Travail forcé et migrants, l’organisation Internationale du travail propose plus de protection. L’engagement des Etats Membres tarde à arriver.

Un nouveau Protocole vient de s’ajouter à la Convention sur le Travail Forcé de l’International Labour Organisation. Les nouvelles mesures s’alignent sur les principes fondamentaux de l’Union, notamment concernant le respect de Droits Fondamentaux. Pour cette raison, la Commission encourage les États à le ratifier au plus vite. Voici une analyse approfondie des implication au niveau européen, notamment à l’égard des travailleurs migrants, victimes les plus vulnérables du phénomène.

 Lors de la 130e Conférence Internationale du Travail, les membres de l’International Labour Organisation (ILO) ont approuvé le Protocole 029 qui est intégré dans la Convention sur le Travail Forcé de 1930. Selon les dernières statistiques ILO, aujourd’hui dans le monde plus de 21 millions de personnes sont victimes du travail forcé ou obligatoire, lequel génère chaque année 150 milliards de dollars de profits illégaux. Toutefois les conséquences économiques ne constituent qu’une partie du problème : comme souligné dans le préambule du Protocole 029, le travail forcé et obligatoire constitue une violation grave des droits fondamentaux. En particulier, il n’assure pas de garanties en termes de sécurité sociale, de sorte qu’il fait obstacle à la réalisation d’un travail qui respect la dignité humaine de la personne, et d’une façon générale les droits fondamentaux.

 Plus précisément, les nouvelles normes tiennent compte des évolutions des différentes formes de travail forcé, qu’incluent la traite des êtres humains, et nécessitent, par conséquence, des mesures additionnelles qui visent la protection des victimes, le renforcement des mécanismes de recours et prévoient des réparations appropriées, comme l’indemnisation. Il prévoit aussi, l’obligation de mettre en place des systèmes d’information et d’éducation des employeurs et des victimes, spécialement à l’égard des individus les plus vulnérables, en premier lieu les travailleurs migrants (Art. 2.d). De plus, les États signataires s’engagent à coopérer de manière plus étroite contre la lutte au travail forcé et obligatoire.

 Le commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à l’inclusion, M. László Andor, a exprimé sa réaction très positive. De surcroît, la Commission a récemment renouvelé son avis favorable, encourageant les États membre à ratifier au plus vite. En effet tous les États membres sont signataires de la Convention Internationale sur le Travail Forcé, en tant que membres de l’ILO ; par contre, l’Union n’est pas en mesure de ratifier les instruments de l’ILO, même si certaines parties du protocole relèvent de sa compétence. Il convient de souligner que le contenu des nouvelles dispositions reflètent les principes et valeurs fondamentaux de l’Union, notamment le respect des droits de l’homme et le travail décent, ainsi que l’éradication de la traite des êtres humains, que ce soit sur le plan interne ou dans ses relations extérieures.

 L’Union Européenne interdit à l’art. 5 §2 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, l’esclavage et le travail forcé, qui comprend aussi la traite des êtres humains. Cette dernière est définie à l’art. 2 de la directive 2011/36/UE : il s’agit du « recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, y compris l’échange ou le transfert du contrôle exercé sur ces personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contraintes, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, à des fins d’exploitation ».

Lisant le texte on retrouve de nombreux passages qui reflètent le contenu des normes du Protocole à la Convention ILO sur le travail forcé : elle prévoit l’assistance et l’aide aux victimes, y compris l’information et la prise en compte des besoins spécifiques des individus, en premier lieu des plus vulnérables. De plus les Etats sont tenus de garantir l’accès aux régimes existants d’indemnisation des victimes. D’autres mesures sont prévues concernant la prévention de la traite afin de sensibiliser et éduquer la population. Enfin les états se ont engagés à collaborer pour une lutte plus coordonnée contre la traite des êtres humains.

Comme confirmé par les statistiques ILO ‘Migrant workers and indigenous people are particularly vulnerable to forced labour’. En effet, dans tous les actes sur le travail forcé, les travailleurs migrants figurent parmi les victimes les plus vulnérables du travail forcé, y compris de la traite des êtres humains.

 En effet plusieurs considérants de la directive européenne renvoient à la directive 2009/52/CE prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants des pays tiers en séjours irrégulier. Même si l’objectif de ladite directive est différent, notamment la lutte contre l’immigration illégale, il relève la présence d’un lien entre immigration illégale et marché du travail non déclaré qui se prête à des formes de travail forcé et obligatoire sans garantie de sécurité sociale et sans respect de droits fondamentaux.

 D’ailleurs la corrélation entre les deux domaines est confirmé par la Communication de la Commission ‘Intensifier la lutte contre le travail non déclaré’ (COM/2007/0628 final), laquelle affirme : ‘La possibilité de trouver un travail non déclaré est en outre un facteur d’attrait majeur pour les immigrés clandestins. Aux résidents en situation irrégulière, qui n’entrent généralement pas dans le champ d’application des régimes de sécurité sociale, on propose souvent un travail non déclaré dans des conditions socialement inacceptables, en violation de la réglementation sur la santé et la sécurité’.

 En printemps 2014 la Commission Européenne a adopté une proposition de Décision ‘établissant une plateforme européenne dans l’objectif de renforcer la coopération visant à prévenir et à décourager le travail non déclaré’ en cours d’approbation au Parlement. Il faut considérer, en fait, que le travail non déclaré offre un terrain favorable au développement du travail forcé.

 A ce propos , notons que le Conseil Economique et Sociale Européen (CESE), organisme consultatif qui ressemble les syndicats, les organisations des employeurs et de la société civile, à la demande du Parlement Européen, a présenté son avis. Un des obstacles à la lutte contre le travail non déclaré, identifiés par le CESE, est l’hétérogénéité des acteurs concernés, parmi lesquels on retrouve les immigrés en situation irrégulière. Ils sont directement concernés au paragraphe 2.7: ‘La participation des sans-papiers au travail non déclaré est un problème sérieux qui doit être résolu dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre l’immigration irrégulière. Pour nombre d’immigrés en situation irrégulière, le travail non déclaré est un passage obligé qui constitue une stratégie de survie. En outre, le travail non déclaré peut favoriser grandement l’immigration irrégulière.’

En conclusion, le Protocole 029 à la Convention sur le travail forcé (ILO) reprend les valeurs de l’Union Européenne, notamment en matière de Droits Fondamentaux, ainsi que le contenu des dispositions des actes de l’Union Européenne, en particulier la directive contre la traite des êtres humains. Les travailleurs migrants sont parmi les groups plus vulnérables, en premier lieu les migrants en situation irrégulière. L’Union Européenne a approuvé des directives très importantes dans la matière. Toutefois c’est aux États de s’engager sur le plan interne, ainsi que sur celui internationale, ratifiant le Protocole comme souhaité par la Commission.

 

 (Elena Sbarai)

 

En savoir plus :

 P029 – Protocol of 2014 to the Forced Labour Convention, 1930 (FR) http://www.ilo.org/fr (EN) http://www.ilo.org/en

 Commission press release: (FR) http://europa.eu/rapid/press-release (EN) http://europa.eu/rapid/press-release

 Directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, 5 avril 2011 (FR) http://eur-lex.europa.eu (EN)   http://eur-lex.europa.eu

 Rapport Claudio Fava sur la proposition de directive 2009/52/CE

(FR)   http://www.europarl.europa.eu (EN) http://www.europarl.europa.eu

  Directive 2009/52/CE prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, 18 juin 2009 (FR) http://eur-lex.europa.eu (EN) http://eur-lex.europa.eu

 AVIS Comité Économique et Sociale Européen http://www.eesc.europa.eu

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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