Surveillance des frontières maritimes extérieures : un nouveau cadre juridique pour les opérations en mer cordonnées par Frontex. Des progrès méritoires, mais encore des lacunes.

Le PE réuni en plénière à Strasbourg a approuvé le 16 avril 2014 les nouvelles règles visant à clarifier les modalités de sauvetage en mer et de débarquement des migrants quand une opération est cordonnée par l’agence Frontex. Bien que ce règlement introduise un cadre juridique plus contraignant et des nouvelles garanties de procédure sous la tutelle du principe de non-refoulement, il fait le silence sur le droit au recours suspensif.    

Le 16 avril 2014 les eurodéputés à Strasbourg ont adopté par 528 voix pour, 46 contre et 88 abstenions la proposition de règlement du PE et du Conseil établissant les règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures dans le cadre de la coopération opérationnelle cordonnée par Frontex. Ce règlement, défendu par le député de la commission LIBE Carlos Coelho (PPE), remplace une décision cadre du Conseil du 2010 annulée par la Cour de justice de l’Union européenne en raison de l’exclusion illégitime du PE de la procédure d’adoption.

Cet instrument législatif a deux objectifs majeurs :

–          mieux encadrer les opérations de recherche et de sauvetage en mer ;

–          aligner le droit européen concernant le débarquement des migrants interceptés sur les conclusions de l’arrêt Hirsi, Jamal et autre c. Italie avec laquelle la Court européen des droits de l’homme condamnait les refoulements vers la Lybie (voire l’article « Surveillance des frontières maritimes extérieures : entre les grands enjeux géostratégique de la Méditerranée et le respect de grands principes comme celui de non-refoulement », Nea say n 143).

En ce qui concerne le premier point, le règlement définit les aspects opérationnels, fournit des définitions claires de l’état d’alerte, de détresse et d’incertitude, clarifie les obligations des Etats membres en matière de respect des droits fondamentaux et de respect des conventions internationales régissant le cas de recherche et de sauvetage et, en dernier lieu, oblige les Etats membres à fournir assistance à toutes personnes en détresse indépendamment de leur nationalité ou leur statut ou des circonstances dans lesquelles ces personnes ont été trouvées.

Quant au second point, le règlement introduit des critères pour déterminer le lieu de débarquement, dont l’absence auparavant à conduit à des situations d’incertitude et de conflits entre les Etats membres mettant en danger les vies des migrants secourus. Si le navire est intercepté dans les eaux territoriales ou la zone contiguë,  le débarquement a lieu dans l’Etat membre participant dans la mer territoriale ou dans la zone contiguë où l’interception a eu lieu ou dans l’Etat d’accueil de l’opération. Cependant, les Etats membres ont la possibilité d’ordonner au navire de modifier sa route et de quitter les eaux territoriales.  Si l’interception a lieu en haute mer le débarquement peut être réalisé dans le pays tiers que le navire a quitté, tout en respectant le principe de non-refoulement. Si ce n’est pas possible, le débarquement a lieu dans l’État membre d’accueil.

De nouvelles dispositions sont introduites : elles visent à garantir du principe de non refoulement et de la protection des personnes vulnérables, ce qui est un sujet transversal aux deux objectifs majeurs. Tout d’abord, il est  interdit que les migrants interceptés ou secourus en mer soient débarqués, conduits vers ou forcés d’entrer dans un pays, ou livrés aux autorités d’un pays où il existe un risque réel qu’ils subissent la peine de mort, la persécution, la torture ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ou toute violation grave de leur droits en tant qu’êtres humains. La définition des motifs de persécution est plus riche de celle fournit par l’article 33.1 de la Convention de Genève, notamment la référence à l’orientation sexuelle, et englobe ceux compris dans le cadre de la protection subsidiaire. Deuxièmement, il est prévu que l’Etat membre d’accueil de l’opération, les Etats membres participants ou Frontex savent ou sont censés savoir quelle est la situation générale des pays tiers voisins, donc l’existence de risques de persécution.

Troisièmement, lorsque le débarquement dans un pays tiers est envisagé les unités participantes aux opérations doivent identifier les interceptés, évaluer leur situation personnelle, l’état de santé et les autres éléments qui pourraient les rendre vulnérables ou  rendre nécessaire une protection internationale, et cela avant de prendre une décision. D’ailleurs, les personnes interceptées ou secourues sont informées du lieu de débarquement dans une langue qu’elles comprennent ou sont supposées comprendre et il leur est offert la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles un débarquement dans le lieu proposé serait contraire au principe de non-refoulement.  Finalement, pendant les opérations les unités participantes répondent prioritairement aux besoins des personnes vulnérables, à savoir les enfants, les victimes de la traite des êtres humains, ceux ayant besoin d’une assistance médicale urgente, les personnes handicapées, ceux ayant besoin d’une protection internationale et les autres personnes se trouvant dans une situation particulièrement vulnérable, en faisant appel aux médecins, aux interprètes et à des spécialistes dans d’autres domaines.

Bien que le règlement en question fournisse un cadre juridique sûr pour le respect des droits fondamentaux et du principe de non refoulement et pour les opérations d’interception et sauvetage, il présente des aspects contradictoires qui ont été mis en exergue par les Verts qui avec les ALES se sont d’ailleurs abstenus. Ces derniers ont notamment critiqué le silence du texte sur le droit au recours suspensif des migrants refoulés vers un pays tiers, tandis qu’il est prévu de la jurisprudence de la Court de Strasbourg.

Soulignons que cet instrument législatif ne règle pas le droit des migrants interceptés ou secourus à présenter une demande d’asile. On peut croire que dans ce cas ce sont les règles établies par la « directive procédures » qui doivent s’appliquer. Cependant si ce dernier instrument  impose que toutes les demandes d’asile qui sont présentées dans le territoire des Etats membres, donc aussi dans les eaux territoriales et les zones contiguë, doivent être examinées, il n’est pas clair en ce qui concerne la haute mer.

(Alberto Prioli)

Pour en savoir plus :

–          Report of C. Coelho on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council establishing rules for the surveillance of the external sea borders in the context of operational cooperation coordinated by the European Agency for the Management of Operational Cooperation at the External Borders of the Member States of the European Union (COM(2013)0197 – C7-0098/2013 – 2013 : EN / FR

 –          New rules on Frontex operations at sea, S. Keller, StatWatch News on line : EN

–         Surveillance des frontières maritimes extérieures : entre les grands enjeux géostratégique de la Méditerranée et le respect de grands principes comme celui de non-refoulement, NEA say n. 143 : FR

    

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cette publication a un commentaire

  1. laurencemas

    Très beau « texte »…..maintenant, voyons en « l’application » !

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