Réunion interparlementaire, commission AFET du Parlement européen et délégations des commissions des affaires étrangères des parlements nationaux : échange de vues avec Johannes Hahn, 1er décembre 2014.

           Lors de sa réunion du 1er décembre 2014, la commission Affaires étrangères du Parlement européen, accompagnée des délégations des commissions des affaires étrangères des parlements nationaux des Etats membres, a reçu Johannes Hahn, commissaire en charge de la politique européenne de voisinage et des négociations d’élargissement. Des discussions sur le programme général des deux portefeuilles et sur la situation de quelques pays individuellement ont composé cet échange.

 Réorganiser la politique de voisinage

 Le commissaire Hahn partage le point de vue du Président Juncker qui s’est prononcé pour une réorganisation de la politique européenne de voisinage (PEV). M. Hahn considère que la PEV doit être davantage individualisée, plus flexible et permettre une réaction plus rapide de la part de l’UE. Ainsi, la version actuelle présente un inconvénient majeur d’après le commissaire puisqu’ « on a assemblé seize pays, du Belarus au Maroc, alors qu’il faut des solutions adaptées à chacun ». Ceci d’autant plus que les objectifs de ces partenaires sont différents : certains veulent intégrer l’UE (Ukraine, Géorgie, Moldavie), d’autres ne l’écartent pas à l’avenir et, pour d’autres encore, il n’en est pas question (pays du Sud). Cela doit déterminer « l’intensité de la coopération » selon M. Hahn (qui a, cependant et gardant là la même ligne que depuis son audition, répété sa volonté d’accorder autant d’importance aux pays du Sud qu’à ceux de l’Est bien que l’attention des médias et des opinions publiques soit, aujourd’hui, plus tournée vers l’Est).

Des gains de sécurité et de prospérité ainsi qu’une réduction de la pression migratoire sont les intérêts pour l’Union identifiés par M. Hahn à une politique de voisinage de meilleure qualité. Mais, il veut que les pays du voisinage expriment eux aussi leurs intérêts, qu’ils ne voient pas cette politique de l’Union comme une simple source de financements mais qu’ils s’approprient le projet.

 En terme de calendrier, cette réorganisation de la PEV est un travail qui a déjà commencé et qui doit mener à la publication d’un livre vert en mars puis à une communication de la Commission en octobre ou novembre 2015. Le sommet de Riga pour le partenariat oriental (mai 2015) sera aussi une échéance importante pour discuter de ces évolutions. M. Hahn a aussi réitéré son intention de travailler avec Mme Mogherini sur ces sujets.

 Poursuite du processus d’élargissement

 Hahn est aussi revenu sur l’affirmation du Président Juncker selon laquelle il n’y aurait pas d’élargissement dans les cinq prochaines années. Cette phrase avait interprété comme un mauvais signal par certains pays avec qui les négociations d’adhésion sont en cours et M. Hahn a donc voulu clarifier cela. Aussi, selon lui, il ne s’agit pas d’interrompre toute discussion pendant cinq ans, au contraire. Seulement, au regard des exemples passés et de tout un ensemble de raisons techniques, il est très peu vraisemblable qu’il y ait un résultat significatif dans les cinq ans. L’adhésion n’est pas la simple transposition de l’acquis communautaire, mais il faut aussi que le pays en question, au niveau économique et social puisse se rapprocher de l’Union a justifié le commissaire.

Ceci couvre principalement trois domaines d’après lui : l’Etat de droit (lutte contre la corruption, indépendance de la justice, transparence,… là encore, il ne s’agit pas juste de passer des lois, mais il faut aussi les mettre en œuvre), le développement économique et le rapprochement de la politique extérieure des Etats candidats de celle de l’Union. Cette volonté de clarifier l’affirmation de M. Juncker a été très bien reçue par les députés européens et nationaux présents, même si certains comme Elisabeth Guigou (Présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française) ont regretté l’aspect décourageant pour les candidats de l’affirmation initiale du Président de la Commission.

 L’UE, quant à elle, sera attentive au renforcement de la visibilité de sa politique a expliqué Johannes Hahn. En effet, il a rappelé que l’UE et ses Etats membres étaient les plus importants donateurs pour les pays du voisinage mais cette action est peu perçue car il s’agit souvent d’une aide apportée via d’autres organisations internationales (ONU, Croix rouge,…) ; en conséquence, l’aide de l’UE et son engagement sont moins visibles ce qui n’aide pas à améliorer l’image de l’Union dans la région.

 Constatant aussi le manque de popularité dans l’Union, à l’heure actuelle, du processus d’élargissement, il a invité, par l’intermédiaire des députés nationaux présents notamment, les Parlements nationaux à mener un travail de conviction auprès des opinions publiques pour que les citoyens ne voient pas chaque nouveau pays comme un fardeau pour l’Union mais comme une contribution à son renforcement. Pour cela, il faut notamment que l’adhésion se fasse dans de bonnes conditions, que les pays fassent leur travail pour, reprenant là une formule déjà employée lors de son audition, « que dès le premier jour, ils soient membres à part entière de la famille européenne ».

 Certains députés ont fait valoir que cette approche présentait, cependant, une limite car pour qu’un pays se rapproche des standards de l’UE en matière socio-économique, il faut des investissements, or ces derniers ont eux-mêmes besoins d’un contexte favorable (grand marché, sécurité juridique,…) que l’on trouve plus facilement lorsqu’un pays fait justement partie de l’UE. C’est pourquoi M. Hahn veut, avec la Banque européenne d’investissement, la Banque mondiale et d’autres organismes, trouver les conditions pour soutenir le développement économique des Etats candidats. Au final, « ce qui compte est l’interdépendance entre le développement économique et l’Etat de droit ». Le succès de l’un est intimement lié à celui de l’autre a conclu le commissaire.

 En Ukraine : soutien au pouvoir de Kiev et fermeté envers la Russie

 Outre les questions liées à l’organisation des politiques de voisinage et d’élargissement, la situation de plusieurs pays a été abordée. D’abord l’Ukraine, point par lequel le commissaire a débuté son intervention. Après les élections du 26 octobre et sa visite en Ukraine pour l’entrée en fonction du nouveau Parlement, il juge le processus prometteur. Une large majorité des députés est en faveur des réformes et d’une orientation européenne pour le pays. Le renforcement de la décentralisation est un autre axe sur lequel compte travailler la nouvelle majorité. M. Hahn a aussi rappelé que l’Ukraine devait s’engager dans le combat contre la corruption. Pour réussir tout cela, Knut Fleckenstein (S&D, Allemagne) a estimé que l’Ukraine avait besoin de « tout notre soutien économique et politique ». Il a appelé le gouvernement de Kiev à ne pas se laisser intimider et la Russie à faire partir ses troupes de l’Est.

Charles Tannock (ECR, Royaume-Uni) s’est inquiété du durcissement des conditions de vie à attendre en Ukraine avec l’arrivée de l’hiver. Il a aussi reproché un manque de clarté à la Commission sur son avis sur la future structure territoriale de l’Ukraine, dans la mesure où Mme Mogherini a, pour certaines régions, parlé d’autonomie puis de fédéralisation. M. Hahn a rappelé la position de la Commission : c’est aux citoyens ukrainiens qu’il revient d’organiser leur Etat comme ils le souhaitent, le droit de chaque pays de choisir sa structure territoriale est une composante de l’intégrité territoriale.

 A l’égard de la Russie, le commissaire a voulu transmettre deux messages. Premièrement, l’Union n’entend pas accepter l’annexion de la Crimée ; le député roumain Cristian Dan Preda est d’ailleurs intervenu pour rappeler la position commune du PPE : « l’agression russe en Crimée et à l’Est est inacceptable ». Deuxièmement, si la situation empire l’Union ne s’interdit pas d’alourdir ses sanctions contre la Russie, bien que le but soit, qu’un jour, ces sanctions puissent être levées. Pour cela, « le premier pas doit venir de la Russie » qui doit, contrairement à aujourd’hui, agir conformément au droit international, selon le commissaire. M. Hahn s’est appuyé sur plusieurs indicateurs économiques (baisse de la valeur du rouble, de la cotation des entreprises,…) pour montrer la dureté de ces sanctions sur l’économie russe. Mais, le commissaire a aussi voulu tendre la main à la Russie en réaffirmant que l’UE était un projet de paix et que la Russie n’avait pas à la craindre : l’UE « veut donner à ses citoyens une perspective de bien-être, à ses voisins aussi, y inclus nos amis russes ».

Une député allemande a exprimé la « déception » de son pays vis-à-vis de la Russie. La crise ukrainienne entraîne une rupture de confiance entre la Russie et l’UE estime-t-elle. Cela bouleverse la situation régionale et place la politique de voisinage de l’UE devant un environnement nouveau. Elle s’est aussi inquiétée de l’absence d’unité dans la politique de sanctions.

 Autres pays abordés : Serbie, Moldavie, Azerbaïdjan, Turquie, Tunisie, Libye

 Il s’agit ici de pays dont la situation a été discutée plus brièvement. Parmi eux, la Serbie. Sa relation avec la Russie, le fait qu’elle refuse de rejoindre la politique de voisinage et qu’elle n’ait pas voté en faveur de la résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU, est perçu, par M. Tannock notamment, comme un problème en vue de son rapprochement de l’Union. M. Hahn a répondu que la vitesse du processus de rapprochement d’avec l’UE dépendait des Etats, ce sont eux qui le déterminent souverainement. S’aligner sur les conditions de l’UE est indispensable pour l’intégrer mais le rythme dépend de chaque Etat. Il a aussi rappelé que, de toutes façons, les liens économiques de la Serbie avec l’UE étaient un paramètre les amenant naturellement à se rapprocher de l’Union. Ainsi, par exemple, les 2/3 des investissements étrangers en Serbie viennent de l’UE alors que seulement 4% viennent de la Russie. Sur un autre aspect concernant la Serbie, Mme Guigou a affirmé apprécier la volonté affichée par ce pays sur les questions liées à l’Etat de droit et à la lutte contre la corruption, sujet par ailleurs importants pour tous les pays des Balkans.

  1. Dan Preda et M. Fleckenstein ont salué la victoire des partis pro européens lors des dernières élections en Moldavie. Une député du parlement roumain a affirmé le soutien de son pays au « parcours européen » de la Moldavie, qui doit à terme intégrer l’UE et, pour cela, bénéficier du soutien des Etats membres selon elle.

 Par ailleurs, M. Hahn a été interrogé sur la visite de Maros Sefkovic, Vice-président de la Commission européenne et commissaire en charge de l’Union de l’énergie, en Azerbaïdjan. Il a été accueilli par le Président Ilham Alyiev qui s’est félicité de la coopération énergétique avec l’UE. Cependant, cette visite a pu être perçu comme un mauvais signal et un manque de cohérence de la part de la Commission dans la mesure où le régime azéri est un régime autoritaire, l’UE pouvant donner là l’impression de privilégier ses intérêts énergétiques aux Droits de l’homme. La réponse du commissaire a été de défendre la cohérence de l’action de la Commission en signalant que des sujets (en l’occurrence les Droits de l’homme) peuvent être abordés bien qu’ils ne figurent pas dans le communiqué officiel.

 De nouveau, les relations entre Chypre et la Turquie ont été discutées. Il a été rappelé que le Parlement européen avait voté une résolution pour critiquer l’action de la Turquie à Chypre. Alors que la Turquie a affirmé son intention de totalement l’ignorer, M. Hahn a affirmé qu’il se rendrait en Turquie avec Mme Mogherini afin de discuter de cela.

 Enfin, concernant deux pays du Sud. Des députés membres de la mission d’observation électorale en Tunisie, dont Massimo Castaldo (EFDD, Italie), ont globalement souligné la qualité du processus électoral dans ce pays en disant que les élections législatives et le premier tour des élections présidentielles s’étaient bien déroulés, dans le respect des principes de la démocratie et la transparence. Le député italien a interrogé M. Hahn sur la manière dont l’UE pourrait apporter une aide économique et sociale en tenant compte du fait que le Maghreb dans son ensemble soit dans une situation délicate. Le commissaire a alors valorisé l’importance d’actions en faveur du développement de la société civile, « plate-forme la plus importante pour le fonctionnement d’une démocratie ».

La situation de la Libye a aussi été évoquée puisque M. Tannock a regretté que cette question soit moins présente dans les discussions depuis un certain temps. C’est pourtant un pays stratégique et très instable, a-t-il dit, dont la situation ne s’est pas améliorée depuis la fin du régime de Kadhafi.

 

Clément François

 

Pour en savoir plus :

 – site de la Commission européenne, espace consacré à la politique de voisinage et aux négociations d’élargissement : http://ec.europa.eu/enlargement/index_en.htm (EN)

 – synthèse de l’audition de Johannes Hahn, commissaire en charge de la politique européenne de voisinage et des négociations d’élargissement : http://europe-liberte-securite-justice.org/2014/10/10/synthese-de-laudition-de-johannes-hahn-commissaire-designe-pour-la-politique-europeenne-de-voisinage-et-les-negociations-de-lelargissement/ (FR)

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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