Le nouveau corridor transcontinental ferroviaire des ”Routes de la Soie” catalyse une dynamique nouvelle au cœur de l’Eurasie (1/2) – Une nouvelle liaison transcontinentale Eurasiatique a vu le jour

Avec le nouvel axe ferroviaire transcontinental eurasiatique, l’Asie centrale se retrouve désenclavée.  L’Union européenne peut y trouver un atout majeur pour la réussite de la mise en œuvre de sa nouvelle “Stratégie pour un partenariat renforcé UE Asie Centrale“ adoptée lors du Conseil européen du 17 Juin 2019.  Le dialogue et la coopération de l’UE avec tous les acteurs engagés dans l’essor du corridor transcontinental sont essentiels pour réaliser le potentiel ouvert par cette connexion pour la sécurité et prospérité durables de toute la région, au cœur de l’Eurasie. 

1. Le pont terrestre eurasiatique de l’Initiative Belt and Road (BRI) : pièce maîtresse dans le développement durable de l’Asie centrale.

1.1 Des progrès inattendus sur la liaison eurasiatique BRI Union européenne-Chine 

Les résultats obtenus sur la nouvelle liaison ferroviaire transcontinentale eurasiatique lancée par l’Initiative Belt and Road (BRI) ont été surprenants : en quatre ans, depuis 2015, le fret en transit Chine-UE-Chine est passé de 0,5% à environ 4 % du volume conteneurisable  (TEU) et de 2 % à approx. 8 % en valeur du commerce UE-Chine.

En 2018, selon le site Rail Freight l 370 000 TEUs furent transportés par rail entre la Chine et l’Union européenne, soit une augmentation de 35% par rapport à 2017. Le déséquilibre entre les trafics Est-Ouest s’est amenuisé en 2018 : le nombre de trains Est-Ouest a augmenté de 37%, alors que le nombre de convois Ouest-Est s’est accru de 90%, réduisant l’importance des subventions accordées par les autorités chinoises pour le transport de conteneurs.

Environ 75% du trafic UE- Chine passe par le Kazakhstan. La cargaison des conteneurs UE-Chine-UE transitant par le Kazakhstan est passée à 310 800 TEU en 2018, soit 54% de plus qu’en 2017 (201 200 TEU) – (réf : Ministère du développement industriel et des infrastructures – mars 2019, Astana) . Cette croissance du volume transporté fut accompagnée par une augmentation similaire de trains (2167 en 2017 à 3384 en 2018), ainsi que d’un nombre plus important de plates-formes par train, explique UTLC-ERA, United Transport and Logistics Company- Eurasian Rail Alliance RailFreight.com, 13/03/2019).

Du côté de l’UE, de tels progrès enregistrés sur la liaison ferroviaire eurasiatique n’étaient pas attendus, à savoir : des coûts d’expédition des conteneurs réduits de moitié (aujourd’hui moins du double du transport maritime pour un gain d’un mois sur la durée du parcours), des temps de transit du fret ferroviaire pratiquement réduits de moitié d’un bout à l’autre du corridor grâce à des vitesses sur rail et transbordement de conteneurs toujours plus rapides,  une digitalisation et harmonisation rapide aux normes internationales des formalités de passage aux frontières, de dédouanement  et de transport commercial, ainsi que la mise en place de chaînes logistiques multimodales plus efficaces. Des itinéraires de destination multiples entre l’Union européenne et la Chine sont désormais régulièrement programmés, ce qui est accompagné d’une augmentation rapide des échanges et permet d’approcher un équilibre Est-Ouest des convois et d’abaisser les coûts.

Devant cette réussite, le vrai défi est dorénavant que les infrastructures, le matériel roulant, la gestion du transport, les services de logistique et normes suivies puissent assurer un accroissement constant des flux de conteneurs ferroviaires et répondre aux besoins des échanges commerciaux en expansion. Le problème est déjà posé de manière pressante au point d’entrée majeur dans l’UE, à la frontière polonaise (Małaszewicze-Brest) où la réalisation d’un équivalent “Union européenne” de Khorgos, le “port sec“ ultra-moderne à la frontière Kazakh-Chinoise, se fait toujours attendre. En deux ans, le rythme journalier moyen est passé de 8 à 14 trains de conteneurs par jour au passage des frontières, atteignant quasiment le maximum prévu par les installations actuelles. Le paradoxe est que l’attente subie par les conteneurs avant leur transfert vers les destinations européennes, qui peut durer plusieurs jours, annule les gains remarquables enregistrés tout le long du corridor depuis la Chine. Les plans UE/Pologne n’envisagent à ce jour qu’une amélioration à l’horizon 2023, avec l’ouverture d’un nouveau pont à double voies sur la rivière frontière Bug, qui permettra de doubler la capacité de transit. En attendant, le passage est orienté par défaut vers trois autres frontières polonaises mineures, comme Bruggi, ou par Kalingrad,  Klaipeda  (Lith.), voire vers la Finlande/Suède par St.Petersbourg.

Les exigences grandissantes des nouvelles chaînes de valeur globales de l’industrie européenne, notamment pour la mobilité électrique   entraîne des échanges toujours plus intenses entre l’UE et la Chine sur le corridor eurasiatique (cf  IEA- Global Electric Vehicules Outlook 2019, 27 Mai 2019). L’autorisation du transport des produits dangereux prévue pour la fin de l’année par les autorités chinoises devrait être un tournant décisif sur le marché du fret trans-eurasien, ouvrant des possibilités considérables d’échanges UE- Chine dans les deux sens, notamment pour les batteries.

Dans ce contexte une action forte de l’UE apparaît urgente pour la révision du « Réseau prioritaire UE TEN-T rail» datant de 2010 et permettre l’accélération de travaux essentiels sur l’axe Est-Ouest pour faire face à l’expansion imminente du transit et commerce. Plutôt que sur l’axe Nord/Sud encore privilégié actuellement, une telle réorientation est déjà demandée avec insistance à la Commission européenne par les opérateurs et compagnies ferroviaires de la FERRMED (cf par ex. Audition FERRMED au Parlement Européen – Mai 2019)                                                                                                  

1.2. La liaison rail BRI Chine -Europe : une connexion cruciale pour l’Asie centrale.

Au-delà des résultats probants obtenus par le nouveau pont terrestre ferroviaire eurasien dans le commerce UE-EAEU-Chine, une autre interrogation majeure est souvent soulevée au sujet du projet de « l’Initiative Belt and Road »

La nouvelle liaison ferroviaire transcontinentale d’une valeur stratégique pour l’UE, est-elle simplement une voie de transit au cœur de l’Eurasie, ou bien sera -t-elle également un moteur de croissance économique pour l’Asie centrale elle-même ?

Cette question, récurrente sur les projets d’infrastructure de la BRI, peut être examinée à partir des données disponibles sur ces trois dernières années et de l’évolution récente des politiques économiques, d’investissement et de commerce par les partenaires associés au nouveau corridor.

De fait, les éléments, présentés ci-dessous, font ressortir l’importance capitale que le pont terrestre eurasiatique BRI est en train de prendre pour le développement de l’Asie centrale.

Déjà maintenant, une partie significative du trafic de conteneurs concerne l’Asie centrale elle-même, car ce sont 593 600 TEU au total qui ont franchi les frontières Chine-Kazakhstan en 2018- selon la Compagnie Nationale ferroviaire chinoise, dont seulement 55 % env. pour l’UE.   L’objectif annoncé par le Kazakhstan d’atteindre 1 million TEU en 2020 semble à portée.

En fait, l’intégration du pont terrestre eurasiatique rail dans les stratégies de développement des pays de la région génère une augmentation du commerce remarquable, confirmant aussi amplement que, dans la connectivité, l’établissement de liaisons ferroviaires a un plus grand impact sur l’expansion des exportations et les économies locales renforcé quand il est associé à une amélioration du passage de frontières.

(Voir études Banque Mondiale et Rand: Nadia Rocha & al, How Much Will the Belt and Road Initiative Reduce Trade Costs? World Bank Group, October 2018, Policy Research Working Paper 8614, et Trade Effects of the New Silk Road – A Gravity Analysis, World Bank 2019; Hui Lu & al, China Belt and Road Initiative: Measuring the impact of improving transportation connectivity on trade in the region- Santa Monica RAND Corporation, 2018).

L’établissement de la liaison eurasiatique a un effet multiplicateur substantiel sur les économies nationales en Asie centrale. Au niveau national, il entraîne l’accélération des réformes économiques, d’investissement et de commerce. Au niveau régional, il invite les partenaires voisins à une plus grande coopération entre eux, facilitant leur croissance économique et diversifiant l’emploi – un fait majeur pour la sécurité et stabilité de la région.   

Au total, la liaison BRI rail eurasiatique offre ainsi à l’Union européenne une excellente occasion de renforcer positivement son engagement dans le cadre de la « Nouvelle Stratégie UE-Asie c“, adoptée par le Conseil européen le 17 juin 2019. De plus, la Stratégie de connectivité de l’UE vers l’Asie (Novembre 2018) peut y trouver, au cœur de l’Eurasie, un champ d’application favorable de choix pour une démonstration concrète et exemplaire de ses ambitions.

1.3 Pleine adhésion du Kazakhstan au projet trans-eurasien

Le Kazakhstan a été dès le début un promoteur actif de la perspective eurasiatique et s’est engagé résolument dans le projet BRI dès son lancement. Le projet de pont terrestre eurasiatique rapide est considéré essentiel par les autorités pour le désenclavement de toute la région et lui permettre de devenir un nœud vital de connectivité au cœur de l’espace eurasien. En position de plaque tournante, le Kazakhstan offre à ses voisins une connectivité qui peut libérer un potentiel inédit pour le développement économique et social de toute la région. 

 Pour cela, le Kazakhstan a réalisé des investissements considérables avec le plan national d’investissement « Nurly Zhol » 2016-2020 – plus de 8,4 milliards de dollars consacrés à la modernisation du réseau de transport national, reliant les macro-régions du pays entre elles et au-delà, vers les États voisins. Le plan comprend aussi la modernisation du matériel roulant comme des infrastructures – 4000 km de voies ferrées modernisées et électrifiées. 

Parmi les améliorations notables sur l’axe ferroviaire eurasiatique, on peut noter :

  • Le corridor de transport ferroviaire eurasiatique Europe-Chine (Est-Ouest) comprend depuis 2018, deux branches de la frontière chinoise à la Russie/UE : la première au nord via Dostyk/Astana,la seconde par le sud, via Khorgos/Almaty/Atyrau/ Aktube- Kostanai
  • La nouvelle voie ferrée moderne sur le point de relier les deux branches en diagonale à travers le pays, d’Astana à l’ouest du Kazakhstan, ouvrant de nouvelles perspectives de développement économique.
  • Un nouveau grand centre logistique de haute technologie, situé à Khorgos, est opérationnel depuis octobre 2016 au poste frontière avec la Chine, avec une capacité de manutention de conteneurs de 5 000 TEU /jour, contre seulement 760 TEU /jour à au précédent poste unique de frontière à Dostyk.
  • Vers le sud, le corridor central rail eurasien est relié au Kirghizistan (Bichkek), à l’Ouzbékistan (ligne directe électrifiée Tachkent- Ferghana donnant accés au Sud Kyrgyzstan) au Turkménistan et à l’Iran (Téhéran – Bandar Abbas) via Beineu et Aktau par le littoral est-caspien.
  • Une connection trans-caspienne se met en place avec la Turquie via le Sud Caucase (ligne rail – Bakou – Kars),  avec des installations multimodales de grande capacité dans les ports de Aktau/Kurkik et le nouveau port de Bakou.
  • En outre, grâce à la base logistique conjointe Sino-Kazakh au port de Lianyungang, la partie kazakhe peut pour la première fois accéder directement à l’Océan Pacifique, la Corée et le Japon depuis 2017.

En résumé : Avec la modernisation de l’axe ferroviaire transcontinental eurasiatique et ses nouveaux liens avec les pays avoisinants, l’Asie centrale est finalement désenclavée. Depuis les frontières ferroviaires kazakhes avec la Chine à Khorgos et Dostyk, les conteneurs de fret ne sont plus qu’à 4 ou 5 jours par rail des centaines de millions de clients en Chine centrale et à moins de 7 jours des consommateurs du Marché Unique de l’Union européenne.

Pierre Borgoltz

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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