Turquie : état des lieux dans les prisons après la visite du Comité européen pour la prévention de la torture (CEPT).

Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture, chargé du suivi de la mise en œuvre de la « Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » au sein du Conseil de l’Europe, sur sa visite en Turquie qui a eu lieu du 9 au 21 juin 2013, conformément à l’article 8 de «la Convention», et la réponse du gouvernement à ce rapport ont été rendus publics le 15 janvier 2015 par le CPT, à la suite de l’autorisation du gouvernement.

La délégation du CPT du mois de juin 2013 a été menée par Jean-Pierre Restellini (chef de la  délégation), Marija Definis-Gojanović, Maïté De Rue, Julia Kozma, Jan Pfeiffer et Ana Racu. Au cours de la 6ème visite périodique, la délégation du CPT a visité les lieux de privation de liberté suivants : le commissariat de police d’Ankara, Istanbul, Diyarbakır, Izmir et Şanlıurfa ; et les centres de détention et de renvoi dans diverses provinces.

La délégation s’est également rendue dans plusieurs établissements pénitentiaires à Ankara-Sincan, Diyarbakır, Gaziantep, Izmir, Şanlıurfa et Tekirdağ où elle a examiné le traitement des détenus par le personnel pénitencier.

Au cours des entretiens de fin visite, le 21 juin, l’observation immédiate du CPT, concernant le commissariat de police d’Ankara, a été celle de demander aux autorités turques de prendre des mesures nécessaires à fin que les immigrés détenus dans ces lieux puissent bénéficier d’au moins une heure par jour d’exercice en plein air.

Depuis le début de ses activités, le CPT a recommandé la mise en place de mécanismes de contrôle indépendants au niveau national pour tous les lieux de privation de liberté. Ces mécanismes indépendants peuvent apporter une contribution importante en matière de prévention des mauvais traitements des personnes privées de leur liberté. À cet égard le Comité a considéré que les parties de la Convention devrait également devenir parties du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture (OPCAT). En effet, cet instrument prévoit la mise en place d’un ou plusieurs organismes indépendants de surveillance au niveau national (mécanismes de prévention) qui devraient être en mesure d’effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté plus régulièrement que les organismes nationaux. La Turquie avait ratifié l’OPCAT en septembre 2011 et s’est engagée à établir un mécanisme de prévention au cours de cette année. À cet égard le CPT a demandé d’être informé sur les progrès vers la mise en place de ces mécanismes nationaux. 

En outre, le CPT a aussi demandé de recevoir des informations sur les activités menées par l’Institution Ombudsman qui a le mandat d’effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté sans notification, à la suite des plaintes reçues par les détenus.

Le CPT a examiné le traitement et les conditions de détention des personnes privées de liberté par la police et la gendarmerie ainsi que la mise en œuvre dans la pratique des garanties fondamentales contre les mauvais traitements (telles que l’accès à un avocat). Une attention particulière a été accordée à la situation des personnes privées de leur liberté dans le cadre de manifestations publiques qui étaient en cours au moment de la visite dans différentes régions du pays (les dites      « protestations de Gezi »). A cette fin, la délégation du CPT a interrogé de nombreux manifestants qui avaient été placés en garde à vue à Ankara et à Istanbul.

 Dans les régions de Diyarbakir et Şanlıurfa, la délégation a reçu un certain nombre d’allégations de personnes détenues (y compris les mineurs) pour les mauvais traitements physiques policiers. La plupart de ces allégations concerne l’usage excessif de la force lors de l’arrestation : gifles, coups de poing ou des coups de pied au cours des interrogatoires. Dans certains cas, l’examen médical de la personnes concernées et / ou la consultation de dossiers médicaux par la délégation, ont révélé des blessures, étaient compatibles avec les allégations de mauvais traitements formulées.

En revanche, pratiquement aucune des allégations de cette nature ont été reçues dans la région d’Izmir.

 Le CPT s’est préoccupé par le cas d’un mineur détenu à Diyarbakır. Le mineur était arrivé à la prison, le 6 mai 2013, avec des blessures visibles et, au cours de l’examen médical initial, il a dit au médecin qu’il avait subi des blessures de «passages à tabac» par les agents de police au moment de l’arrestation. Le rapport médical notifié par la direction de la prison au bureau du procureur général de Diyarbakır montrait que le mineur ne voulait pas déposer une plainte officielle contre les officiers de police et que le dossier avait été fermé peu de temps avant la visite du CPT. À ce propos le CPT à demandé que le cas du mineur doit être rouvert.

 En ce qui concerne l’accès à un avocat, le Comité a demandé aux autorités turques de prendre les mesures nécessaires pour garantir que le droit des personnes détenues d’avoir un avocat présent lors des interrogatoires, ainsi que l’obligation d’avoir un avocat présent si la personne détenue est un mineur, soient pleinement respectés dans tous les établissements de police et de gendarmerie.

En outre, des mesures devraient être prises à fin que les détenus soient informés de leurs droits fondamentaux dès le début de leur privation de liberté et qu’ils signent une déclaration attestant leurs droits en s’assurant que les détenus sont effectivement en mesure de comprendre ces droits.

 Quant à la visite dans les départements Anti-terrorisme, la recommandation du CPT aux autorités turques concerne la prise de mesures nécessaires pour s’assurer que tous les interrogatoires sont enregistrés électroniquement (par enregistrement audio et vidéo) et que les enregistrements soient conservés pendant une période raisonnable et mis à disposition pour être vus par des personnes appropriées.

La délégation du CPT a observé des niveaux inquiétants de surpeuplement dans certains des établissements visités, particulièrement dans les prisons de Gaziantep et de Şanlıurfa et a recommandé aux autorités turques de lutter contre la surpopulation carcérale en adoptant des  politiques visant à limiter ou moduler le nombre de personnes envoyées en prison. Ce faisant, les autorités doivent être guidées par, notamment : la Recommandation n° R (99) 22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale ; la Recommandation Rec (2000) 22 sur l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures dans la communauté ; la Recommandation Rec (2003) 22 concernant la libération conditionnelle ; la Recommandation Rec (2006) sur l’utilisation de la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus ; la Recommandation Rec (2008) 11 relative aux règles européennes pour les délinquants mineurs soumis à des sanctions ou mesures ; et la Recommandation Rec (2010) 1 sur le règles de probation du Conseil d’Europe.

 En ce qui concerne les conditions du matériel trouvé dans les établissements de privation de liberté la situation est particulièrement problématique dans les prisons de Gaziantep et Şanlıurfa où les unités de logement contiennent plus de prisonniers par rapport le nombre de lits disponibles. En conséquence, les détenus doivent partager les lits ou dormir sur des matelas ou des couvertures placés sur le plancher. Autres meubles, tels que les tables et les chaises sont également en nombre insuffisant en obligeant les prisonniers à prendre leurs repas assis sur le sol. Le CPT a donc demandé de prendre des mesures à fin d’assurer que les unités d’hébergement offrent au moins 4 m2 de surface habitable par détenu et qu’elles soient maintenues dans un état d’entretien satisfaisant.

 Le CPT a appelé les autorités turques à prendre des mesures dans les prisons de Diyarbakır, Gaziantep, Şanlıurfa et Izmir pour améliorer les installations des activités organisées (comme le travail, l’éducation et le sport) et pour augmenter considérablement le nombre de prisonniers qui bénéficient de ces activités sur une base régulière. Le CPT veut aussi que les autorités mettent en terme définitif à la pratique d’accueillir les mineurs dans les prisons pour les adultes et que les nouvelles prisons seront en mesure d’offrir un environnement et des activités adaptées aux besoins spécifiques des mineurs (éducation, sport et autres activités récréatives).

Enfin le CPT a recommandé que tous les détenus soient, en règle générale, en mesure de recevoir des visites familiales à court terme sans séparation physique.

 Dans leur réponse, les autorités turques ont fourni les informations sur les mesures prises pour répondre aux conclusions du Comité du Conseil de l’Europe ; les progrès accomplis vers la mise en place d’un mécanisme national de prévention en vertu du OPCAT ; une déclaration officielle émanant l’application de la loi dans les prisons de Diyarbakir et Şanlıurfa qui rappelle aux autorités compétentes d’être respectueux des droits des personnes et que les mauvais traitements feront objet de sanctions sévères ; le nouveau plan d’action qui concernera les activités récréatives et éducatives pour les jeunes détenus ; les mesures immédiates à prendre au niveau sanitaire et de l’ hygiène dans des prisons ainsi que les examens médicaux des personnes qui devront s’effectuer en pleine conformité avec l’exigence énoncée.

 

 

(Irene Capuozzo)

 

 Pour en savoir plus :

  • Report to the Turkish Government on the visit to Turkey carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT) from 9 to 21 June 2013 – Council of Europe – 15/01/2015 –  (EN)
  • Response of the Turkish Government to the report of the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT) on its visit to Turkey from 9 to 21 June 2013– Council of Europe – 15/01/2015 –  (EN)

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire