Guantanamo fermé ?

Guantanamo n’est pas prêt d’être fermé, répond le journal le Temps qui le 13 septembre, week end anniversaire ou peu s’en faut, posait la question… C’est l’occasion aussi pour Eulogos de poser à nouveau la question au Parlement européen nouvellement élu : comptait-il donner une suite aux diverses résolutions adoptées au cours des deux dernières législatures. Une question que les eurodéputés vont avoir la possibilité de poser aux nouveaux commissaires lors de leur toute prochaine audition.Un dossier embarrassant pour Obama mais aussi pour tout le monde.

En 2014, l’administration Obama n’a transféré qu’un détenu. Politiquement, la fermeture du centre de détention semble de moins en moins probable malgré certains efforts de la Maison-Blanche . Le vide juridique de Guantanamo n’est pas près de disparaître. La tache qui salit la démocratie américaine pourrait encore exister pendant des années. Sur les 149 détenus qui restent enfermés dans les camps, plus de la moitié (79) ne font l’objet d’aucune charge contre eux et sont au bénéfice, depuis 2009-2010, d’une autorisation de transfert dans leurs pays respectifs ou des Etats tiers qui seraient prêts à les accueillir. En 2014, un seul détenu a finalement été sorti du camp de détention . Récemment, un accord de transfèrement de six détenus vers l’Uruguay a échoué au dernier moment, l’interlocuteur uruguayen des Américains refusant de prendre un risque trop élevé avant des élections nationales.

Parmi les détenus, certains sont dans les centres de détention depuis 2002, date d’arrivée des premiers terroristes présumés. Selon un rapport publié en 2010, une majorité de prisonniers encore à Guantanamo a joué un rôle secondaire et ne servait que de forces d’appoint aux talibans qui se battaient contre les milices de l’Alliance du Nord en Afghanistan. Vingt-quatre détenus auraient déjà dû quitter «Gitmo», mais leur transfèrement se heurte toujours sur différents obstacles. Cinquante-huit Yéménites pourraient être libérés, mais Washington est sceptique quant aux conditions d’accueil au Yémen.

Les autorités militaires américaines sont dans une situation d’autant plus inconfortable que dans quelques mois, les troupes américaines devraient être retirées d’Afghanistan et mettre ainsi fin à la plus longue guerre livrée par l’Amérique. Une série de plaintes devant la justice devraient être déposées à partir de cette date pour contester la détention illimitée de certains détenus alors que la guerre est terminée.

Dans le New York Times, le responsable de la Southern Command et de la Joint Task Force Guantanamo, le général John Kelly, ne tergiverse pas une seule seconde: «On est loin d’une fermeture» de la prison. Confronté à la crise financière et économique, le président américain n’a, au cours de son premier mandat, dépensé aucun capital politique pour tenter de fermer Guantanamo, malgré sa promesse électorale. Tout a changé après sa réélection en novembre 2012. Face aux grèves de la faim menées par plusieurs dizaines de détenus protestant contre leur détention (cf. Nea say), il avait consenti un effort, nommant un nouveau responsable des transfèrements de prisonniers, Cliff Sloan. Il a déclaré à plusieurs reprises que Guantanamo ne représentait pas les valeurs de l’Amérique. «Ce n’est pas qui nous sommes.» Barack Obama avait même mis en garde: le maintien de la prison est contre-productif. Il favorise le recrutement de terroristes. Récemment, l’image n’est pas passée inaperçue des deux journalistes américains décapités par l’Etat islamique portaient tous deux une blouse orange rappelant les tenues des détenus de Guantanamo. Les décapitations barbares ne favorisent pas une approche apaisante l’opinion publique américaine ( et internationale)ne comprendrait pas.

Au sein de l’administration démocrate toutefois, les départements d’Etat et de la Défense n’ont pas la même vision de la prison. Manifestement ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes, le premier souhaitant une fermeture rapide, le second étant beaucoup plus circonspect. Le Congrès refuse le transfèrement du moindre prisonnier sur le sol américain et a limité fortement, sans la supprimer, la possibilité de transférer des détenus à l’étranger. Il craint notamment que les personnes libérées rallient à nouveau les rangs d’organisations terroristes. Or, sur les 83 détenus libérés par l’administration Obama, seuls sept sont soupçonnés de l’avoir fait. L’échange en mai dernier de cinq responsables talibans enfermés à Cuba contre le sergent américain Bowe Bergdahl a raidi encore un peu plus le Congrès. Du côté républicain, notamment mais pas uniquement , de nombreuses voix le disent ouvertement: la lutte contre le terrorisme international est loin d’être terminée. La prison de Guantanamo doit rester ouverte. L’approche des élections de la mi-mandat de plaide pas en faveur d’un changement quelconque des positions, bien au contraire.

Le Pentagone doit aussi se déterminer sur les infrastructures qui vieillissent très mal sous le climat cubain. Mais faut-il investir dans la perspective d’un maintien de la prison de Guantanamo ou faut-il anticiper sa fermeture? Considérations morales, politiques et juridiques mais aussi économiques. En 2014, celle-ci a représenté un coût de 443 millions de dollars pour les Etats-Unis. Chaque prisonnier coûte environ 3 millions par an. Une somme importante qui frappe l’électeur américain moyen qui est aussi un contribuable particulièrement sensible :si les détenus étaient dans des prisons américaines, ces coûts seraient considérablement réduits. Ces considérations ont également leur poids…même si cette alternative se heurte à de nombreuses difficultés pratiques, l’un étant qu’aucun pays ne semble disposés à accueillir les libérés de Guantanamo, cette politique a fait long feu, notamment en Europe (et particulièrement en Allemagne la chancelière restant sourde à tout appel) malgré des appels pressants (cf. Nea say).

 

Pour en savoir plus :

     -. Articles du Guardian sur l’actualité de ces deux derniers mois consacrés à Guantanamo http://www.theguardian.com/world/guantanamo-bay

     -. Guantanamo files april 2011-September 2014 http://www.theguardian.com/world/series/guantanamo-files-documents

     -. Dossier de Guantanamo de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3222&nea=148&lang=fra&arch=0&term=0

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire