Le Danemark reconsidère sa clause d’exemption en vue d’une plus grande coopération avec l’Union européenne quand le Royaume-Uni envisage de faire cavalier seul. Deux pays, deux ambitions pour une seule Union.

             Dès l’automne 2014, le Danemark, par la voix de son Premier Ministre Helle Thorning-Schmidt, s’interrogeait sur sa clause d’exemption en matière de Justice et Affaires intérieures. Les attentats de Paris et Copenhague en ce début d’année 2015 ont vraisemblablement accéléré le processus. Le 17 mars dernier, le gouvernement danois a indiqué vouloir soumettre la participation du pays à vingt-deux politiques européennes à référendum d’ici avril 2016.

Un peu plus à l’Ouest, le Royaume-Uni bénéficie également d’opt-out pour la Justice et les Affaires intérieures depuis le traité de Maastricht. En revanche, le gouvernement britannique pratique de longue date une Europe « à la carte » et une opposition systématique dans un contexte de montée de l’euroscepticisme ambiant. Cette attitude a été dénoncée par le rapport de la Chambre des Lords publié le 24 mars.

            Que sont les clauses d’exemption, clauses de retrait ou opt-out ? Ces clauses confèrent au pays qui en bénéficie une dérogation lui permettant de ne pas participer à certaines politiques communes, afin d’éviter un blocage général d’un texte faisant l’objet d’un désaccord. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a établi la possibilité d’opt-in au cas par cas, c’est-à-dire la possibilité de participer à certaines politiques en matière de Justice et Affaires intérieures. C’est bien ce que le Danemark entend faire aujourd’hui, contrairement au Royaume-Uni.

Aux origines des opt-out du Danemark se trouve le rejet du traité de Maastricht le 2 juin 1992. L’entrée en vigueur du traité nécessitant la ratification par les douze États membre d’alors, le « non » danois a conduit à la recherche d’un compromis. A l’occasion du Conseil européen d’Édimbourg, les États membres sont parvenus à un accord signé en décembre 1992 et ont « réaffirmé qu’il importait de mener à bien ce processus le plus rapidement possible, sans rouvrir le débat sur le texte ». Par cet accord, le Danemark a obtenu des clauses d’exemption dans quatre domaines : la politique de Défense, la troisième phase de l’Union économique et monétaire qui devait conduire à l’adoption de la monnaie unique, la Citoyenneté et enfin, la Justice et les Affaires intérieures. Suite à cela, le traité de Maastricht a été adopté par référendum le 18 mai 1993 par les Danois. Pour un état des lieux des opt-out du Danemark, voir l’article du 18 octobre 2014 de Clément François.

Pour l’heure, intéressons nous à l’opt-out Justice et Affaires intérieures. Le contexte européen actuel est celui d’un accroissement de la coopération policière, de la lutte contre la criminalité tandis que la lutte contre le terrorisme revêt une importance particulière. Les législations européennes en matière de coopération policière et pénale sont entrées en vigueur après le traité de Lisbonne. Le Danemark qui n’est donc pas lié par ces législations ne veut pas se retrouver isolé dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Fin 2014, Madame Thorning-Schmidt s’était inquiétée de la participation de son pays à Europol, agence européenne chargée de la coopération des services répressifs des États membres dans la lutte contre la criminalité. Membre depuis presque dix-sept ans de l’agence dont les missions sont jugées essentielles après les attentats de Paris et Copenhague, le Danemark risquerait de devoir s’en retirer s’il ne revient pas sur sa clause d’exemption. C’est la raison qui a poussé le gouvernement danois et l’opposition à se mettre d’accord sur l’organisation d’un référendum, quelque soit le résultat des élections générales qui devraient se tenir avant le 15 septembre 2015. H. Thorning-Schmidt a indiqué en conférence de presse : « Si je devais donner un nom à cet accord, je dirais que ces mesures légales rendront la vie des criminels plus difficile en Europe, et la vie des Danois plus simple ». Le référendum portera sur vingt-deux actes européens auxquels le Danemark souhaite adhérer. Parmi ces actes on notera la volonté d’adhérer à la directive sur l’assistance juridique transfrontalière, la directive sur la cybercriminalité, la directive contre l’abus et l’exploitation sexuelles des enfants et la directive sur la traite des êtres humains. A l’origine, cinquante actes ont été soumis aux parlementaires danois qui en ont retenu vingt-deux le 17 mars dernier. Une approche à la carte sera probablement envisagée dans la mesure où la majorité des partis revendiquent la « liberté de choisir » du Danemark. Ce referendum avait déjà été promis par H. Thorning-Schmidt lors des dernières élections puis repoussé à la fin de son mandat avant finalement d’avoir lieu au cours d’un hypothétique second mandat. Historiquement peu enclin à une intégration européenne poussée, le Danemark entend maintenant se rapprocher de l’Union européenne. « Nous devons être sûrs de coopérer de manière étroite et d’échanger des informations entre services secrets des pays européens et non-européens. Dans l’UE, nous devons repérer les terroristes de manière plus efficace et arrêter ceux qui entrent et sortent de l’UE. Je fais référence ici aux nouvelles règles sur l’échange des informations sur les passagers aériens » a expliqué le Premier Ministre.

Outre Manche, c’est un tout autre son de cloche. Le Royaume-Uni bénéficie également d’opt-out en matière de Justice et Affaires intérieures depuis le traité de Maastricht. A la différence du Danemark, le gouvernement britannique avait négocié ces clauses avant la tenue du référendum national sur le traité. Alors que le 30 mars 2015 marque le lancement de la campagne électorale pour les élections législatives de mai, les partis politiques britanniques s’agitent autour de la question d’une éventuelle sortie de l’Union européenne ou « Brexit ». Le Premier Ministre David Cameron, dans son discours du 24 janvier 2013, a promis l’organisation d’un référendum sur cette question d’ici fin 2017 s’il est réélu en mai prochain. Si le parti travailliste a émis des réserves quant à une sortie de l’Union européenne, le parti indépendantiste UKIP milite activement pour le « Brexit » et certains députés s’en font le porte voix jusque dans l’hémicycle du Parlement européen. Il semble que la crise économique et financière qui a touché l’Europe et la zone euro à partir de 2008 ait favorisé la montée en puissance des eurosceptiques.

Ceci étant, la démarche des autorités britanniques se caractérise, et cela de longue date, par une volonté de préserver la souveraineté nationale, un droit de veto dans les domaines d’intérêt national, des prérogatives en matière de politique étrangère et de défense, et de favoriser la libéralisation du marché intérieur tout en luttant contre une harmonisation fiscale. Dans son rapport « The UK’s opt-in protocol : implications of the Government’s approach » publié le 24 mars, la Chambre des Lords dénonce cet isolement britannique et exhorte le gouvernement à abandonner sa stratégie agressive. Ce rapport fait suite à un conflit au sujet de l’interprétation du Protocole 21 du Traité de Lisbonne qui octroie au Royaume-Uni une clause d’exemption en matière de Justice et Affaires intérieures (domaine abordé au Titre V du Traité sur le fonctionnement de l’UE). L’article 2 est formulé ainsi : « En vertu de l’article 1er et sous réserve des articles 3, 4 et 6, aucune des dispositions de la troisième partie, titre V, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aucune mesure adoptée en application de ce titre, aucune disposition de tout accord international conclu par l’Union en application de ce titre et aucune décision de la Cour de justice de l’Union européenne interprétant ces dispositions ou mesures, ne lie le Royaume-Uni ou l’Irlande ou n’est applicable à leur égard. »

Le gouvernement considère que c’est le contenu d’une politique qui détermine si oui ou non elle relève du domaine Justice et Affaires intérieures, et non pas la base juridique sur laquelle elle repose. Selon cette interprétation, l’opt-out concernerait toutes les politiques de ce domaine, quelque soit leur base juridique. Le rapport de la Chambre des Lords conteste cette interprétation et enjoint le gouvernement d’abandonner son interprétation « légalement intenable » des politiques relevant de la Justice et des Affaires intérieures de l’Union européenne. En guise de réponse, le porte-parole du Ministère de l’Intérieur a indiqué que le Royaume-Uni défendrait son droit d’opt-in ou out aux politiques relevant de la Justice et des Affaires intérieures. « C’est un droit important qui assure que nous participons seulement aux législations du domaine de la Justice et des Affaires intérieures qui sont dans notre intérêt national » a-t-il déclaré avant d’ajouter que le rapport serait étudié et qu’une réponse serait apportée en temps voulu.

D’ici deux ans, deux référendums seront à suivre. L’un, danois, visant à se rapprocher de l’Union européenne tandis que l’autre, britannique, jugera de la légitimité d’une sortie de l’Union européenne. « Unie dans la diversité », telle est la devise de l’Union européenne. Si, pour l’heure, l’unité est toujours de mise, la diversité n’est plus à prouver.

Charline Quillérou

Pour en savoir plus

EU-LOGOS, « Le Danemark va-t-il renoncer à ses opt-outs et rejoindre la classe des bons élèves de l’Union européenne ? Un bon exemple qui risque de rester isolé. », 18 octobre 2014. http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3300&nea=151&lang=fra&lst=0

« Le Danemark et le traité sur l’Union européenne » Journal officiel n° C 348 du 31/12/1992

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:41992X1231:FR:HTML (FR)

« Denmark and the Treaty on European Union » Official Journal C 348 , 31/12/1992

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:41992X1231:EN:HTML (EN)

Euractiv, « Le Danemark s’interroge sur son exemption en matière de justice après les attentats en France », 14 janvier 2015 http://www.euractiv.fr/sections/justice-affaires-interieures/le-danemark-sinterroge-sur-son-exemption-en-matiere-de-justice

Euractiv, « Copenhague reconsidère son exemption sur la justice et les affaires intérieures », 18 mars 2015 http://www.euractiv.fr/sections/priorites-ue-2020/copenhague-reconsidere-ses-opt-out-sur-la-justice-et-les-affaires

House of Lords, Full report « The UK’s opt-in protocol : implications of the Government’s approach » http://www.publications.parliament.uk/pa/ld201415/ldselect/ldeucom/136/136.pdf (EN)

Traité sur l’Union européenne

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12012M/TXT (FR)

Treaty on European Union

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:12012M/TXT (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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