Sauvetage de vies en Méditerranée : un an après le drame de Lampedusa, des responsabilités restent à clarifier avant de nouvelles tragédies parfaitement prévues comme les précédentes.

L’Union Européenne et le gouvernement italien ont défini plus en détail les termes de l’opération conjointe Triton qui sera lancée en Méditerranée, au plus tôt, le premier novembre 2014. Elle intervient en soutien aux efforts humanitaires italiens, déclare la Commissaire Malmström, en tant que preuve concrète de la solidarité de l’Union Européenne envers l’Italie. Toutefois, comme rappelé plusieurs fois, Triton ne remplacera pas l’opération Mare Nostrum, ni par rapport aux moyens financiers employés ni en ce qui concerne la zone couverte : les ressources et le mandat Frontex ne le permettent pas. Au contraire, Triton,semble-t-il, est plutôt le successeur des opérations Hermès et Enée, qui ont été coordonnées par Frontex jusqu’au présent dans les mêmes eaux.

De quoi s’agit-il ?

L’opération sera composée par les deux patrouilleurs italiens, surveillés, si possible, par des avions déployés par l’agence européenne, et trois autres navires, afin d’assurer un contrôle efficace des frontières dans la région méditerranéenne et, en même temps, de fournir une assistance aux personnes et aux navires en détresse en mer, jusqu’à 30 miles de la côte sud de l’Italie ; ce qui revient à exclure les eaux libyennes couvertes auparavant par la mission Mare Nostrum.

Le budget Triton est estimé à 2,9 millions d’euro par mois, tandis que les ressources financières mobilisées par Mare Nostrum s’élèvent à 9 million par mois. Une disproportion qui confirme le caractère non-substitutif de l’opération Frontex. D’ailleurs, bien que le nouveau Commissaire Avramopoulos à l’immigration et aux affaires intérieures, ait confirmé une augmentation du budget Frontex, grâce aux fonds d’urgence élargies par la Commission, les ressources humaines et techniques dont Triton disposera, vont varier en fonction des contributions – volontaires – de la part des États membres qui participeront aux opérations. Frontex vient de lancer son appel aux contributions mais, à l’heure actuelle, seulement France, Espagne et Allemagne ont répondu officiellement.

En conséquence, la Commission encourage les États membres à renforcer la solidarité face à un défi qui est bien au-delà des frontières italiennes.

À l’Etat ou à l’Union d’agir?

Les aspects techniques mis à part, l’opération Triton agira en plein respect des obligations internationales et notamment des droits fondamentaux ; toutefois, il faut rappeler que l’Agence Frontex n’est pas compétente pour la recherche et le sauvetage en mer, même s’il s’agit des vies humaines. En effet, ce domaine relève des obligations internationales des États membres, qui découlent, entre outres, de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS, 1971) et de celle sur la recherche et le sauvetage maritimes (SAR, 1979).

La Convention SAR du 1979, en effet, affirme :

  1. 1.10 Parties shall ensure that assistance be provided to any person in distress at sea. They shall do so regardless of the nationality or status of such a person or the circumstances in which that person is found.

De plus, il ne faut pas oublier le caractère contraignant de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951), mais aussi de la Convention Internationale des Droits de l’Homme (CEDH, 1954). Comme la Cour de Justice a mis en évidence dans ses arrêts, il y a des liens entre le sauvetage de vies en mer et certains articles de ladite Convention. Il s’agit de l’art. 2 sur le droit à la vie, de l’art. 3 où «nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants» ; ainsi que l’art. 4 qui interdit les expulsions collectives d’étrangers.

Par conséquence, comme a souligné la députée Marie-Christine Vergiat (GUE), membre de la commission LIBE, lors d’une conférence de presse concernant les tragédies dans la Méditerranée, ‘il faut clarifier les compétences des uns (les états) et des autres (les institutions et agents européens)’ ; ‘il y a des obligations de sauvetage qui ne peuvent pas être accomplit par Frontex’, ajoute-t-elle, ‘elles ne rentrent pas dans les compétences de l’Union Européenne’, si les États souhaitent le changer, elle conclue, ‘il faut modifier le mandat de Frontex’.

Un nouveau rapport Amnesty International, ‘Lives Adrift, Refugees and migrants in peril in the central Mediterranean’, publié en septembre 2014, présente une analyse approfondie à propos des interactions entre engagements européens et internationaux. Plus spécifiquement, il dénonce les controverses entre l’Italie et Malte à propos de la zone de recherche et sauvetage.

Selon l’analyse d’Amnesty, il y a un chevauchement entre les deux zones correspondantes. Par conséquence, il n’y a pas une division claire des responsabilités des états, notamment en ce qui concerne le sauvetage des vies en mer. L’Italie et Malte, donc, se relancent la patate chaude entre elles, faisant preuve d’inaction et manquement aux obligations internationales, au détriment des droits fondamentaux des personnes en détresse en mer. En effet, Amnesty constate des différences et les contradictions entre les interprétations mêmes de la définition de ‘détresse’, qui justifierait le refus du secours.

Le déséquilibre a été officialisé en Mai 2004, date d’adoption des amendements au règlement 33 de la convention SOLAS et au Chapitre 3.1.9 de la SAR, par l’Organisation Internationale Maritime, qui renforcent la coopération entre les états partie et les garanties dans le sauvetage des vies en mer (voir En savoir plus). Alors que l’Italie a ratifié ledit document, s’engageant favorablement, Malte hésite encore.

De plus, la Convention SAR, prévoit que les personnes sauvées soient accueillies dans des centres de secours (chapitre 1.1.3). Même sur ce point Malte et l’Italie se trouvent en désaccord : Amnesty constate qu’une fois que l’équipage du navire a été sauvé, il n’est pas clair si le débarquement doit avoir lieu dans le port le plus proche, ou plutôt dans le territoire du pays responsable du sauvetage.

Selon les recommandations d’Amnesty, c’est ici que l’Union Européenne devrait jouer son rôle très important. Tout d’abord, il faut qu’elle clarifie les termes et les définitions des engagements internationaux à travers des normes communes, afin d’éviter tout malentendu ou toute interprétation différente. De plus, le problème du débarquement pourrait être résolu grâce à la création d’un système de secours européen qui prévoit, entre autres, des points d’assistance gérés et financés au niveau européen, avec la collaboration de l’agence EASO. Il serait ainsi surmonté la dichotomie entre accès au territoire et accès à la protection de l’État. Au niveau juridique, il s’agit de réviser le règlement Dublin III, ainsi que le règlement Frontex, renforçant ses prérogatives en matière de sauvetage en mer, lorsqu’il agit dans la sphère nationale.

En conclusion, c’est aux États membres d’agir, conformément aux engagements pris aux niveau international. Toutefois, une telle action devra avoir lieu à travers l’Union Européenne afin d’assurer un progrès cohérent et commun dans le sauvetage des vies en mer, en plein respect des Droits fondamentaux.

Les États en action

Lors du Conseil JAI du 9 octobre 2014, les États membres ont eu l’occasion de démontrer leur disponibilité à réagir de manière solidaire et efficace en ce sens. Le Conseil a établi les trois principes à la base de l’approche stratégique et opérationnel, vers une meilleure gestion des flux migratoires : la coopération avec les pays tiers, le renforcement de la gestion des frontières extérieures et de l’agence Frontex, ainsi que l’action prise au niveau national à propos de la réception et de la prise d’empreintes digitales. Le message, semble-t-il, est très clair : externalisation et sécurisation de la politique d’immigration ; pourtant Avramopoulos avait dénoncé fermement l’Europe forteresse, ces États semblent n’avoir pas bien entendu !

D’ailleurs, la ‘nouvelle’ approche, d’après le Conseil, sera durable et structurée, au-delà des mesures immédiates d’urgence. Mais en même temps, il accueilli le lancement de l’opération Triton, dont le but est de renforcer la surveillance aux frontières maritimes proches des côtes italiennes. Une approche, donc, très loin d’être humanitaire, comme le souhaitait la plupart des eurodéputés.

Le danger est aggravé par les déclarations du ministre italien Alfano : ‘Nous avions dit que Mare Nostrum prendrait fin quand l’Europe jouerait son rôle et, avec Triton, elle joue son rôle’. Or, comme cela a déjà été observé remarqué au début de cet article, Triton n’est pas du tout comparable à Mare Nostrum : leurs objectifs, leurs mandats, mais surtout les ressources matérielles dont ils disposent, sont complètement différents. Pour sa part, la commissaire Cecilia Malmström a dégagé l’Union de toute responsabilité de la décision purement italienne visant à mettre fin à l’opération Mare Nostrum, qui aura des graves conséquences à l’égard des migrants.

La Méditerranée gagne, ainsi, le prix Nobel de la ‘mer meurtrière’ pour les années à venir, grâce aux nouvelles tragédies qui auront lieu dans ses eaux. Les États continueront à violer de manière explicite et outrageuse leurs engagements internationaux, sans profiter du cadre européen qui permettrait de résoudre véritablement la question migratoire, grâce à des solutions communes et durables.

(Elena Sbarai)

En savoir plus:

Communiqué de Presse http://www.consilium.europa.eu

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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