Editorial du N° 155 de Nea say . Le printemps avorté des populistes européens ?

C’est le titre provocateur ou mobilisateur de l’excellent journal Suisse « le Temps ».En France, le parti de Marine Le Pen est sorti deuxième, loin derrière l’UMP, du scrutin départemental qui devait cimenter son statut de premier parti de l’Hexagone. Echec ! Aux élections départementales, pas un seul département gagné par le Front National et les électeurs semblent avoir retrouvé le chemin des urnes. Le Front National a raté son deuxième tour, ses objectifs proclamés avec outrance n’ont pas été atteints. France, Pays-Bas, Espagne: un peu partout, les partis populistes stagnent ou progressent moins qu’attendu. Les électeurs commencent à réaliser que les réformes marchent mieux que leurs recettes chimériques, extravagantes On les disait conquérants, voire irrésistibles. Mais en ce printemps qui devait les porter vers les sommets les partis populistes européens subissent une forme de coup d’arrêt. Au mieux leurs forces viennent d’atteindre leur étage : comme cela a été écrit, ils ont atteint leur « plafond de verre ».

C’est vrai en France, où le Front national sort deuxième, loin derrière l’UMP, du scrutin départemental qui devait cimenter son statut de premier parti de l’Hexagone. Mais aussi en Espagne où Podemos, le parti de la gauche radicale, a obtenu moins de 15% lors des élections en Andalousie. Ou encore aux Pays-Bas, où le parti de l’islamophobe Geert Wilders a perdu des plumes dans un scrutin régional peu remarqué. Encore faudrait-il distinguer comme a tenté de le faire Jean-Claude Juncker entre extrême droite et populistes, ces derniers recevant de la part de Jean-Claude Juncker une plus grande bienveillance. Notons au passage que la gauche de la gauche peut se révéler populiste mais elle n’est pas nécessairement anti-européenne :Podemos, Syriza ne veulent pas quitter l’Euro ou l’UE malgré des critiques sévères. Ce n’est pas la position de UKIP ou du Front national français. Marine Le Pen veut tout quitter (UE, Schengen ,Otan, etc… Tout quitter ! pour le remplacer par une alliance étroite et privilégiée avec la Russie !

Mais le FN ne s’est pas rendu compte qu’il est dans une impasse politique stratégique, enfermé qu’il est dans une stratégie de destruction ou de domination des partis concurrents. Comme l’a finement analysé le politologue Gérard Grunberg dans Telos. Il est dans l’incapacité de transformer ses voix en sièges. Il n’est pas un parti d’alternance : dans un système majoritaire vouloir obtenir seul une majorité absolue de sièges aux élections présidentielles ou législatives est un objectif déraisonnable. Faire miroiter à ses électeurs une telle perspective constitue une imposture. Il est « encalminé dans le statut de puissance solitaire qui n’a que de faibles pouvoirs d’attraction sur les autres électorats afin de dégager une coalition majoritaire. De plus le FN n’a pas encore convaincu l’opinion qu’il peut prétendre au statut d’un parti de gestion » fait remarquer un autre politologue, Pascal Perrineau. Cette impasse politique se vérifie mutatis mutandis au niveau européen et singulièrement lorsqu’on observe le comportement de ces forces au niveau européen, singulièrement au Parlement européen (une bonne centaine de députés). Ces forces n’on rien fait, ni rien obtenu, comme le FN il n’y a pas d’autres alternatives que l’absentéisme ou bien n’y rien faire, hormis quelques éclats verbaux sans lendemain.

Il est bien sûr trop tôt pour crier victoire. Les revers des populistes de gauche comme de droite sont très relatifs – après tout, ils réalisent des scores encore inespérés il y a quatre ou cinq ans. Et leur marche en avant pourrait reprendre en mai, lors des élections législatives britanniques ou à l’occasion d’autres élections, qui pourraient faire des souverainistes de UKIP les «faiseurs de rois» du futur gouvernement. Mais eux aussi semblent sur le reculoir dans l’opinion publique, même si les eurosceptiques gardent la faveur de l’opinion mais pas au point d’en faire les favoris indiscutables des élections qui seront serrées comme elles ne l’ont jamais été. Les partisans de la sortie de l’UE (« BREXIT ») se redressent dans les sondages, mais c’est là un tout autre problème bien analysé par Alain Dauvergne dans notre Europe. Deux dossiers différents mais qui ont entre eux une porosité non négligeable.

Il n’empêche, on sent en Europe comme un léger souffle d’optimisme. Pas seulement parce que les populistes progressent moins qu’attendu. Mais aussi parce que des pays commencent à rebondir après les années de crise. C’est le cas de l’Irlande, du Portugal, des pays Baltes et même de l’Espagne.

Le clivage continental a rarement été aussi net entre ceux qui avancent, en avalant la potion amère des réformes et de la rigueur, et ceux qui, comme la Grèce, renâclent en cherchant une «autre politique» qui reste pour l’instant chimérique, irréalisable. Les difficultés de la négociation avec les grecs le démontrent.

Aujourd’hui, les faits donnent raison aux premiers: le salut de l’Europe viendra de politiques qui maîtrisent la dette et redynamisent des Etats providence sclérosés, et pas par du protectionnisme et de l’immobilisme présentés par les populistes comme une alternative. Les électeurs le comprennent, y compris en France, où la défaite moins ample qu’attendu de la gauche vient de l’énergie déployée, certes trop tard, par les ministres sociaux-libéraux Valls et Macron. Les scores massifs des partis populistes interpellent cependant. Ils montrent qu’une sérieuse remise en question du système européen est nécessaire après le terrible trou d’air économique des dernières années. A cet égard les leçons des dernières élections régionales en Espagne, en Andalousie, sont instructives. La crise y a exacerbé les tensions en mettant à jour les comportements délictueux de la classe politique (comme dans beaucoup de pays et l’UKIP ou le Front national français , par exemple, n’y ont pas échappé)ainsi que de beaucoup « d’élites » financières et économiques intimement liées au système politique tandis que politiquement après la montée en puissance de l’indépendantisme catalan ( mais qui semble reculer) a mis en scène une volonté de rupture unilatérale, sera révélatrice de l’année électorale 2015. Allons-nous à l’issue d’un véritable marathon électoral assister à une recomposition complète ou partielle des équilibres politiques en Espagne et ailleurs pour peu qu’il y ait des rendez-vous électoraux importants. Le pays est manifestement en transition : la rapidité avec laquelle les forces politiques se réorganisent est très grande. Le cas espagnol fera-t-il école ? Parti Populaire conservateur (PP) et parti socialiste (PSOE) sont en perte de vitesse face à l’extrême gauche de Podemos issu du mouvement des Indignés, et le parti catalan Cuidadanos qui n’est pas très loin. L’Espagne est entrée dans un nouveau cycle électoral, fini le bipartisme et les majorités absolues aux alternances paisibles, stables avec la percée des nouveaux venus qui bouleversent le jeu politique espagnol traditionnel. En France, si elle se confirmait, la déroute des socialistes français pourrait provoquer un phénomène voisin même si l’austérité n’a pas étranglé les français comme elle l’a fait avec les espagnols.

Les élections finlandaises qui auront lieu le mois prochains devraient également faire réfléchir : les grands partis politiques restent attachés à l’orthodoxie monétaire. A tort ? si oui, il faudra le démontrer et si les Etats qui ont une telle perception de la situation restent minoritaire (4 ou 5,6 …), ils conservent toute leur capacité liée au fait d’appartenir à une minorité de blocage, la Finlande restera selon toute vraisemblance fidèle à son camp de l’austérité et de l’équilibre budgétaire : elle garde le souvenir d’une crise bien plus grave en 1993. Les menaces sont réelles, mais les finlandais se garderont d’emprunter le chemin de la Grèce comme celui suivi par la Japon. Du moins ils l’espèrent.

Le rapport de forces au sein du Conseil est important et dissuasif, Syriza en fait l’amère expérience. Mais alors qui protège les peuples ? Pas les outrances et les imprécations, mais les traités, ceux des droits fondamentaux que certaines forces populistes et extrémismes de droite essentiellement, mais aussi eurosceptiques en tout genre, antieuropéens de tout acabit, veulent précisément jeter à bas ! Un exemple : le Parlement grec a lancé un défi en adoptant des mesures d’inclusion sociale, il n’y a pas si longtemps « vedette » des Objectifs 2020. Cette loi grecque dite « Loi de crise humanitaire » a pour objet, par exemple, de garantir un niveau minimal d’électricité, d’établir des aides aux retraités et aux sans abri etc. Le gouvernement grec, apprend-t-on, avait, peu avant, été averti par la Direction générale des Affaires économiques et financières de la Commission qu’une telle loi constituerait une violation du fameux compromis de l’Eurogroupe de février dernier. Il est clair que la situation oblige Syrisa à brimer toutes ses ambitions sociales, mais on doit s’interroger pour savoir si une frontière d’ordre éthique ne vient pas d’être franchie. Etre sans abri est une manifestation extrême d’exclusion sociale qui à elle seule viole plusieurs droits fondamentaux, c’est une négation de l’universelle dignité humaine dont le respect figure à l’article 1 de la Charte européenne des droits fondamentaux. L’article 34 de la Charte reconnaît le droit fondamental à une aide au logement et d’autres droits comme le droit à la vie privée et familiale, le droit à l’intimité qui en découlent ; des droits civils sont eux aussi conditionnés par la possibilité d’un habitat décent. Le respect des droits fondamentaux n’est pas négociable.

Empruntons la conclusion au journal le Temps : « Si l’aiguillon populiste accélère les efforts en ce sens, il aura joué un rôle utile. Sinon, il risque de ne rester qu’une voix qui vocifère pendant que passe la caravane des réformes ». Peu à peu s’instaure une vision plus équilibrée, le fruit de l’expérience. C’est un pure phantasme de croire, espérer ou redouter que les mouvements populistes viennent détruire les équilibres politique fondamentaux. Ils peuvent compliquer le jeu politique à l’occasion des alternances politiques ou la constitution de majorité gouvernementale, accélérer la recomposition des forces et des équilibres politiques, modifier les comportements dans l’action politique mais pas au point de faire « la révolution » tant rêvée et tant redoutée.

 

Pour en savoir plus :

 

-. Poll :Support for UKIP lowest over a year http://www.euractiv.com/sections/uk-europe/poll-support-ukip-lowest-over-year-313249

-. Le nombre de partisans du Brexit culmine au Royaume Uni Jump to navigation http://www.euractiv.fr/sections/royaume-uni-en-europe/le-nombre-de-partisans-du-brexit-culmine-au-royaume-uni-313359?utm_source=EurActiv+Newsletter&utm_campaign=cb522e6f41-newsletter_derni%C3%A8res_infos&utm_medium=email&utm_term=0_da6c5d4235-cb522e6f41-55410113

-. Malgré la crise, la Finlande devrait persister dans l’austérité après les élections http://www.euractiv.fr/sections/euro-finances/malgre-la-crise-la-finlande-devrait-persister-dans-lausterite-apres-les?utm_source=EurActiv+Newsletter&utm_campaign=cb522e6f41-newsletter_derni%C3%A8res_infos&utm_medium=email&utm_term=0_da6c5d4235-cb522e6f41-55410113

-. Impact of the crisis on fundamental rights across the member states of the EU http://statewatch.org/news/2015/mar/ep-study-cris-fr.pdf

 -. Alain Dauvergne Cameron: coup de poker sur l’Europe http://www.institutdelors.eu/011-21145-Cameron-coup-de-poker-sur-l-Europe.html

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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