Rapport 2014 sur la formation judiciaire européenne : des efforts à poursuivre pour renforcer l’efficacité du droit de l’Union européenne

Le droit de l’Union européenne n’a de sens que s’il est appliqué dans les Etats membres par les praticiens du droit. A cet égard, la formation de ces professionnels revêt une importance particulière en ce qu’elle permet d’accroître l’efficacité juridique c’est-à-dire d’améliorer la mise en œuvre des actes et mécanismes européens, mais aussi, et surtout, de renforcer la confiance des États membres de l’Union dans leurs systèmes judiciaires respectifs. Si la priorité est donnée aux juges et procureurs, « tous les professionnels de la justice doivent développer des compétences pour mettre en œuvre le cadre législatif européen » peut-on lire sur le portail e-Justice de la Commission européenne.

            Le Traité de Lisbonne offre à l’Union européenne une base juridique pour une action concertée en matière de formation judiciaire européenne, qu’elle soit civile ou pénale. [Articles 81.2 et 82.1 TFUE]

Article 81

  1. L’Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure l’adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres.
  2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent, notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, des mesures visant à assurer […] h) un soutien à la formation des magistrats et des personnels de justice.

 

Article 82

  1. La coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres dans les domaines visés au paragraphe 2 et à l’article 83.

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures visant: […] c) à soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice;

 

            Compte tenu de ces nouvelles compétences, la Commission européenne a publié en septembre 2011 une communication intitulée « Susciter la confiance dans une justice européenne – donner une dimension nouvelle à la formation judiciaire européenne ». L’objectif inscrit par la Commission dans cette communication est « de permettre à la moitié des praticiens du droit de l’Union européenne de prendre part à des activités de formation judiciaire européenne d’ici 2020 ». La moitié des juges, procureurs, personnels des tribunaux, huissiers, avocats et notaires – représentant 700 000 personnes – devraient donc avoir suivi une formation en droit européen ou en droit d’un autre État membre que celui dans lequel ils exercent d’ici 2020. De manière à suivre les progrès réalisés en vue d’atteindre cet objectif, la Commission publie des rapports annuels sur la formation judiciaire européenne. Le rapport 2014 a ainsi été présenté en commission LIBE (Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures) du Parlement européen le 14 avril dernier. Ce document se base sur les résultats d’un questionnaire relatif à l’année 2013 et adressé en 2014 aux autorités des États membres, aux réseaux européens des professions judiciaires, ainsi qu’aux principaux organismes européens de formation.

            Depuis 2011, la Commission finance la formation de 20 000 personnes chaque année. L’importance de la formation de ces professionnels a été réaffirmée par le Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 qui, dans ses conclusions, a indiqué que « le bon fonctionnement d’un véritable espace européen de justice, respectant la diversité des systèmes et traditions juridiques des États membres, est de la plus haute importance pour l’Union européenne. A cet égard, il faut renforcer encore la confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs. […] De nouvelles mesures sont nécessaires pour […] renforcer la formation des praticiens ». Dans cette logique et en guise de préambule au rapport 2014, la Commissaire pour la Justice, les consommateurs et l’égalité des genres, Věra Jourová, a souligné que la Commission ferait en sorte que les bonnes pratiques identifiées en matière de formation judiciaire européenne soient largement diffusées aux professions concernées. En effet, en 2013-2014, suite à une proposition du Parlement européen, la Commission a conduit un projet pilote sur la formation judiciaire européenne afin de recenser les meilleures pratiques en la matière. De même, le portail européen e-Justice qui comporte déjà un certain nombre de supports pour la formation des praticiens du droit sera étoffé pour permettre l’accès à des formations en ligne. La formation judiciaire fait donc l’objet d’un soutien politique accru de la part des institutions de l’Union européenne. Preuve s’il en est, pour la période 2014-2020, 50 millions d’euros y sont consacrés. Pour la première fois en 2014 des appels à subventions ont été réservés à cette question et 5 millions d’euros investis dans des projets novateurs de formation transfrontalière.

            Plusieurs tendances peuvent être extraites du rapport 2014. Tout d’abord, après trois années, l’objectif de 700 000 professionnels formés d’ici 2020 semble atteignable au regard des 210 000 personnes ayant déjà reçu une formation. Plus de 94 000 professionnels de la justice ont été formés en droit européen ou en droit d’un autre État membre en 2013. La formation de 22 000 d’entre-eux environ a été financée par l’Union européenne, ce qui correspond à 24% des formations pour 2013. L’un des plus gros financements a été alloué à la formation des notaires et a ainsi contribué au doublement du nombre de notaires ayant reçu une formation judiciaire européenne par rapport à l’année précédente. Ceci étant, le rapport 2014 fait état de disparités considérables dans le niveau de participation des États membres mais aussi en fonction des professions considérées. Il convient de souligner que la méthode de collecte des données a conduit à ce que pour certaines catégories professionnelles et certains États membres, des données soient manquantes. Certaines disparités mises en évidence dans le rapport sont donc dues à des données manquantes quand d’autres révèlent des besoins de formation criants.

En dépit de ces réserves, il ressort que 26% des juges dans les Etats membres ayant répondu ont reçu une formation judiciaire européenne continue contre 21% des notaires, 18% des procureurs, 6% des avocats, 4% des huissiers et 1% des personnels des tribunaux ; à ceci près que le nombre de participants aux formations ne correspond pas nécessairement au nombre de personnes formées dans la mesure où certains praticiens peuvent participer à plusieurs formations.

Un autre élément important du rapport concerne la durée des formations proposées. 75% des formations continues en droit européen durent deux jours ou moins. 55% se font même sur une journée seulement voire moins. Ceci s’explique probablement par les obligations professionnelles des praticiens qui les empêchent de suivre des formations plus longues. Dans sept Etats membres, ces activités de formation durent moins de six heures. Dans quatre Etats membres, un tiers de ces formations durent plus de deux jours. Même constat en ce qui concerne la formation initiale : la moitié des participants ne reçoivent pas plus de deux jours de formation. Considérant la durée totale de la formation de ces professionnels de la justice, la courte formation européenne dispensée ne reflète pas l’importance du droit européen dans les Etats membres de l’Union.

La formation judiciaire européenne couvre également un large éventail de sujets : droit civil matériel, droit procédural en matière civile, droit du commerce, droit pénal matériel, droit de la procédure pénale, droits fondamentaux, droit des institutions de l’Union européenne, droit des autres Etats membres et « autres domaines du droit ». 60% des Etats membres proposent une formation sur au moins huit d’entre eux.

Enfin, le rapport de la Commission indique qu’une formation de qualité est une formation qui rassemble un faible nombre de participants de manière à permettre des travaux de groupe et ainsi favoriser les interactions. Si la Commission estime qu’une moyenne de 30 participants est appropriée, les résultats montrent que cela est loin d’être le cas.

            Lors de la présentation du rapport devant les députés de la commission LIBE, le représentant de la Commission a rappelé que la formation européenne et transfrontalière contribuait à la création d’une culture judiciaire commune. Les professionnels découvrent ce qu’ils ont en commun et s’enrichissent de leurs différences. A ce sujet, certains eurodéputés se sont interrogés sur la manière de rendre cette formation judiciaire européenne plus efficace. Pour réponse, la Commission a mis en avant le fait que le budget de l’Union européenne était limité et que, de ce fait, des efforts de la part de l’Union comme des Etats membres étaient nécessaires pour atteindre toutes les professions. Dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme, il a été souligné au cours des discussions que la formation européenne concernait également les personnels pénitentiaires dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, et que la formation sur les droits fondamentaux demeurait un axe central pour lutter contre le terrorisme.

            En conclusion du rapport, la volonté de la Commission de présenter un état des lieux annuel de la formation judiciaire européenne est réaffirmée. Il s’agira également de travailler à ce que les données collectées soient les plus complètes et cohérentes possibles. Du point de vue qualitatif, c’est du contenu des formations proposées dont il faudra se préoccuper de manière à ce que les praticiens européens disposent effectivement des connaissances requises pour une mise en œuvre efficace du droit de l’Union européenne. Une recommandation visant à promouvoir la formation judiciaire européenne doit être élaborée par la Commission dans les prochains mois.

Charline Quillérou

 

Pour en savoir plus

 

-. Rapport 2014 sur la formation judiciaire européenne

file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/2014_report_EU_en.pdf (EN)

 

-. Communication de la Commission européenne

http://ec.europa.eu/justice/criminal/files/2011-551-judicial-training_fr.pdf (FR)

http://ec.europa.eu/justice/criminal/files/2011-551-judicial-training_en.pdf (EN)

-. La politique européenne de formation judiciaire, e-portail de la Commission européenne

https://e-justice.europa.eu/content_the_european_judicial_training_policy-121-fr.do?clang=fr (FR)

https://e-justice.europa.eu/content_the_european_judicial_training_policy-121-en.do?init=true (EN)

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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