Déserteurs, objecteurs de conscience : du nouveau pour vous ?La Cour de justice européenne

Un membre du personnel d’un pays tiers qui déserte de l’armée peut demander l’asile dans l’UE, à la condition qu’il « soit hautement probable » que durant son service il soit amené à participer même indirectement, à des crimes de guerre. En ce sens il devra prouver qu’il n’ pas été en mesure d’obtenir le statut d’objecteur de conscience ou, dans le cas où il n’aurait pas pu démontrer le risque qu’il participe à des crimes de guerre, que son refus d’effectuer le service militaire aurait provoqué des actes de persécution qui vont au-delà de la peine de prison ou d’un renvoi de l’armée. C’est ce qu’a établi la Cour de justice dans un arr^t du 26 février dernier. Dans son arrêt la cour n’a pas absolument suivi l’avocat général.

 L’affaire concerne André Shepherd, un citoyen américain qui s’est engagé dans l’armée des Etats-Unis en 2003 et a été envoyé en opérations en Irak en tan tant que technicien de maintenance pour les hélicoptères Apache en 2004. En 2007 se trouvant dans une base américaine en Allemagne, il a déserté et introduit une demande d’asile dans ce pays en invoquant la directive de l’UE sur le statut de réfugié (204/83/CE) qui prévoit que ce statut peut être accordé à toute personne qui risque de subir un acte de persécution, notamment du fait de poursuites u sanctions pour refus d’effectuer le service militaire dans le cas d’un conflit où des crimes pourraient être commis. Le tribunal administratif de Munich a demandé à la Cour de préciser les conditions dans les quelles un déserteur provenant d’un Etat tiers peut se voir accorder l’asile dans l’UE.

Dans son arrêt la Cour n’a pas entièrement suivi l’avocat général Eleanor Sharpston. En effet les juges ont considéré que si le demandeur s’est abstenu de recourir à un moyen légal pour échapper au service militaire (en engageant par exemple une procédure pour obtenir la statut d’objecteur de conscience) toute protection au sens de la directive est exclue. Dans la présente affaire si M. Shepherd n’a effectivement pas engagé une telle procédure auprès de l’armée américaine , il reste encore à déterminer s’il pouvait le faire du fait qu’il a décidé de déserter juste après s’être réengagé .Ce point devra être éclairci par la juridiction allemande au regard du droit américain.

 La Cour a précisé un certain nombre d’autres conditions de l’asile. Ainsi, le fait que M. Shepherd ne faisait pas partie d’une unité de combat n’a aucune importance car la protection dont peut éventuellement bénéficier un déserteur d’un Etat tiers qui invoque le risque de commettre un crime de guerre au cours de son service peut tout aussi bien s’appliquer à un membre d’une unité non combattante, comme le personnel de logistique ou d’appui ; En conséquence il suffit que l’intéressé risque de participer même indirectement à des éventuels crimes en apportant, dans le cadre de ses fonctions, un appui indispensable à l’armée.

 Mais comment établir si des crimes de guerre ont été commis ou si un risque plausible existe que cela arrive ,Selon la Cour un déserteur n’a pas forcément besoin de prouver que de tels crimes ont déjà été commis ; il lui suffit d’établir qu’ « il est hautement probable » que cela arrive, il revient en tout état de cause aux autorités nationales, sous le contrôle du juge d’apprécier les faits sur la base d’un faisceau d’indices quant à la plausibilité des crimes allégués, en prenant en compte le contexte du pays d’origine de l’intéressé et sa situation personnelle.

 Contrairement à ce qu’avait préconisé l’avocat général, la Cour a considéré que l’appréciation d’une intervention militaire au regard de sa légitimité (mandat des Nations Unies ou consensus de la communauté internationale) doit être pris en considération par les autorités nationales lorsqu’elles traitent ce genre d’affaire Le fit que l’Etat ou les Etats menant des opérations militaires répriment les crimes de guerre est tout aussi pertinent.

 Le Tribunal de Munich a en même temps demandé si les sanctions prévues par la loi américaine pour un déserteur, sont discriminatoires ou disproportionnées. Il s’agit de savoir si, dans le cas ou M Shepherd serait dans l’impossibilité de déterminer que son armée a pu commettre ou pouvait être amené à commettre des crimes de guerre, l’intéressé risquait de subir un acte de persécution aux Etats-Unis, si le statut de réfugié dans l’UE ne lui était pas accordé. La Cour répond par la négative à cette question car les deux mesures que prévoit le droit américain, à savoir une condamnation à une peine de prison variant de 100 jours à cinq ans et le renvoi de l’armée américaine (la désertion est un crime majeur) ne peuvent être considérées comme des mesures discriminatoires ou disproportionnées, selon les juges américain.

 

 Pour en savoir Plus :

 

     -. Texte de l’arrêt (FR) http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=62013CJ0472&lang1=en&type=TXT&ancre=

(EN) http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=62013CJ0472&lang1=en&type=TXT&ancre=

      -. Conclusions de l’avocat général (FR)

http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=62013CC0472&lang1=en&type=TXT&ancre=

(EN) http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=62013CC0472&lang1=en&type=TXT&ancre=

      -. Communiqué de presse (FR) http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=62013CC0472&lang1=en&type=TXT&ancre=

(EN) http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-02/cp150020en.pdf

      -. Directive 2004/83/CE sur le statut de réfugié(FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32004L0083:fr:HTML

(EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32004L0083:en:HTML

      -. Synthèse de la législation (FR) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33176_fr.htm

(EN) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33176_en.htm

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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