Entrée en vigueur des accords de réadmission UE-Turquie : un personnage aux mille facettes.

Les accords de réadmission font partie de l’ « Approche globale de la question des migrations” (GAMM) ». Ils sont conclus entre l’Union Européenne et les pays tiers, souvent accompagnés par des débats. C’est le cas de l’accord EU-Turquie, qui vient d’entrer en vigueur, le 1er d’octobre dernier, après des années de négociations complexes et contrastées. Cependant, pour comprendre les critiques qui lui ont été adressées, il faut bien connaître les objectifs des accords de réadmission de l’Union Européenne, ainsi que l’ensemble des relations politiques entre l’UE et la Turquie. (Pour approfondir le contenu de l’accord je vous invite à lire notre article cité dans « Pour en savoir plus ») 

Les accords de réadmission, dévoilons le mystère !

 

Sur la base de l’art. 79 § 3 du TFUE, l’Union « peut conclure avec des pays tiers des accords visant à la réadmission dans le pays d’origine ou de provenance, de ressortissant des pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour sur le territoire d’un des Etats membres ». Les accords de réadmission, donc, visent à faciliter et à accélérer le retour et le transit de personnes qui sont entrées ou séjournent irrégulièrement sur le territoire d’un de deux états partie, sur la base du principe de réciprocité. Il ne sont pas seulement un instrument de lutte contre l’immigration illégale, mais aussi un outil de gestion plus efficace des frontières communes et de sécurité juridique, dans la mesure où ils prévoient des procédures claires et les conditions opérationnelles à suivre pendant le retour, dans le plein respect des droits fondamentaux.

 Au moment de la signature de l’accord de réadmission EU-Turquie en décembre 2012, Cecilia Malmström, ancienne Commissaire aux affaires intérieures, a souligné : ces accords s’appliquent aux demandeurs d’asile qui se sont vues refuser leur demande, aux personnes ayant dépassé la durée du séjour autorisé, ou qui ne remplissent pas les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers de pays tiers, inscrites à l’art. 5 du code frontières Schengen (Règlement (CE) n°562/2006), plus en générale à toute personne qui se trouve dans une situation irrégulière.

 Qu’en est-il du respect des droits fondamentaux ?

 De surcroît, les accords de réadmission, en soi, ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux, au moins non directement, comme le prévoit la clause de non-incidence à l’Art. 18 de l’accord UE-Turquie. Toutefois, la question reste très controversée car, parfois, des personnes en situation irrégulière sont renvoyées dans des états où il y a de graves violations des droits fondamentaux, dénoncées par nombre d’ONG. D’ailleurs, la Commission, dans le rapport 2011 ‘Évaluation des accords de réadmission conclus par l’UE’, reconnaît la nécessité d’améliorer leurs performances en matière de droits fondamentaux. À ce propos, elle invite à assurer le suivi des personnes réadmises, pendant et après leur retour, incluant systématiquement cet objectif dans les comités de suivi des ONG et des autres organisations internationales comme l’OIM ou l’UNHCR, impliquant aussi, en l’occurrence, les délégations de l’Union Européenne dans les pays tiers.

 Le Réseaux Euro-Méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) s’est exprimé sur ce point, publiant en 2012 une note politique solidement argumentée sur l’accord de réadmission EU-Turquie. Dans ce document, il encourage la Turquie à poursuivre les efforts de réforme de l’infrastructure législative et administrative, notamment en vue d’assurer le plein respect des droits fondamentaux. A ce propos , le 3 octobre dernier, le Commissaire sortant pour l’élargissement et la politique du voisinage de l’UE, Štefan Füle, a, dans une intervention remarquée, encouragé la Turquie a poursuivre les progrès à l’égard des droits fondamentaux, notamment grâce au plan d’action pour faire face aux violations de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En réalité, la Turquie est loin de garantir leur respect, en particulier à l’égard des demandeurs d’asile. En effet, en 2010 une circulaire a transformé les centres de détention en centre d’expulsion ; en outre, malgré les condamnations de 2009 et 2010 de la Cour Européenne des Droit de l’Homme pour les difficultés d’accès aux procédures d’asile et de recours contre les décisions administratives de placement en détention, la Turquie éloigne nombre de migrant en pleine violation du principe de non refoulement.

 La responsabilité des états européens n’est pas exclue, car la CEDH, suivie par la jurisprudence de la CJUE, a déjà accusé plusieurs états de violation des droits fondamentaux par ricochet (il s’agit de l’extension au profit de personnes vulnérables des droits garantis par la Convention CEDH).

 Les accords de réadmission ne souffrent jamais de solitude.

 Toutefois, les accords de réadmission ne peuvent pas être véritablement compris sans faire référence au cadre plus large des négociations d’ensemble dont ils font partie. Tout d’abord, il faut reconnaître le déséquilibre d’intérêts entre l’UE et ses partenaires tiers. Alors que l’Union vise à lutter contre l’immigration illégale, les états tiers reçoivent des avantages du départ des migrants, surtout en termes économiques ; au contraire, leur retour impose des coûts de rentrée. Par conséquence, l’Union Européenne a été amenée à prévoir des incitations pour rendre attractive la conclusion de ces accords, qui souvent débouche sur de véritables marchandages politiques. Parmi ceux-là il y a l’assouplissement des régimes de visas, l’assistance financière pour la mise en œuvre de ces accords et l’aide extérieure de l’Union, combiné à d’autres accords, comme le traité d’adhésion. Comme on peut facilement le déduire, ces trois éléments ont joué un rôle clés lors de la négociation de l’accord de réadmission EU-Turquie qui vient d’entrer en vigueur.

 En effet, le jour même de la signature de l’accord UE-Turquie, Mme Malmström engageait le dialogue sur la libéralisation du régime des visas entre les deux parties, publiant la ‘Rodmap towards a visa-free regime with Turkey’. Ses déclarations mêmes en donnent confirmation : ‘l’entrée en vigueur de l’accord, aujourd’hui, marque-t-elle un progrès important dans la perspective de la libéralisation du régime des visas’.

 Le lien n’est pas seulement politique mais aussi technique : la libéralisation du régime des visas est, à son tour, conditionnée par le bon respect des engagements en ce qui concerne les droit fondamentaux, la lutte contre l’immigration illégale, et donc aussi les accords de réadmission, ce que la Turquie ne semble pas montrer avec évidence , comme dénoncé par la Grèce. En effet, les accords européens complètent les relations bilatérales des Etats membres, c’est le cas de l’accord de réadmission Turquie-Grèce en vigueur depuis 2002. Par rapport à cela, le gouvernement grec a fortement dénoncé la mauvaise conduite dont la Turquie fait preuve : elle accepte seulement une partie minimale des personnes en situation irrégulière renvoyées dans son territoire.

 Quel est le bilan aux yeux des turcs?

 Si l’ensemble de ces éléments représentent le point de vue européen sur la question, du côté Turc la perspective est toute à fait différente. Certes, le ministre des affaires extérieures, ainsi que le gouvernement d’Ankara semblent être d’accord avec Mme. Malmström qui annonce un ‘moment historique’ dans les relations Turco-européennes. Cependant, il faut se méfier des apparences: la lutte contre l’immigration illégale est bien loin d’être l’objectif de la Turquie. En effet, d’après la presse turque, l’accord de réadmission a été conclu en échange des pourparlers sur la libéralisation des visa pour les citoyens de la Turquie, une Turquie candidate à l’adhésion, faut-il le rappeler

.C’est là un aspect non négligeable. Il ne faut pas oublier que de 2005 à 2009 les négociations étaient dans l’impasse. En effet, les accords de réadmission mettent la Turquie sur le même plan que d’autres états tiers. De plus, l’imposition des visa est perçue comme une discrimination qui pèse sur le gouvernement turc, alors qu’il se bat depuis très longtemps pour l’adhésion à l’Union.

Pour ces raisons, la Turquie considère les accords de réadmission comme un pas important qui la rapproche à l’Union, grâce à l’assouplissement du régime des visas. D’ailleurs, la Turquie va bien au-delà des visas et espère fortement l’ouverture prochaine du chapitre 24 des accords d’adhésion qui porte sur la liberté et la sécurité.

 Enfin, il ne faut pas oublier que la Turquie est un des pays majeurs de transit des migrants vers l’Union Européenne. La question devient encore plus si l’on sait que la Turquie a établi un régime souple concernant les visas depuis 2010 avec l’Iran, la Syrie, le Yémen, la Libye, le Maroc, le Liban et la Tunisie. Enfin chacun sait qu’actuellement la situation aux frontières turques est très bouleversée par les énormes vagues des migrants et réfugiés syriens, ainsi que d’autres personnes en fuite des pays du Moyen Orient où se multiplient les conflits. Toutefois, les accords de réadmission n’entreront en vigueur à l’égard des ressortissants de tout autre pays tiers, que dans trois ans.

 Enfin il reste à voir si et comment la Turquie saura satisfaire les engagements pris dans l’accord de réadmission avec l’Union, aussi grâce aux financements européens dont elle bénéficiera. Dans le cas positif, il y aura des implications positives sur l’aboutissement des pourparlers à propos de la libéralisation du régime des visas, pour laquelle la Commission n’a pas donné des dates précise espérant ainsi encourager la Turquie à une meilleure conduite, notamment pour ce qui concerne le respect de droits de l’homme. De même, il y aura des implications non négligeables sur le déroulement des accords d’adhésion, sur lesquels l’Union vient de faire le point lors du rapport annuel sur l’élargissement que le commissaire Fülle vient de présenter , le 8 octobre. Cf. autre article de Clément François dans Nea say.

 (Elena Sbarai)

  

En savoir plus/

     -.Corinne Balleix, ‘La politique migratoire de l’Union Européenne’, pp.132-137, La Documentation française, 2013

      -.Communication de la Commission, Évaluation des accords de réadmission conclus par l’UE, du 23 février 2011FR http://eur-lex.europa.eu EN http://eur-lex.europa.eu

      -. EU-Logos, NEA say… n° 139 ‘Turquie, visas : la fin d’une guerre de cent ans ? c’est donnant, donnant !accord de réadmission signé et dialogue sur les visas lancé. mais l’avenir sera encore riche en rebondissements, retournements, réconciliations et aigreurs réciproques’, 20 décembre 2013 http://europe-liberte-securite-justice.org

      -.Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme, ‘Accord de réadmission UE-Turquie les droits des migrants des réfugiés et des demandeurs d’asile sont ils garantis ?’, Note politique du 2012 FR http://www.aedh.eu EN http://www.aedh.eu

      -.Road map visa free regiment with Turkey EN http://ec.europa.eu

      -.Accord entre l’Union Européenne et la République de Turquie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier, du 22 Juin 2012 FR http://eur-lex.europa.eu EN http://eur-lex.europa.eu

      -.Communiqué de presse du 1er octobre 2014 FR http://europa.eu/rapid/press-release EN http://europa.eu/rapid/press-release

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire