La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du Conseil de l’Europe a encore « frappé » : les militaires français vers un droit d’association ?

Le 19 décembre 2014, le président de la République a annoncé l’élaboration d’un projet de loi accordant aux militaires français un “droit d’association professionnelle adapté à l’état militaire, à l’exclusion de tout droit syndical”, conformément aux préconisations du rapport de Bernard Pêcheur remis le 18 décembre.

 Ce rapport a été demandé à la suite de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 2 octobre 2014 qui, tout en reconnaissant l’existence de restrictions légitimes dans la liberté d’association des militaires, avaient jugé que les militaires ne pouvaient se voir refuser de manière générale un droit à se regrouper pour la défense de leurs intérêts. Prenant acte de la position de la Cour, le rapport Pêcheur a admis que devait être aménagée la définition d’un nouveau régime juridique autorisant la création et l’adhésion des militaires à des associations professionnelles nationales de militaires, régies par le code de la défense et par la loi du 1er juillet 1901. Ces associations n’auraient pour objet exclusif que la préservation et la promotion des intérêts militaires en ce qui concerne la condition militaire et dans le respect des obligations qui s’imposent aux militaires (interdiction de s’immiscer dans la politique de défense, par exemple).

 « L’interdiction absolue des syndicats au sein de l’armée française est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme ». Ainsi est présenté, par la Cour européenne, l’arrêt rendu public jeudi 2 octobre dernier dans l’affaire qui opposait à sa hiérarchie un chef d’escadron de gendarmerie, Jean-Hughes Matelly, dont l’association avait dû fermer en 2008 sur ordre.

 L’article 11 de la Convention, portant sur la liberté de réunion et d’association est invoqué. La décision de la Cour, qui ne s’était jamais prononcée sur cette question, a été prise à l’unanimité. Deux arrêts condamnant la France ont été rendus en même temps sur le même sujet. La Cour s’est également penchée sur la saisine de l’Association de défense des droits des militaires, créée en 2001 par deux militaires, le capitaine Bavoil (alors en activité) et le major Radajewski, avec pour objet statutaire « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels, des militaires ».

 Dans l’affaire Matelly, « l’arrêt dit qu’on ne peut pas interdire purement et simplement les syndicats dans l’armée. En revanche, il précise que des restrictions même significatives peuvent être apportées à la liberté d’association par un membre des forces armées, puisque la spécificité des missions de l’armée exige une adaptation de l’activité syndicale », explique la CEDH.

Matelly avait créé en 2007, à titre privé, un forum de discussion sur internet, Forum gendarmes et citoyens, dont la vocation était de parler des relations entre l’institution et le public. Quelques mois plus tard, le Forum était déclaré comme association, animée par des bénévoles. Aussitôt, le directeur général de la gendarmerie ordonnait à ses membres gendarmes, dont l’officier Matelly qui avait pris la vice-présidence du Forum, d’en démissionner sans délai.

 Pour la hiérarchie militaire, l’association présentait les caractéristiques d’un groupement à caractère syndical. Dans ses statuts, l’association avait mentionné « la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes ». Or, les syndicats sont interdits dans l’armée française par l’article L.4121-4 du code de la défense.

 La Cour estime que l’ordre de ne plus adhérer à l’association « Forum gendarmes et citoyens » a constitué « une ingérence dans l’exercice des droits du requérant garantis par l’article 11 ». Le but de la direction générale de la gendarmerie était certes légitime : le maintien de l’ordre et de la discipline. Mais cette ingérence était-elle nécessaire dans ce cas ? « La Cour note que l’État français a mis en place des instances et des procédures spéciales pour prendre en compte les préoccupations des personnels militaires, elle estime toutefois que ces institutions ne remplacent pas la reconnaissance au profit des militaires d’une liberté d’association, laquelle comprend le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier », dit l’arrêt.

 L’ordre a été délivré trop vite, estiment les juges européens : sur la seule base des statuts de l’association et de la « possible existence d’une dimension syndicale ». L’armée ne peut priver les militaires du droit général d’association (dont le syndicat n’est qu’une modalité) pour la défense de leur intérêts professionnels et moraux, précise la CEDH. Les restrictions « peuvent toucher aux modes d’action et d’expression d’une association professionnelle mais pas l’essence du droit lui-même ».

 Le lieutenant colonel Matelly a réagi avec « un sentiment partagé » : « il y a une tristesse d’avoir été obligés d’en arriver là car c’est la France qui avait introduit il y a deux siècles le principe du soldat citoyen en Europe. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui rappelle cette place et c’est une bonne chose pour tous les soldats », a-t-il indiqué au Monde.

 L’affaire pourra être renvoyée en Grande chambre pour un jugement au fond, dans les trois mois si les parties le demandent, sinon, l’arrêt sera définitif.

 Le ministère de la défense avait affirmé jeudi 2 octobre qu’il prenait « acte de ces décisions », précisant qu’un travail de réflexion avait été « lancé pour rénover la concertation militaire ». Le ministère a en outre affirmé qu’il allait « prendre le temps d’expertiser avec précision » les motif de la Cour afin de déterminer « quelles évolutions du droit français doivent être mises en place ».

  En conclusion :un projet de loi ouvrant le droit d’association professionnelle aux militaires devrait être présenté et discuté au Parlement au cours du premier semestre 2015.

 

Pour en savoir plus :

 

      -. Le droit d’association professionnelle des militaires, rapports publics     -. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000773-le-droit-d-association-professionnelle-des-militaires

        -. Communiqué de la Présidence de la République suite à la remise du Rapport Pêcheur http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/remise-du-rapport-pecheur/

      -. Communiqué de presse du 2 octobre 2014 , Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), 2 octobre 2014 http://www.droitpublic.net/spip.php?article4958

      -.Code de la défense , Légifrance http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006071307

      -. Analyse de l’arrêt Matelly http://www.profession-gendarme.com/analyse-des-arrets-matelly-et-adefdromil-jurisprudence-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme/

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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