Programme Post-Stockholm : les orientations stratégiques, enfin, fixées par le Conseil Européen

   Les chefs d’Etat et de gouvernement, réunis en Conseil Européen le 27 juin 2014, se sont accordés sur le nouveau président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, le semestre européen, le cas de l’Ukraine, et ont aussi défini les orientations stratégiques pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Après une procédure qui a duré plus d’un an, les premiers éléments sont enfin énoncés pour le futur de la politique de justice et des affaires intérieures.  

            Suite au processus lancé courant juin 2013 par le Conseil européen, le Parlement et la Commission avaient clairement énoncé leurs positions sur les objectifs attendus pour les cinq prochaines années. En vertu de l’article 68 du TFUE, la définition des politiques prioritaires concernant la mise en œuvre pour les citoyens d’un espace de sécurité, sans obstacle juridiques, et dans le respect des droits fondamentaux définis par le Traité, relève de la compétence du Conseil européen. Malheureusement, ces orientations stratégiques peuvent être relativement décevantes en ce qu’elles ne présentent (et c’est souvent le cas) qu’un cadre général et des grandes lignes directrices.

Pour faire face aux nouveaux enjeux liés au contexte international actuel – crises persistantes, instabilité politique et économique dans les pays du sud, recrudescence du terrorisme, nouvelles formes de criminalités – le Conseil Européen a axé sa stratégie sur un cahier des charges reprenant pour la majeure partie des législations déjà en cours, tout en resserrant  l’étau autour de la consolidation et surtout l’application de ces politiques par l’ensemble des institutions et par les Etats membres. A cet effet, un bilan à mi –parcours en 2017 est requis.

 Une interdépendance entre ELSJ et relations extérieures ?

 Etant donné que les champs de compétences des différentes domaines constituant l’ELSJ sont assez perméables les uns par rapport aux autres, et même par rapport aux domaines externes à l’ELSJ, les décideurs politiques souhaitent renforcer la coopération entre les différents acteurs institutionnels, et notamment faire interagir le Service Européen de l’Action Extérieure (SEAE) et la Direction générale des Affaires intérieures (DG HOME), la Direction générale de la Justice (DG Just) et la DG Développement. Etant donné que cette politique s’appuie essentiellement sur l’externalisation et le dialogue avec les pays tiers, cette relation entre les institutions est un véritable défi à relever. En parallèle, inclure les avis des agences européennes permettrait d’instaurer une coopération opérationnelle entre ces différents acteurs.

En matière de migration, cela peut se concrétiser par l’instrument de soft law Approche globale des migrations et mobilité (GAMM), qui permet d’anticiper les flux migratoires et les prévenir en amont par une coopération  avec les pays tiers (essentiellement les pays du sud d’accueil et de transit), notamment par l’instauration de partenariats de mobilités (Maroc, Tunisie). Selon le Conseil européen, cette relation avec les pays tiers permettra de lutter contre toutes les formes de criminalités découlant de l’immigration illégale, et d’harmoniser les politiques de retour. Il est certain que les naufrages successifs au large de l’île de Lampedusa ont été des éléments déclencheurs de ce repositionnement politique.

  Dans le prolongement des précédents programmes Stockholm, La Haye et Tampere, les chefs d’Etats consacrent encore comme objectif primordial de toutes les politiques ELSJ (et heureusement) la protection et la promotion des droits fondamentaux avec une attention particulière portée à la protection des données personnelles qui pourrait se voir doter d’un cadre général d’ici 2015. Concernant les droits fondamentaux, est-il encore nécessaire de souligner le retard  de l’UE  s’agissant de son adhésion à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CEDH) ? Il convient de noter par ailleurs que cette adhésion est instituée par le traité de Lisbonne signé en 2007 et  entré en vigueur en 2009.

A quand la signature des 28 Etats ? Question qui reste en suspens, et qui suscite l’irritation du Parlement européen qui lui réclame une adhésion prochaine, et qui souhaiterait ne pas devoir attendre indéfiniment l’avis de la Cour de justice européenne.

Quelles orientations pour les politiques d’immigration et d’asile ? 

            Le Conseil européen appelle à davantage de responsabilité et de la solidarité de la part des Etats membres, reprenant ainsi l’un des objectifs du programme Stockholm. Toujours en lien avec la politique migratoire, la responsabilité et la solidarité restent encore le talon d’Achille  des 28 Etats membres. Comment rendre ces états solidaires quand on sait qu’ils ne font pas tous face à la même réalité ? Comment partager le fardeau quand seulement moins de 10 états subissent des afflux massifs de migrants (demandeurs d’asile ou clandestins) ? Il serait nécessaire en amont de réformer le règlement Dublin III, appliqué seulement depuis janvier 2013. Si un mécanisme de solidarité n’est pas aménagé  et rapidement mis en œuvre, l’UE et ses Etats ne pourront être à même de gérer efficacement leurs problèmes de migration mais aussi d’intégration de ces populations. Reste à espérer que des réformes seront très vite à l’étude et pour une entrée en vigueur également rapide.

De surcroît, en matière de politique migratoire, subsiste encore cette ambivalence entre l’attractivité du  marché intérieur pour les migrants qualifiés, et cet étau sécuritaire maintenu par celle que l’on surnomme « l’Europe forteresse » au regard de l’immigration clandestine. Selon le Conseil, seule la mise en œuvre de voies légales peut répondre efficacement, et sur le long terme à cause du vieillissement de l’Europe. De même, les Etats devront entreprendre des réformes vers une intégration plus poussée des populations migrantes pour favoriser la cohésion sociale , mais cela reste encore un sujet de discorde entre les Etats, arc boutés sur la préservation de leur territoire à l’encontre de ces migrants « envahisseurs », et les institutions européennes. On peut rappeler les récentes élections européennes, et la victoire des partis extrémistes sur fond d’un programme sécuritaire faisant des migrants les boucs émissaires de l’actuel manque de cohésion sociale au sein de l’UE.

 S’agissant de la politique d’asile et du Régime d’asile européen commun (RAEC), la principale consécration du programme Stockholm  doit être transposée au plus vite pour assurer un respect des minimaldroits des demandeurs d’asile.

 Quelles mesures pour la protection des citoyens ? 

Dans l’intérêt des citoyens européens qui bénéficient de la libre circulation grâce à l’espace Schengen, l’établissement d’une politique commune des visas pour les ressortissants des pays tiers est indispensable. Par ailleurs, les représentants  des Etats ont insisté sur la nécessaire gestion intégrée des frontières extérieures en investissant dans des instruments intelligents de contrôle des frontières. La surveillance des entrées et sorties à l’aide des agences européennes EU LISA pour le contrôle des voyageurs, FRONTEX et  EUROSUR, devra être renforcée. Un système européen de gardes frontières est également envisagé dans ce cadre. Un Etat membre, la France, vient de renouveler ses exigences à cet égard

Comment sécuriser le territoire européen face aux nouvelles menaces ?

Le Conseil européen n’est pas resté insensible à la montée du terrorisme, à la radicalisation des jeunes ainsi qu’aux nouvelles formes de criminalités liées aux nouvelles technologies. Il a de fait annoncé sa volonté de rendre la stratégie de sécurité intérieure plus efficace. Les chefs d’Etats insistent même sur la nécessité de fortifier les échanges transfrontières.

 Une coopération judiciaire en matière pénale et civil nécessaire

 Tous ces objectifs ne pourront être atteints qu’à  la condition que les Etats se vouent  une confiance réciproque et intégrale dans leurs systèmes judiciaires respectifs. La confiance et la reconnaissance mutuelle des décisions  doivent être perceptibles à présent au sein de l’UE. Le Conseil préconise  une longue liste de mesures à approfondir sur l’accès à la justice, le droit de recours, la formation de praticiens, la justice, le renforcement de la protection des victimes etc. 

Ces axes définissent les nouvelles orientations de la politique de justice et affaires intérieures. L’étape suivante est l’application de ces éléments dans les futures actions de l’Union européenne.

 

 (Alison Koweth-Deemin)

Pour en savoir plus :

– Conclusion du Conseil européen du 27 Juin 2014 (FR) (EN)

N.B : un Thema sur le Post-Stockholm sera mis à votre disposition courant Juillet pour avoir une vision plus concrète des enjeux liés à ce programme.

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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