Bataille institutionnelle entre l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et son comité de surveillance : les députés européens ont tranché en faveur du second.

Le 9 juin dernier, les députés européens réunis en séance plénière à Strasbourg ont discuté du rapport 2014 du comité de surveillance de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) ; rapport dans lequel le comité de surveillance dénonce certaines pratiques de l’OLAF. Ce débat a conduit à des échanges animés au sujet des relations entre l’OLAF et son comité de surveillance, ainsi que sur la capacité du second à contrôler les activités du premier. Dimitris Avramopoulos, Commissaire en charge de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté, a été sommé de s’expliquer sur cette question en l’absence de la Commissaire en charge, Kristalina Georgieva.

L’Office européen de lutte antifraude est une entité indépendante créée par la décision 1999/352/CE du 28 avril 1999 et intégrée à la Commission européenne. L’OLAF « exerce les compétences de la Commission en matière d’enquêtes administratives externes en vue de renforcer la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, ainsi qu’aux fins de la lutte antifraude concernant tout autre fait ou activité d’opérateurs en violation de dispositions communautaires ». De même, il est chargé d’effectuer des enquêtes administratives internes destinées, non seulement, « à lutter contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés » mais aussi « à rechercher les faits graves, liés à l’exercice d’activités professionnelles, pouvant constituer un manquement aux obligations des fonctionnaires et agents des Communautés […], des dirigeants des organismes ou des membres du personnel des institutions, organes et organismes ». Cette fonction d’enquête s’exerce en toute indépendance. Ainsi, l’OLAF a remplacé la task force « Coordination de la lutte antifraude » (UCLAF) créée en 1988, et a repris l’ensemble de ses attributions. L’Office s’est donc vu chargé d’apporter le concours de la Commission à la coopération avec les États membres, de préparer les initiatives législatives et réglementaires de la Commission en vue des objectifs de la lutte antifraude, ainsi que des activités opérationnelles de la Commission en la matière. A l’origine, le directeur de l’OLAF était désigné par la Commission, après concertation avec le Parlement européen et le Conseil, pour une période de cinq ans, renouvelable une fois. La décision 2013/478/UE de la Commission du 27 septembre 2013 a amendé la décision 1999/352/CE pour inclure de nouvelles dispositions. Il n’est plus question du « directeur » de l’Office mais du « directeur général », nommé pour sept ans, et dont le mandat n’est pas renouvelable. La protection de l’euro contre le faux-monnayage a également été ajoutée à la liste des attributions de l’OLAF. Actuellement, c’est Giovanni Kessler qui occupe cette fonction, et ce depuis le 14 février 2011. En sa qualité de directeur général de l’OLAF, celui-ci est responsable de l’exécution des enquêtes.

L’article 4 de la décision de 1999 instituant l’OLAF prévoit la création d’un comité de surveillance pour exercer « un contrôle régulier sur l’exécution de la fonction d’enquête de l’Office ». A la demande du directeur général de l’OLAF, d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union ou même de sa propre initiative, le comité de surveillance transmet des avis, voire des recommandations, au directeur général concernant les activités de l’OLAF, sans interférer dans le déroulement des enquêtes en cours. Il « suit en particulier l’évolution concernant l’application des garanties de procédure et la durée des enquêtes, au vu des informations transmises par le directeur général ». De cette façon, le comité permet de renforcer l’indépendance de l’Office. Il se réunit au moins dix fois par an et adresse un rapport annuel aux institutions de l’Union européenne. Ses membres se composent de cinq experts indépendants « ayant l’expérience de hautes fonctions judiciaires ou d’enquête ou de fonctions comparables en rapport avec les domaines d’activité de l’Office », nommés par le Parlement européen, le Conseil et la Commission pour cinq ans. Actuellement, il s’agit de Herbert Bösch – ancien membre du Parlement européen ; Johan Denolf – Directeur à la Police Fédérale belge ; Catherine Pignon – Procureure Générale près de la Cour d’Appel d’Angers ; Tuomas Pöysti – Président de la Cour des comptes finlandaise ; et Dimitrios Zimianitis – Procureur près du tribunal de première instance d’Athènes. Le comité de surveillance désignant son président, Tuomas Pöysti occupe cette fonction depuis le 4 novembre 2014.

Dans son dernier rapport d’activité, le comité de surveillance a fait état d’un certain nombre de dysfonctionnements au sein de l’OLAF. Au sujet des enquêtes menées par l’Office, le comité a souligné que sur décision du directeur général de l’OLAF, le 1er février 2012, 423 dossiers avaient été ouverts simultanément. Les travaux du comité de surveillance l’ont conduit à la conclusion selon laquelle l’OLAF n’avait « mené d’évaluation appropriée des informations entrantes pour aucun des dossiers analysés », que « pour la vaste majorité des dossiers, il n’existait pas la moindre trace d’une activité d’évaluation », et enfin que le directeur général de l’OLAF avait « ouvert tous les dossiers en question sans établir au préalable l’existence d’une suspicion suffisamment grave de fraude, de corruption ou de toute autre activité illégale ayant une incidence sur les intérêts financiers de l’Union, ce qui est contraire au prescrit juridique en vigueur ». De surcroît, le comité a indiqué que l’OLAF n’avait pas tenu compte des trois recommandations formulées dans l’avis n°1/2014 du comité de surveillance. A savoir que le directeur général de l’OLAF n’avait pas établi de lignes directrices concernant l’application des principes de sélection et, au lieu de revoir les indicateurs financiers, il les avait supprimés. Il est également apparu qu’aucun dialogue ne semblait avoir été engagé avec les parties prenantes au sujet des indicateurs financiers et d’un suivi éventuel des dossiers pour lesquels il existait des soupçons de fraude suffisants mais qui avaient été rejetés sur la base des priorités de la politique d’enquête et des principes de sélection. Enfin, le directeur général de l’OLAF n’avait pas transmis au comité de surveillance d’évaluation de l’application des priorités précédentes de la politique d’enquête ni de synthèse des retours d’informations fournis par les parties prenantes, alors qu’il s’y était engagé. Le comité de surveillance a également exprimé de vives préoccupations quant à sa capacité à exercer son mandat de surveillance, du fait d’un manque de clarté de ce mandat.

L’ensemble de ces préoccupations a été relayé par les députés dans une Résolution du 10 juin 2015 ainsi qu’au cours des débats qui ont précédé son adoption. Bart Staes (Belgique, Verts/ALE), membre de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, a ainsi dénoncé les pratiques de l’OLAF consistant à enquêter alors qu’il n’y avait pas de soupçon d’infraction, à négliger ce que dit le comité de surveillance ou encore le fait que le comité de surveillance soit empêché d’exercer ses activités, n’ait pas suffisamment accès aux informations, qu’il n’y ait pas de base juridique pour l’interception de communications téléphoniques, que la durée des enquêtes soit manipulée pour faire croire que les enquêteurs travaillent plus vite, ou encore les pressions exercées sur le secrétariat de l’OLAF. Quasi-unanimement, les eurodéputés ont exhorté la Commission à intervenir en présentant un plan d’action concret pour régler ces disputes institutionnelles. En revanche, certains membres du groupe des Socialistes et Démocrates, à l’image de Inés Ayala Sender (Espagne), Boguslaw Liberadzki (Pologne), Georgi Pirinski (Bulgarie) ou Caterina Chinnici (Italie), ont dénoncé un débat prématuré et partiel dans la mesure où seule la position du comité de surveillance était considérée. « Nous estimons que ce débat est précipité. Il n’aborde qu’une partie des problèmes. Il ne connaît pas véritablement le rapport annuel de l’OLAF et l’OLAF est l’organisme central dont nous devons parler. Nous considérons comme précipité le débat sur le comité de surveillance avant d’avoir invité le directeur général de l’OLAF » a expliqué Madame Ayala Sender. Cela d’autant plus que bon nombre de ses collègues députés ont tiré à boulets rouges sur Giovanni Kessler, directeur général de l’OLAF.

En guise de réponse, le Commissaire Avramopoulos a expliqué que la décision d’ouvrir 423 dossiers le même jour était liée à une réorganisation en interne et qu’il était « nécessaire de rattraper le retard dans les dossiers ». Le Commissaire a également rappelé que l’OLAF ne partageait pas l’analyse du comité de surveillance selon laquelle l’ouverture de ces dossiers allait à l’encontre des prescriptions juridiques sur l’ouverture d’une enquête. Au sujet des relations entre l’OLAF et le comité de surveillance, « nous voulons faciliter ces relations, nous voulons rendre l’OLAF plus efficace » a-t-il affirmé, avant d’ajouter : « L’objectif de la Commission est bien évidemment de faciliter, de promouvoir de bonnes relations et un dialogue constructif. Toutefois, il convient de noter que l’OLAF et le comité de surveillance sont deux organes indépendants qui maintiennent un dialogue et travaillent pour poursuivre un seul et même but. La Commission peut proposer son aide à titre consultatif mais c’est à l’OLAF et à son comité de surveillance de mettre au point des méthodes qui permettront une coopération saine et constructive. » Ceci étant, la Commission va proposer un plan d’action pour mettre fin aux lacunes mises en évidence dans le rapport 2014 du comité de surveillance. Loin d’apaiser les débats, l’intervention du Commissaire a suscité de vives réactions. La députée Ingeborg Grässle (Allemagne, PPE) a dénoncé un « manque d’expertise » tandis que son collègue Richard Sulik (Slovaquie, ECR) a parlé d’un discours « hypocrite, incroyable, inacceptable ».

C’est donc sans surprise que la résolution commune au Parti populaire européen, à la Gauche unitaire européenne et aux Verts a été adoptée par 448 voix contre 197 avec 53 abstentions. Quatre résolutions avaient été déposées par différents groupes politiques mais la résolution commune a balayé celle du groupe des Socialistes et Démocrates. Si cette résolution « souligne avec force qu’il incombe à l’OLAF de se conformer aux prescriptions juridiques qui régissent l’ouverture d’une enquête », le Parlement européen « estime qu’il est regrettable que le comité de surveillance ait constaté qu’il était impossible de déterminer si les priorités de la politique d’enquête avaient été correctement identifiées et si leur application avait eu des conséquences positives ou négatives pour la lutte contre la fraude et la corruption ». De même, il « déplore le fait que le comité de surveillance ne soit pas en mesure d’exécuter pleinement son mandat ». Face à un tel constat, les députés invitent « instamment la Commission à faciliter les négociations entre l’OLAF et le comité de surveillance en élaborant, d’ici au 31 décembre 2015, un plan d’action pour la modification des modalités de travail de manière à permettre au comité de surveillance de remplir son mandat dans des conditions satisfaisantes ».

Le Commissaire Avramopoulos a promis que son institution transmettrait une réponse détaillée à la résolution adoptée. Le prochain échange de vues interinstitutionnel sur ce sujet devrait avoir lieu en septembre prochain. En attendant, l’OLAF a publié son rapport d’activité 2014 et c’est un tout autre son de cloche. Monsieur Kessler s’est félicité du fait que le bilan des activités d’enquête de l’OLAF en 2014 confirme les excellents résultats enregistrés l’année dernière. Il semble donc qu’un débat soit nécessaire pour démêler les différents enjeux et, le cas échéant, rétablir des conditions de travail propices à la lutte contre la fraude, en attendant la création d’un Parquet européen.

Charline Quillérou

 

 

Pour en savoir plus

 

     -. Résolution du 10 juin du Parlement européen sur le rapport annuel 2014 du comité de surveillance de l’OLAF

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0226+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR (FR)h ttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0226+0+DOC+XML+V0//EN (EN)

     -. Décision de la Commission instituant l’Office européen de lutte antifraude 1999/352/CE  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:1999:136:0020:0022:FR:PDF (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:1999:136:0020:0022:EN:PDF (EN)

     -. Décision de la Commission du 27 septembre 2013 amendant la décision 1999/352/CE   http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2013.257.01.0019.01.FRA (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013D0478&from=FR (EN)

Décision de la Commission du 25 mars 2015 amendant la décision 1999/352/CE http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32015D0512&from=FR (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:32015D0512&from=EN (EN)

     -. Règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 septembre 2013 relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF)  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:248:FULL:FR:PDF (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:248:FULL:EN:PDF (EN)

     -. Rapport annuel 2014 du comité de surveillance de l’OLAF http://ec.europa.eu/anti_fraud/documents/reports-sup_comm/2015/scar_2014_supcom_en.pdf (EN)

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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