Les manifestations anti–islam en Allemagne (PEGIDA) inquiètent . La contre attaque s’organise. La chancelière Angela Merkel a clairement pris position rejointe par de nombreuses personnalités en provenance de divers horizons.

Eulogos s’est déjà exprimé, il y a peu de temps sur le sujet, et depuis, les faits ont confirmé son analyse. Les manifestations anti-islam continuent de prendre de l’ampleur à Dresde, dans l’est de l’Allemagne, et les autorités s’inquiétaient pour l’image du pays malgré une mobilisation anti-raciste majoritaire à l’échelle nationale. Dans un pays encore marqué par son passé nazi et qui cherche à attirer des immigrés pour compenser son déclin démographique, la multiplication de manifestations xénophobes ces dernières semaines a provoqué une levée de bouclier sans précédent: politiques, médias, milieux d’affaires et de nombreux citoyens sur les réseaux sociaux ou dans la rue, mobilisés contre l’islamophobie.

 Mardi 6 janvier le quotidien Bild, publiait une pétition de 50 personnalités disant « Non à Pegida », parmi lesquelles deux anciens chanceliers sociaux-démocrates, Gerhard Schröder et Helmut Schmidt.

 Oliver Bierhoff, le manageur de l’équipe d’Allemagne championne du monde de foot, louait, dans les colonnes du journal le plus lu d’Europe, les vertus de l’intégration, aux côtés d’artistes ou d’ecclésiastiques. parmi les signataires: sept ministres de l’actuel gouvernement. Le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, livrait ce commentaire: « les paroles ne remplacent pas les faits, l’Allemagne a besoin des immigrés ».

 La onzième marche organisée lundi soir janvier dans la capitale de la Saxe par un groupe baptisé « Européens patriotes contre l’islamisation de l?Occident » (Pegida) a réuni 18.000 participants, selon la police. Un record depuis que ce mouvement a débuté en octobre. Mais il n’a pas mobilisé ailleurs et les « anti-Pegida » étaient bien plus nombreux à travers le pays.

Ils étaient ainsi « plusieurs milliers » d’anti-Pegida à Cologne (ouest) où la cathédrale avait été éteinte en signe de protestation contre un mouvement qualifié de xénophobe. A Berlin, l’éclairage de la porte de Brandebourg avait également été éteint et 5.000 contre-manifestants s’étaient mobilisés.

 Dans son allocution du Nouvel An, la chancelière Angela Merkel avait critiqué les meneurs du mouvement anti-islam, épinglant des personnes au « coeur » rempli de « préjugés » et de « haine ». Elle a appelé ses compatriotes à ne pas participer aux manifestations. « L’immigration est un bien pour nous tous,a-t-elle poursuivit » Jugeant « naturel d’accueillir ceux qui y cherchent refuge ».

 « Pegida ne nuit pas seulement à notre pays, mais donne aussi une mauvaise image de l’Allemagne à l’étranger », a déclaré le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier, dans des tweets relayés par son ministère, y compris en langue anglaise.

Le patronat s’est inquiété également. « L’impression qu’on manifeste chez nous contre les étrangers nuit à l’Allemagne », a affirmé Ingo Kramer, président de la Fédération des employeurs.

Dans le cortège de Dresde lundi soir, pas ou peu de crânes rasés mais de simples citoyens, souvent âgés, portant drapeaux et parfois crucifix aux couleurs de l’Allemagne. Ces manifestants disent se sentir menacés par l’immigration, dans ce Land d’ex-Allemagne de l’Est qui ne compte pourtant que 2,2% d’habitants d’origine étrangère, l’un des pourcentages les plus faibles du pays.

 Même minoritaire, ce mouvement met mal à l’aise une Allemagne marquée par l’idéologie raciste de la dictature nazie, par sa responsabilité dans l’extermination des juifs, et qui cherche à présenter une image d’ouverture sur le monde. « Justement en Allemagne, nous devons avoir l’oreille sensible quand une minorité religieuse devient le bouc émissaire de problèmes » de société, souligne Werner Schiffhauer, universitaire et président du Conseil des migrations, qui regroupe des chercheurs sur ce thème. Là où par le passé on affirmait lutter « contre la judéisation de la société allemande », on parle « aujourd’hui d' »une islamisation de l’Occident » fantasmée par une propagande qui se ferme à toute raison », fait-il remarquer. « Nous avons besoin d’une nouvelle représentation de l’Allemagne », a estimé Naika Foroutan, sociologue de l’Université Humbolt à Berlin. « Trop longtemps le message qui nous a façonnés était que l’Allemagne n’était pas un pays d’immigration alors que l’Allemagne l’était de fait », a-t-elle affirmé à la télévision.

 En 1983, la feuille de route du gouvernement formé par les conservateurs d’Helmut Kohl et les libéraux du FDP affirmait: « L’Allemagne n’est pas un pays d’immigration ». Aujourd’hui, un habitant sur cinq en Allemagne a une origine étrangère, selon l’Office des statistiques et le pays est devenu en 2012, la principale destination d’immigration en Europe, accueillant cette année-là 400.000 nouveaux arrivants, selon l’OCDE. C’est aussi la première destination des demandeurs d’asile en Europe. Depuis début 2014, l’Allemagne a accueilli 180.000 réfugiés (+57% par rapport à la même période en 2013).

 Qui est le groupe Pegida ?

 Le groupe Pegida est né en octobre sur Facebook, à l’initiative de Lutz Bachmann, un ancien cuisinier de 41 ans reconverti dans la communication. Fervent partisan de la « tolérance zéro » pour les immigrés qui commettent des délits, il a été condamné à plusieurs reprises lui-même pour divers délits et se trouve actuellement en liberté conditionnelle, expliquait notre correspondant à Berlin en décembre. Il a lancé le principe d’une manifestation tous les lundis, dont l’affluence grandit semaine après semaine.

 Le credo de Pegida ? L’opposition au « fanatisme religieux et à toute forme de radicalisme », et plus précisément le refus de « l’islamisation » de la société allemande. Cela passe par la fin de « l’abus de l’asile » dans un pays qui est devenu la première destination européenne des migrants (voir ci-dessous). Une banderole déployée lundi à Cologne réclamait ainsi « des pommes de terre plutôt que des kebabs », allusion à la forte immigration turque en Allemagne. Au-delà de l’immigration, le mouvement dénonce les médias (« tous des menteurs »), les élites politiques ou encore le multiculturalisme, qui diluerait la culture chrétienne allemande.

Ils n’étaient qu’une poignée il y a deux mois, à la création du mouvement Pegida, un acronyme pour ‘Européens patriotes contre l’islamisation du pays’. Depuis, chaque lundi, à Dresde, ils sont de plus en plus nombreux à se rassembler. 17500 la veille de Noël, avec comme slogan : ‘non à l’islamisation’, ‘nous sommes le peuple’. Soutenu par divers mouvements d’extrême-droite ou néo-nazis, et appuyé par le parti anti-euro et populiste Alternative pour l’Allemagne, Pegida été fondé par Lutz Bachmann : ‘L’Allemagne n’est pas une terre d’immigration répète-t-il. L’intégration ne signifie pas vivre côte à côte, mais vivre ensemble en se fondant sur notre constitution et notre culture allemandes, sur nos racines judéo-chrétiennes, basées sur le christianisme, l’humanisme et les lumières’. Lutz Bachman justifie son mouvement par l’agacement qu’il a ressenti en voyant en octobre dernier des Kurdes défiler en Allemagne contre la guerre en Syrie, ou affronter des salafistes dans les rues de Hambourg. Il décide alors de réagir et lance un appel à manifester sur les réseaux sociaux. Chants religieux, références aux racines judéo-chrétiennes, appel à l’humanisme. Et derrière, un racisme bien ordinaire et qui fait de plus en plus d’adeptes. Les demandeurs d’asile sont de plus en plus montrés du doigt, mais rares sont ceux qui font remarquer que si l’Allemagne avait la même proportion de réfugiés syriens que le Liban , l’Allemagne devrait faire face à près de 21 millions de réfigiés syriens et 86 % des réfugiés dans le monde le sont dans des pays en voie de développement. Il reste vrai que en plus d’être la destination privilégiée des immigrants en Europe, l’Allemagne est aussi la première destination des demandeurs d’asile. 200.000 réfugiés accueillis en 2014, fuyant les conflits en Syrie, Irak, ou ailleurs. Pegida a le soutien de 30 % des Allemands. Mais les anti-racistes sont également mobilisés et chaque jour davantage. Chaque lundi, partout dans le pays, ceux-ci organisent des contre-manifestations et témoignent leur soutien aux étrangers sur leur sol.

 Que représente l’immigration en Allemagne ?

15 millions Depuis les années 1950, l’Allemagne a fait appel à de la main-d’œuvre immigrée de manière régulière : les « gastarbeiter » (littéralement « travailleurs invités ») ont contribué au redressement économique du pays durant des décennies. En 2010, selon les statistiques officielles, on comptait 19,3 % de personnes issues de l’immigration dans le pays : 8,6 millions étaient de nationalité allemande et 7,15 millions de nationalité étrangère. Parmi ces immigrés, 10,6 millions étaient nés à l’étranger et 5,15 millions en Allemagne. A titre de comparaison, en France, 8,4 % de la population est immigrée.

 L’Europe de l’Est et la Turquie ont longtemps fourni l’essentiel du contingent d’immigrés allemands : on compte 2,5 millions de personnes d’origine turque en Allemagne et plus de deux millions d’immigrés d’origine russe ou polonaise. Il y a une explication historique à ce phénomène : longtemps, des populations d’origine allemande rapatriées des pays de l’ancienne Union soviétique ont constitué des cohortes importantes. Autre contingent nombreux, celui des immigrés venus des pays de l’ex-Yougoslavie.

 Cette immigration a été très importante jusque dans les années 1980, avant de diminuer au cours des années 1990. Mais elle a aussi connu un mouvement de sédentarisation : les travailleurs venus dans le cadre de migrations temporaires sont restés en Allemagne.

 Autre élément à rappeler : l’Allemagne était régie, jusqu’en 2000, par la politique du droit du sang. Il fallait avoir un parent allemand pour acquérir cette nationalité. Depuis la réforme, un enfant dont les parents étrangers résident depuis au moins huit ans en Allemagne peut être allemand. Ainsi, 8 millions de personnes ont obtenu la nationalité allemande.

 Combien coûte un migrant ?

C’est un débat qui fait rage en Allemagne comme ailleurs et les économistes se disputent sur le sujet. L’Institut ZEW pour le compte de la fondation Bertelsman s’est livré à un calcul cherchant à démontrer les bienfaits de l’immigration. Selon l’étude chaque immigrant apporterait aux budgets sociaux et au fisc 3300europs par an et par personne de plus que ce coûterait un étranger à l’Etat. Mais ce chiffre est contesté par l’Institut IFO de Munich qui estime que chaque nouveau venu coûterait 1800 euros par personne et par an. La différence s’expliquerait par la prise en compte des frai généraux (Défense, entretien des autoroutes etc). IFO fait remarquer que les migrants préfèrent les Etats-Unis et selon l’OCDE seuls 25 % des migrants rejoignant l’Allemagne sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Mais remarquons que depuis 2013 l’Allemagne est le deuxième pays d’accueil derrière les Etats-Unis, passant devant le Canada et l’Australie. Face à un tel bouleversement, récent, on comprend que les autorités sont souvent débordés et ont de grosses difficultés pour faire face. C’est cette impuissance des pouvoirs publics qui explique en partie le succès de Pegida, parti de rien et échappant à tout contrôle des partis politiques traditionnels. Selon un sondage seulement, 13% des allemands seraient prêts à participer à une marche contre l’islamisation si une telle manifestation était organisée dans leur ville. 29% des personne interrogées estiment ces marches justifiées.

 Pourquoi cette flambée anti-immigrants ?

Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette flambée du discours anti-immigration. D’une part, la démographie allemande est en chute libre et les autorités n’ont pas freiné les arrivées dans le pays. Selon Destatis, l’office fédéral de la statistique, le pays a connu 673 000 naissances en 2012 pour 869 000 décès, soit un solde négatif de 196 000 personnes. Depuis des décennies, c’est uniquement grâce à l’immigration que l’Allemagne maintient un solde démographique positif. Mais surtout, depuis le début de la décennie 2010, l’Allemagne redevient un pays d’immigration massive. C’est notamment la première destination en matière de demandes d’asile en Europe, avec une véritable envolée des demandes ces dernières années et ces derniers mois, comme chacun le sait (Allemagne et Suède c’est la moitié des réfugiés.) alors que la France connaît une relative stabilité. De plus, avec l’immigration, l’Allemagne a connu une hausse du nombre de ses citoyens musulmans, qui sont aujourd’hui 5 millions environ, sur une population de 80 millions, selon les statistiques officielles. C’est notamment sur la question de la religion que des mouvements tels Pegida mobilisent.

 Mais la majorité a bien compris, à commencer par Ulrich Grillo, président de la puissante fédération de l’industrie BDI qui représente 100 000 PME faisant travailler 8 millions de personnes, et tout le monde en est bien conscient que l’Allemagne ne pourra assurer le financement de son système social sans un recours massif à l’immigration.

 « L’Allemagne ne pourra échapper plus longtemps à un vaste débat sur l’immigration, résume le politologue de Dresde, Werner Patzelt. Jusqu’à présent la classe politique traditionnelle a négligé -surtout à l’est du pays- le débat autour de l’intégration et de l’immigration pour un pays dépourvu de toute tradition en la matière. On a toujours dit aux allemands que les étrangers allaient repartir un jour. Bien sûr c’était totalement naïf ».

Pour en savoir plus :

Germany Pergina Protest http://www.bbc.com/news/world-europe-30685842

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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