« Mieux légiférer » : citoyens européens et experts, nouvelles parties prenantes du processus législatif européen ?

Dans le cadre de son programme « Mieux légiférer », la Commission européenne a présenté le 19 mai dernier un paquet de mesures visant à améliorer la qualité du processus législatif de l’Union européenne (UE) ainsi qu’un nouveau programme REFIT de réduction des charges administratives, accompagnés d’un projet d’accord interinstitutionnel entre le Conseil, le Parlement et la Commission.

             Avant d’entrer dans les détails de ce jargon européen, revenons sur le programme « Mieux légiférer » lancé en 2002. Il s’agit pour la Commission de « simplifier et améliorer de manière générale l’environnement réglementaire ». Pour ce faire, la Commission a adopté le 19 mai dernier une communication intitulée « Améliorer la réglementation pour obtenir de meilleurs résultats – Un enjeu prioritaire pour l’UE ». L’objectif affiché est de renforcer « l’accessibilité et la transparence du processus décisionnel de l’UE », d’améliorer « la qualité de la nouvelle législation grâce à de meilleures analyses d’impact des projets d’actes législatifs et des modifications proposées » et promouvoir « un réexamen permanent et cohérent de la législation existante de l’UE ».

             Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Frans Timmermans, premier Vice-President de la Commission, a déclaré : « Il ne s’agit pas d’augmenter ou de réduire la quantité de règles de l’UE, ni de revoir à la baisse nos normes sociales et environnementales, de compromettre notre santé ou de mettre en péril nos droits fondamentaux. Il s’agit de veiller à réaliser de la manière la plus efficiente possible les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés. » Pour ce faire, « nous devons procéder à une analyse rigoureuse des incidences de la législation en cours d’élaboration, et notamment de toute modification substantielle apportée au cours du processus législatif, de sorte que les décisions politiques soient prises en connaissance de cause et sur la base d’éléments concrets ».

            Le premier objectif consiste ainsi à accroître la transparence et renforcer la consultation. Dans cette optique, un portail internet dédié à la participation du public, par le biais notamment de consultations, sera mis en place. Les parties intéressées par une proposition d’acte législatif se verront également offrir la possibilité de faire des commentaires tout au long du processus, et ce, jusqu’à l’adoption d’une proposition par la Commission. Une fois la proposition adoptée, « la Commission invitera les citoyens ou parties intéressées à fournir des informations en retour dans un délai de huit semaines : pour alimenter le débat législatif, la Commission rassemblera ces contributions et les transmettra au Parlement européen et au Conseil. » Le programme prévoit d’adopter la même approche pour la législation dérivée – c’est-à-dire les actes délégués ou d’exécution qui modifient ou complètent à la marge la législation européenne – en rendant les textes publics pendant quatre semaines. Pour rappel, conformément à la procédure législative ordinaire, la Commission adresse une proposition au Parlement européen et au Conseil qui adoptent ensuite leur position. En cas de désaccord, le Parlement, le Conseil et la Commission se réunissent dans le cadre de réunions de trilogue et négocient sur le texte. Pour le détail de la procédure, voir l’article 294 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE.

             Un autre objectif du paquet « Mieux légiférer » présenté par la Commission : le réexamen de la législation existante par le biais d’un nouveau programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT). Ce dernier, adopté en 2012, « analyse le corpus législatif de l’UE en vue d’en accroître l’efficacité et l’efficience ». En effet, la solution aux maux européens ne se trouve pas systématiquement dans une nouvelle législation. Pour le savoir, il convient de se pencher sur la législation existante pour déterminer si celle-ci est adaptée et, le cas échéant, la modifier. Le programme REFIT sera désormais plus ciblé et « examinera les principales sources d’inefficacité et de charges inutiles et s’attachera à quantifier autant que possible les coûts et les bénéfices des actions ». La Commission entend également le rendre plus participatif en créant une plateforme d’experts pour recueillir les propositions de terrain, dans le but de réduire la charge réglementaire et administrative, et présenter des idées concrètes. Cette plateforme réunira des experts issus d’entreprises, de la société civile, des partenaires sociaux, du Comité économique et social européen, du Comité des régions, et enfin, des Etats membres. L’initiative vise « à susciter un dialogue avec les parties intéressées et les États membres afin d’améliorer la législation de l’UE ».

             La communication de la Commission met également l’accent sur les analyses d’impact. Conformément à ce qui avait été annoncé en décembre 2014, le Comité interne d’analyse d’impact de la Commission sera remplacé par un Comité indépendant d’examen de la réglementation. Son rôle sera « élargi au contrôle de la qualité des analyses d’impact des nouvelles propositions ainsi qu’à la réalisation de bilans de qualité et d’évaluations de la législation existante ». Si la création de ce nouveau comité n’a surpris personne, la Commission a également proposé que des analyses d’impact soient effectuées tout au long du processus législatif et non pas uniquement lorsqu’elle élabore sa proposition. Pour ce faire, un groupe d’experts technique ad hoc et indépendant pourrait être mis en place sur demande du Parlement, du Conseil ou de la Commission afin « d’analyser si une proposition modifiée peut être mise en pratique, si elle crée des droits et des obligations compréhensibles pour les parties intéressées et si elle évite des coûts disproportionnés. »

             Cette proposition de constitution d’un groupe d’experts a été formulée dans le projet d’accord interinstitutionnel présenté par la Commission conjointement au programme « Mieux légiférer ». Un accord interinstitutionnel fixe les modalités de coopération des institutions signataires. Dans le cas présent, il s’agit de la Commission, du Conseil et du Parlement. Le projet prévoit : « un engagement commun en faveur du programme REFIT, des analyses d’impact effectuées tout au long du processus législatif, un suivi continu de l’efficacité de la réglementation de l’UE et des évaluations plus complètes, une coordination de la programmation annuelle et pluriannuelle, et notamment une consultation sur le programme de travail de la Commission, une plus grande transparence des négociations trilatérales et des efforts conjoints visant à réduire la surréglementation par les États membres, c’est-à-dire les exigences injustifiées qu’ils rajoutent par rapport à la législation de l’UE ». Ainsi, chaque institution peut charger un groupe d’experts de procéder à une analyse de la proposition de la Commission modifiée. Chaque institution désignera un membre du groupe d’experts. La proposition de la Commission doit maintenant être négociée avec le Conseil et le Parlement européen pour un accord conclu d’ici la fin de l’année.

             Les réactions à ces propositions ont été immédiates. Le groupe des Conservateurs et Réformistes européens au Parlement a indiqué que la Commission allait dans la bonne direction. Après les déclarations, les députés européens attendent des actes. Toujours à gauche, les Socialistes & Démocrates ont marqué leur scepticisme. « Alors qu’elle prétend vouloir répondre aux reproches de bureaucratie excessive qui lui sont faits, la Commission propose une procédure législative plus longue et plus lourde, dans laquelle les décisions politiques seraient placées sous la tutelle d’experts, dont la légitimité resterait à démontrer » peut-on lire dans un communiqué du 22 mai. « Nous devons cependant rester vigilants : une meilleure législation est avant tout une législation qui sert les intérêts des travailleurs, des consommateurs, et de l’environnement. » a déclaré Virginie Rozière (S&D, France). Le co-président du groupe des Verts, Philippe Lamberts (Verts, Belgique) a quant à lui dénoncé « une opération spectaculaire de détournement d’une bonne idée ». Le Parti Populaire européen, groupe rassemblant les forces du centre et de la droite au Parlement européen, s’est montré moins sévère, soulignant l’importance d’un programme renforcé au bénéfice des citoyens et des entreprises, et d’un équilibre entre les institutions. A cet égard, le groupe de la Gauche Unitaire européenne a vu dans la mise en place d’un panel d’experts chargé d’évaluer le travail législatif, une tentative de la Commission de renforcer son pouvoir.

             Du côté de la société civile, plus de 50 organisations se sont unies pour mettre en place un organe de surveillance du programme de la Commission, « Better regulation watchdog », de manière à protéger les « droits des citoyen(ne)s, des travailleurs/euses et des consommateurs/trices ». En dépit des déclarations de Frans Timmermans, ce réseau inauguré le 18 mai à Bruxelles « craint que l’initiative « mieux légiférer » affaiblisse ou défasse des lois essentielles et subordonne l’intérêt général aux intérêts privés. »

Charline Quillérou

 

Pour en savoir plus :

 

     -. Communication de la Commission – 19 mai 2015 – « Améliorer la réglementation pour obtenir de meilleurs résultats – Un enjeu prioritaire pour l’UE »  http://ec.europa.eu/smart-regulation/better_regulation/documents/com_2015_215_fr.pdf (FR) http://ec.europa.eu/smart- regulation/better_regulation/documents/com_2015_215_en.pdf (EN) 

     – . Communication de la Commission – 19 mai 2015 – Proposition d’accord interinstitutionnel relatif à l’amélioration de la réglementation   http://ec.europa.eu/smart-regulation/better_regulation/documents/com_2015_216_fr.pdf  (FR)  http://ec.europa.eu/smart-regulation/better_regulation/documents/com_2015_216_en.pdf  (EN)

     -. Réaction du groupe des Socialistes & Démocrates  http://www.socialistsanddemocrats.eu/fr/newsroom/%C2%AB-mieux-l%C3%A9gif%C3%A9rer-%C2%BB-ou-mieux-interf%C3%A9rer  (FR)

     -. Contexte – Mieux légiférer : réactions au projet de la Commission européenne  https://www.contexte.com/article/mieux-legiferer/mieux-legiferer-reactions-au-projet-de-la-commission-europeenne_28700.html   (FR)

      -.Better regulation watchdog  http://www.csee-etuce.org/fr/actualites/archive/971-civil-society-groups-form-better-regulation-watchdog-to-protect-citizen-worker-and-consumer-rights-3 (FR)   http://www.euractiv.com/sections/health-consumers/ngos-launch-watchdog-keep-eye-commissions-better-regulation-314644 (EN)

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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