Migrations en Méditerranée : débat au Parlement européen, Conseil et Commission européenne interrogés par les députés.

Depuis septembre 2014, les groupes politiques européens ont eu de vives discussions sur la question migratoire dans la Méditerranée, après la tragédie de Lampedusa. Les différentes contributions entre les coordinateurs ont abouti à un accord sur une question orale avec débat, qui sera soumise au Conseil et à la Commission à la plénière du mois de Novembre. Le texte, adopté en septembre 2014, présente les dix points clé qui couvrent tous les sujets les plus importants en matière d’immigration.

A la suite de l’aggravation de la situation migratoire dans la Méditerranée, en octobre 2013, le Parlement a approuvé une résolution sur le suivi par le Conseil de la création de la Task Force pour la Méditerranée. Des nombreuses communications ont été publiées par la Commission et en octobre 2014 le Conseil JAI a adopté des mesures pour mieux gérer les flux migratoires.

 La commission LIBE interroge la Commission et le Conseil sur les points suivants :

 Comment accroître la solidarité, conformément à l’art. 80 du TFUE, envers les États membres méditerranéens, première destination des migrants, et, d’autre part, envers les autres États de destination finale, qui reçoivent le plus de demandes d’asile ?

  1. Comment garantir le bon respect des obligations en matière de recherche et sauvetage, tout en combattant la lutte contre les trafiquants et les passeurs ? Comment fournir plus d’informations sur leurs pratiques, en particulier en ce qui concerne les causes principales des morts des migrants ?
  2. La Commission, retient-elle comme nécessaire l’élargissement des activités de Frontex ? Pourrait-elle confirmer la durée de mission Triton et prévoir les ressources financières nécessaires à moyen et longue terme ?
  3. Comment la Commission et le Conseil entendent mettre au point des itinéraires sûrs et légaux pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, vers l’UE ?
  4. Comment agir pour renforcer la politique commune de réinstallation et encourager les États à participer davantage et de manière plus équitable ?
  5. Comment améliorer la stratégie globale de l’Union visant à coopérer avec les pays tiers, notamment en ce qui concerne la protection régionale, les réinstallations et les rapatriements, et s’attaquer aux causes profondes de l’immigration ? Sous quelle forme cette stratégie sera mise en œuvre dans les zones de conflits, tels que la Libye et la Syrie ?
  6. Comment entendent-ils développer l’approche globale de la questions de migration, notamment en ce qui concerne les voies légales appropriées, comme annoncé par Juncker ?
  7. Peuvent-ils fournir une analyse détaillée sur la manière dont sont dépensés les fonds relatifs aux affaires intérieures, notamment les fonds d’urgence, et, en particulier, dans les domaines d’asile, d’immigration, du contrôle des frontières et de la lutte contre les trafiquants et les passeurs ? Quelle conclusion tirer de l’analyse des fonds relatifs à la politique étrangère et de coopération de l’Union?
  8. Comment la Commission et le Conseil vont-ils assurer une mise en œuvre efficace du Régime d’Asile Européen Commun et des directives portant sur l’accueil, la qualification et les procédures d’asile dans l’ensemble de l’Union, tout en protégeant les plus vulnérables et favorisant l’intégration sociale des réfugiés ?
  9. La Commission est-elle prête à dégager des procédures d’infraction, si besoin, et modifier la législation, si elle l’estime nécessaire, après examen ?

Lors de la dernière réunion LIBE, ce document a été présenté à l’ensemble de la commission par Claude Moraes, son président, qui a réussi miraculeusement à freiner les passions et les impulsions des députés intervenant dans le débat.

Malgré le soutien accordé à cette initiative très importante, chaque intervenant a mis l’accent sur les différents bémols qui, à leurs avis, affaiblissent le texte.

 Contre une politique de frontières

Timothy Kirkhope (ECR) s’est dit inquiet par la ligne choisie par l’Union avec Frontex : d’après ses affirmations, il y a des moyens plus importants pour arrêter les tragédies en mer. Au contraire, des solutions comme Frontex et Mare Nostrum qui pour lui encouragent les migrants à affronter le voyage très dangereux. Ces mesures ne ciblent pas les réseaux criminels des passeurs, ni s’adressent aux gouvernements qui souvent encouragent ces pratiques.

Il faut dissuader les migrants de se mettre dans les mains des trafiquants et combler les lacunes entre Mare Nostrum et Triton. Agustín Díaz De Mera (PPE) ajoute : ‘il faudrait appeler Triton ‘petit Triton’ parce qu’il est un projet inutile qui n’a rien à avoir avec Mare Nostrum’.

 Plus de solidarité

Agustín Díaz De Mera met aussi l’accent sur un aspect qui semble être le point commun fort, partagé par toutes les parties: ‘il faut insister sur la solidarité’, ce qui, à son avis, ne correspond pas au contrôle des frontières. Un écho se lève: ‘il faut modifier la politique d’immigration et il faut le faire ensemble’. D’ailleurs Timothy Kirkhope (ECR) et Roberta Metsola (PPE) sont d’accord ensemble : ‘il faut agir ensemble pour résoudre un problème qui ne peut pas être laissé sur les épaules d’un ou deux pays’.

 Pas de mesures d’urgence, mais une vision, un projet.

Pour Birgit Sippel (S&D) il y a d’autres questions liées à ce défi, mais les coordinateurs ont dû résoudre la dichotomie entre l’ampleur du sujet et la nécessité de se concentrer sur ses aspects les plus importants. En effet, d’après elle, il s’agit d’un ‘nouveaux départ pour un nouveaux débat sur ce qei la nouvelle Commission envisage de faire’.

 Juan Fernando López Aguilar (S&D), offre une vision plutôt positive : les dix points veulent contraindre la Commission à s’exprimer sur ce qu’est son projet futur en matière d’immigration. Les missions de recherche et sauvetage ne doivent pas être la piste envisagée. Au contraire l’Union a besoin de construire une ‘doctrine européenne qui comprenne des obligations pour tous les Etats membres, compris ceux qui se sont opposés’ à la communautarisation de l’espace de liberté sécurité et justice ; très directe, il ajoute : ‘je pense à la Grande Bretagne’.La demande d’un rôle plus incisif de la Commission est confirmée par les affirmations de Malin Björk (GUE): ‘l’Union doit être à la hauteur de ses engagements’ dit-elle, tout d’abord en encourageant les États à partager effectivement leurs responsabilités. Sur ce point, Marina Albiol Guzmán (GUE) porte un exemple précis d’un cas d’actualité : ‘la Commission doit dénoncer le gouvernement espagnol qui veut légaliser le renvoie des gens face aux défis rencontrés à Ceuta et Melilla’.

 Quelques doutes sur les réponses attendues

Carlos Coelho (PPE) revient sur le nombre trop élevé de questions et justifie sa position rappelant un point très intéressant : la Commission sélectionne celles qu’elle préfère et laisse à coté les autres, malgré tout elle devrait répondre à leur totalité des questions. Remarque accueillie par Moraes, qui toutefois justifie la Commission, car elle doit faire face aux nombreuses pressions politiques, en particulier celles provenant de l’extérieur.

 Des positions plus extrémistes

Kristina Winberg (EFD) donne voix aux positions plus extrémistes et radicales de la droite : ‘l’Union ne doit pas se concentrer sur l’humanitaire’, dit-elle. Au contraire elle considère qu’il faut ‘résoudre la situation sur le terrain : aider les pays tiers concernés à organiser des patrouilles dans leurs propres eaux, qu’ils offrent une aide aux réfugiés chez eux, puisque les migrants ne montent pas sur les bateaux qui leurs amènent à leur mort.’

Le vote

L’intervention de Claude Moraes, président de la commission LIBE, résume le débat et préannonce le résultat finale du vote : ‘l’interrogation comprend trop de questions, mais le contenu devrait mettre d’accord tout le monde’. Et voilà, les 51 mains levées des députés en faveur du texte le confirment, contre les 4 opposantes, sans aucune abstention.

Prochaines étapes

 La commission LIBE, donc, s’est révélée très critique, notamment contre le renforcement des contrôles aux frontières extérieures. En outre, elle a voulu lancer un message fort à la Commission : la demande d’une rupture politique avec l’approche suivi jusqu’à maintenant. En revanche, elle la pousse à aller au-delà des urgences, faisant pression pour la création d’un nouveau projet politique à long terme, partagé par l’ensemble des États de l’Union.

L’interrogation orale sera soumise au Conseil et à la Commission, lors de la plénière du mois de novembre, où aura lieu un débat plus ample. Les députés, ‘très sensibles et compétents dans le domaine’, comme l’a souligné Claude Moraes, auront l’occasion d’échanger leurs points de vue, à la lumière des évolutions qui interviendront entre temps, notamment en fonction du rôle que Triton va assumer.

 D’ici la prochaine session , les coordinateurs travailleront à un projet de résolution qui fera le point sur la position du Parlement Européen, à propos de la question migratoire.

 

Elena Sbarai

En savoir plus:

    Streaming de la réunion en commission LIBE du 5 novembre 2014 http://www.europarl.europa.eu

     EU-Logos, Conseil de l’Union européenne Justice et Affaires intérieures : premier test d’engagement et de solidarité des Etats membres. Quels sont les résultats ? NEA say… n° 151, du 17 octobre 2014 http://europe-liberte-securite-justice.org

     EU-Logos, Task Force Pour La Méditerranée : quelle réponse concrète à l’explosion des conflits aux portes de l’Union ? NEA say… n° 150, du 11 septembre 2014 http://europe-liberte-securite-justice.org

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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