de divergences d’interprétation du droit maritime international, un cadre des garanties de procédure et le respect des droits fondamentaux des migrants interceptés, notamment du principe de non refoulement. Ce dernier a été, en effet, plusieurs fois violé dans le cadre des opérations d’expulsion collective et de refoulement des migrants, telles que pratiquées par l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Par rapport à tous ces éléments, le présent règlement introduit des nouveautés importantes. Pour mieux les apprécier et saisir les enjeux liés au control des frontières maritimes extérieures et au principe de non refoulement il est primordial rappeler au moins l’arrêt Hirsi, Jamaa et autres c. Italie et le cas du navire turc Pinar.

Le 23 février 2012 la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné à l’unanimité l’Italie pour la violation des articles 3 (interdiction de latorture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants), 13 (droit au recours effectif) et 4 du Protocole n°4 (interdiction des expulsions collectives). En l’espèce, le 6 mai 2009 200 migrants quittant la Libye ont été interceptés par des Garde-côtes italiens en eaux internationales et reconduits à Tripoli. Même si le refoulement a eu lieu hors du territoire italien, la Cour a considéré que l’article 1 de la CEDH (définition du régime territorial d’application de la Convention) était applicable puisque les migrants se trouvaient sous le contrôle continu et exclusif de jure et de facto des autorités italiennes.

Le cas du navire turc Pinar montre très bien les incertitudes liées aux opérations de recherche et sauvetage en mer des migrants en détresse et le défaut de coopération entre les Etats membres. Le 21 avril 2008 le navire Pinar a été autorisé à entrer dans les eaux territoriales italiennes pour débarquer à Porto Empédocle 145 migrants secourus quelques jours avant au large des côtes de Lampedusa. Le débarquement avait lieu après plusieurs jours de bras de fer entre l’Italie et Malte pour déterminer sur qui tombait la responsabilité de prendre en charge les migrants, étant donné que le sauvetage avait été mené dans la zone SAR maltaise mais que le port le plus proche était italien. En effet, même s’il existe l’obligation coutumière de sauver toutes personnes en détresse en mer sans regarder sa nationalité, son statut ou sa race, le droit maritime international n’établit pas des règles sûres pour déterminer et identifier l’Etat compétent pour déterminer le lieu de débarquement. . Même les amendements aux convention SAR et SOLAS de 2004 – qui ont pas été ratifiés par Malte, ne créée pas une obligation d’accueil tout en obligeant les Etats côtiers à coopérer dans la mise en place des opérations de recherche et de sauvetage et en identifiant l’Etat responsable de la zone SAR où le sauvetage a été réalisé comme celui qui doit déterminer le « lieu sûr » pour le débarquement.

Le nouveau règlement semble tenir compte de tout cela en englobant la jurisprudence consolidée en matière de droits fondamentaux des migrants et du principe de non refoulement et en introduisant des critères solides pour la recherche, le sauvetage,les interceptions et le débarquement.

Dans la suite on va se focaliser sur ces différents points.

En ce qui concerne le premier, l’article 1 de la proposition fournit une définition du lieu, définition   empruntée des conventions SOLAS et SAR en tant que « l’endroit où des opérations de sauvetage sont réputées être achevées et où la vie des survivants, y compris en ce qui concerne la protection de leurs droits fondamentaux, n’est pas mise en péril, où les besoins essentiels de l’être humain peuvent être satisfaits et à partir duquel des dispositions peuvent être prises pour le transport des survivants jusqu’à leur destination suivante ou finale ». L’article 4 porte plus spécifiquement sur la protection des droits fondamentaux et le principe de non- refoulement. Tout d’abord il est interdit que les migrants interceptés ou secourus en mer soient débarqués, conduits vers ou forcés d’entrer dans un pays, ou livrés aux autorités d’un pays où il existe un risque réel qu’ils subissent la peine de mort, la torture ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ou toute violation grave de leur droits en tant qu’êtres humains, ou lorsque leur vie ou liberté serait menacée en raison de leur race, leur religion, leur nationalité, orientation sexuelle, appartenance à un certain groupe social ou opinions politiques, ou si des motifs sérieux portent à croire qu’ils risquent d’être expulsés, éloignés ou extradés vers un autre pays, en violation du principe de non- refoulement.

 –        après les amendements proposés par le PE ajoutant l’expression « conduit vers ou forcé d’entrée », couvre complètement les refoulements, et qu’ils soient réalisés dans les eaux territoriales ou la zone contiguë et qu’ils soient réalisés en haute mer;

–        fournit une définition des motifs des persécution empruntée par les critères d’élection à la protection subsidiaire réglées par la directive 2011/95/UE qui à son tour englobe la jurisprudence consolidée de la CEDH en matière de protection des demandeurs d’asile et du principe de non refoulement;

–        reprend l’article 33.1 de la convention de Genève, tout en ajoutant la catégorie de l’orientation sexuelle telle qui a été indiquée par la Cour de Justice dans son arrêt du 7 novembre 2013 et ne faisant pas référence à la dérogation contenue dans le paragraphe 2 du même article;

–        interdit les refoulements de masse aussi.

 Le deuxième paragraphe prévoit que l’Etat membre d’accueil de l’opération, les Etats membres participants ou FRONTEX savent ou sont censés savoir la situation générale des pays tiers voisins, donc l’existence des risques de persécution. Les sources auxquelles se référencer sont les autres États membres, le Service européen pour l’action extérieure, le Bureau européen d’appui en matière d’asile, FRONTEX, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés et les autres organisations internationales et non gouvernementales compétentes.

 Le troisième paragraphe prévoit que lorsque le débarquement dans un pays tiers est envisagés les unités participantes aux opérations identifient les interceptées, évaluent leur situation personnelle, l’état de santé et les autres éléments qui pourraient les rendre vulnérables ou rendre nécessaire une protection internationale, et cela avant de prendre une décision. Les personnes interceptées ou secourues sont informées du lieu de débarquement dans une langue qu’elles comprennent ou sont supposées comprendre et il leur est offerte la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles un débarquement dans le lieu proposé serait contraire au principe de non-refoulement.

 Finalement, le paragraphe dispose que pendant les opérations les unités participantes répondent prioritairement aux besoins des personnes vulnérables, à savoir les enfants, les victimes de la traite des êtres humains, ceux ayant besoin d’une assistance médicale urgente, les personnes handicapées, ceux ayant besoin d’une protection internationale et les autres personnes se trouvant dans une situation particulièrement vulnérable, en faisant appel aux médecins, aux interprètes et à des spécialistes dans d’autres domaines.

 En ce qui concerne les opérations de recherche et sauvetage, elles font l’objet de l’article 9. Ce dernier porte sur les aspects opérationnels,il fournit des définitions claires de l’état d’alerte, de détresse et d’incertitude, des obligations des Etats membres en matière de respect des droits fondamentaux et des conventions internationales régissant le cas de recherche et sauvetage et la fourniture d’assistance à toutes personnes en détresse indépendamment de sa nationalité ou son statut ou des circonstances dans lesquelles cette personne a été trouvée.

Le débarquement est réglementé par les articles 6, 7, 8 et 10. Si le navire est intercepté dans les eaux territoriales ou la zone contiguë, le débarquement a lieu dans l’Etat membre participant dans la mer territoriale ou dans la zone contiguë où l’interception a eu lieu ou dans l’Etat d’accueil de l’opération. Cependant, les Etats membres ont la possibilité d’ordonner au navire de modifier sa route et de quitter les eaux territoriales. Si l’interception a lieu en haute mer le débarquement peut être réalisé dans le pays tiers que le navire a quitté, tout en respectant le principe de non-refoulement. Si ce n’est pas possible, le débarquement a lieu dans l’État membre d’accueil. Finalement, lors d’une opération de recherche et de sauvetage les secourus doivent être débarqués dans un lieu sûr ou dans l’Etat d’accueil.

 Bien que le présent règlement fournisse un cadre juridique sûr pour le respect des droits fondamentaux et du principe de non refoulement et pour les opérations d’interception et sauvetage, il contient ou pourrait produire en raison de sa mise en place certaines contradictions.

 Tout d’abord, il laisse une certain marge de flexibilité aux Etats membres dans l’identification du lieu sur. On sait depuis le cas du navire turc Pinar, ainsi que celui du navire allemand Cap Anamur, que le choix du lieu de débarquement est un des enjeux fondamentaux de la recherche et du sauvetage en mer.

 Deuxièmement, il fait le silence en ce qui concerne le droit des migrants interceptés ou secourus de présenter une demande d’asile. On peut croire que dans ce cas ce sont les règles établies par la « directive procédures » qui doit s’appliquer. Cependant si ce dernier instrument impose que toutes les demandes d’asile qui sont présentées dans le territoire des Etats membres, donc aussi dans les eaux territoriales et les zones contiguë, doivent être examinées, il n’est pas claire en ce qui concerne la haute mer.

 Troisièmement, il faut, pour l’avenir, prêter de plus en plus d’attention au processus dit «d’externalisation des frontières ». En effet, des contraintes majeures sont créées par des instruments juridiques tels que ceux décrits ci-dessous, car alors majeures aussi seront les incitations aux Etats côtières à déléguer aux pays tiers la surveillance des frontières. On peut veiller sur ce qui se passe dans l’espace européen mais on ne peut pas le faire ailleurs.

 Dernièrement, la capacité du présent règlement à mettre en place un système efficace de coordination entre les Etats membres et FRONTEX dépend du fonctionnement global de l’arsenal législatif que l’UE mettra en place au cours des années à venir. Il est tout à fait évident que la composition et le volume des flux mixtes de migrants franchissant irrégulièrement les frontières maritimes extérieures sont intimement liées à la disponibilité et au bon fonctionnement des voies légales pour accéder à l’espace de l’Union et présenter des demandes d’asile. Le nombre de réfugiés syriens qui chaque jours essaient d’entrer irrégulièrement dépend fortement des échecs du système commun d’asile.

 Il existe plusieurs raisons à l’origine des projets migratoires : des guerres, des violences subies, des persécutions, de la pauvreté et celle banale et la plus commune de changer sa propre vie. Pour aborder ce spectre vaste et complexe des pulsions et projets il faut une politique complexe. C’est sur ce genre de réflexion que s’est penché Eugenio Ambrosi, Senior Regional Advisor pour l’Europe et l’Asie Central de l’Organisation internationale pour les Migrations (OMI), lors de son intervention lors du débat portant sur les futures priorités de l’UE. Selon lui, la mobilité et les migrations, loin d’être des accidents ou le résultat de situations critiques, mais sont au cœur des enjeux déployés par les mutations de l’espace politique et économique contemporain et façonnent les paysages sociaux où on vit. Cette nature structurelle et complexe impose aux Etats européens d’abandonner la posture d’urgence voire paranoïaque si souvent pratiquée mais de développer de préférence une approche globale et de modifier de façon importante les pratiques.

 Alberto Prioli

En savoir plus :

– Report of Carlos. Coelho on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council establishing rules for the surveillance of the external sea borders in the  context of operational cooperation coordinated by the European  Agency for the Management of Operational Cooperation at the  External Borders of the Member States of the European Union: EN / FR 

– New EU rules on maritime surveillance. Will they stops deaths and push-backs in the Mediterranean?, Peers S., 27 february 2014,  published on www.free-group.eu: EN

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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