L’état général des prisons : l’encellulement individuel, un objectif sans cesse repoussé. Vers un débat européen sur les pratiques pénitentiaires ?

En avril 2014, l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté en France, Jean-Marie Delarue, a fait valoir dans son avis relatif à l’encellulement individuel que ce principe visait «à offrir, à chaque personne incarcérée, un espace où elle se trouve protégée d’autrui et où elle peut donc ainsi préserver son intimité et se soustraire, dans cette surface, aux violences et aux menaces des rapports sociaux en prison. » Cette conception rejoint celle du Conseil de l’Europe et transparaît d’ailleurs dans ses Règles pénitentiaires européennes. Ces règles, partie intégrante de la Recommandation du 11 janvier 2006, n’ont pas de valeur juridique contraignante et ont vocation à inciter les États membres du Conseil de l’Europe à les mettre en oeuvre, plus qu’à les contraindre. Parmi, ces règles, quatre concernent directement le principe de l’encellulement individuel :

« 18.5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus.

18.6 Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter.

18.7 Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit.

  1. Autant que possible, les prévenus doivent avoir le choix de disposer d’une cellule individuelle, sauf s’il est considéré comme préférable qu’ils cohabitent avec d’autres prévenus ou si un tribunal a ordonné des conditions spécifiques d’hébergement

Si l’encellulement individuel ne figure pas en tant que tel dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, cette dernière opère un contrôle des conditions de détention sur la base de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui stipule : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » L’encellulement collectif dans des cellules inadaptées, en raison d’une surpopulation carcérale, peut être envisagé par le Cour comme un traitement dégradant, à l’image de l’arrêt du 25 avril 2013 (Canali c. France).

Si l’on regarde du côté de l’Union européenne, le Parlement européen a dénoncé l’état « alarmant » des prisons européennes dans une Résolution du 15 décembre 2011. Les députés demandaient déjà des mesures pour protéger les droits fondamentaux des détenus ainsi que des normes communes minimales pour les conditions de détention dans tous les pays de l’Union. Depuis lors, aucune suite n’a été donnée au texte.

Le cas français est symptomatique des difficultés de mise en oeuvre de l’encellulement individuel. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 réaffirme ce principe tout en prévoyant un moratoire de cinq ans de manière à permettre sa mise en oeuvre effective. Ce délai a expiré au 24 novembre 2014. Le député français Dominique Raimbourg a donc été chargé de formuler des préconisations sur les modalités d’application de l’encellulement individuel. Son rapport, remis le 2 décembre 2014, réaffirme l’objectif de l’encellulement individuel à 80%, certaines personnes pouvant préférer ne pas être seules. Ceci étant, il propose l’adoption d’un nouveau moratoire en raison de la situation arcérale française caractérisée par la surpopulation et l’inadaptation de l’architecture carcérales qui comprend des cellules collectives. Au 1er octobre 2014, on dénombrait 66 494 personnes incarcérées, pour 58 054 places opérationnelles dont 40 857 cellules individuelles. En France, l’application du principe de l’encellulement individuel a été repoussé à trois reprises ces quinze dernières années : en 2000, 2003 et 2009.

Cette situation française n’est pas un cas isolé en Europe puisque l’Italie, par exemple, se trouve dans une situation comparable. L’Allemagne et les Pays-Bas, en revanche, font figure de bons élèves en la matière avec un taux d’incarcération relativement bas. Une telle situation, souligne le rapport Raimbourg, est dû au fait que ces deux pays incarcèrent pour de plus courtes durées. La France et l’Italie ont des flux d’incarcération identiques mais pour des peines plus longues. Au sujet des Pays-Bas, Philippe Mary nuance cet état des lieux dans son article « Prisons : un modèle carcéral hollandais ? ». Son argumentaire consiste à dire qu’à partir de 1985, les Pays-Bas ont connu l’inflation carcérale la plus forte d’Europe. Pour y remédier, les autorités ont entrepris la construction de nouveaux établissements et abandonné le principe de l’encellulement individuel.

Pour ce faire, un réaménagement des cellules a été opéré pour permettre l’accueil d’au moins deux personnes, à savoir que les cellules individuelles ont été équipées d’une chaise, d’un lit et d’au moins une armoire supplémentaires. Par conséquent, les Pays-Bas se sont dotés d’une capacité carcérale importante avec 23.209 places pour 18.746 détenus, soit 20% de places inoccupées ; capacité carcérale dont a pu profiter – et profite encore – la Belgique. En effet, la situation est complexe dans les prisons belges du fait de la surpopulation carcérale. Le gouvernement belge a donc signé en 2009 un traité international avec les Pays-Bas, lui permettant le transfert d’une partie de ses détenus à la prison de Tilburg.

L’encellulement individuel a donc bien du mal à passer du stade de principe à celui de la mise en pratique concrète dans les prisons européennes. Pour ce faire, une modification des pratiques pénales et le développement de mesures alternatives à l’incarcération est la solution prônée par le député français Jean-Jacques Urvoas dans son rapport d’information de 2014, s’opposant ainsi à celle de la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. En cela, il rejoint Philippe Mary qui explique dans l’article suscité que « l’augmentation de la capacité carcérale crée un effet d’aspiration qui conduit à ce que les nouvelles places soient rapidement occupées, nécessitant une nouvelle augmentation de capacité et ainsi de suite. »

L’encellulement individuel est un sujet sensible pour les États et son report suscite de vives critiques de la part des observateurs, chercheurs et ONG. Pour l’heure, ce sont des questions essentiellement prises en charge par le Conseil de l’Europe, au prisme de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’Union européenne est peu intervenue dans ce domaine puisque les conditions de détention et la gestion des prisons relèvent de la responsabilité des États membres. On notera tout de même la publication du livre vert de la Commission sur l’application de la législation de l’Union en matière de justice pénale dans le domaine de la détention, en juin 2011. Dès l’objet du document est indiqué que « la Commission s’intéresse à cette question en raison de l’importance capitale que revêt le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice. »

Ce livre vert a été publié alors même que cela faisait plusieurs années que le Parlement européen appelait la Commission à prendre des mesures dans le domaine de la détention. D’autres initiatives européennes ne sont donc pas à exclure. Mais constatant que depuis 2011 et la résolution du Parlement européen, il ne s’est absolument rien passé, peut-être pourrions nous lui suggérer de faire un rapport d’initiative susceptible de relancer le débat et de provoquer éventuellement les initiatives institutionnelles appropriées.

 

Charline Quillérou

 

Pour en savoir plus

Rapport Raimbourg sur l’encellulement individuel, « Faire de la prison un outil de justice », Novembre 2014

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000726/0000.pdf

Règles pénitentiaires européennes du Conseil de l’Europe, 2006

https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=955547

Cour européenne des droits de l’homme, Arrêt Canali c. France, 2013

http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=001-118735#{%22itemid%22:%5B %22001-118735%22%5D}

Livre vert de la Commission européenne sur l’application de la législation de l’UE en matière de justice pénale dans le domaine de la détention , « Renforcer la confiance mutuelle dans l’espace judiciaire européen », 14 juin 2011

http://ec.europa.eu/justice/policies/criminal/procedural/docs/com_2011_327_fr.pdf

« Les prisons à l’ordre du jour du Parlement européen : un « état alarmant ». Une résolution qui fera date ! », 17 décembre 2011

http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2329&nea=116&lang=fra&lst=0

Philippe Mary, « Prisons : un modèle carcéral hollandais ? »

http://www.revue-democratie.be/index.php/societe/egalite-discrimination/299-prisons-un-modelecarceral-hollandais

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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