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Interview de Nathalie Griesbeck: présomption d’innocence

Jeudi 7 mai, nous avons rencontré dans son bureau du Parlement européen à Bruxelles l’eurodéputée française Nathalie Griesbeck. Membre du Mouvement démocrate (MoDem) français et du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen, Nathalie Griesbeck est élue de la circonscription Est depuis 2004. « En mai 2014, elle conduit la liste « Les Européens – Alternative UDI-MoDem » pour les élections européennes » et retrouve son siège d’eurodéputée pour un troisième mandat, peut-on lire sur son site internet. Membre suppléante de la commission parlementaire « Emploi et Affaires sociales », elle siège également en tant que membre titulaire à la commission « Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures » (LIBE) pour la législature 2014-2019. C’est dans ce cadre qu’elle fut nommée rapporteure à l’automne 2014 sur la proposition de directive de la Commission européenne portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales.

La Commission européenne a transmis sa proposition de directive le 27 novembre 2013 au Conseil et au Parlement qui sont co-législateurs. Le Conseil, qui rassemble les Ministres des Etats membres, a adopté sa position le 4 décembre 2014 tandis que la commission LIBE du Parlement a voté le rapport de Nathalie Griesbeck le 31 mars 2015. A l’issue de ce vote, celle-ci a été mandatée pour débuter les négociations avec le Conseil.

Nous l’avons interrogée à ce sujet.


En quoi le sujet de la présomption d’innocence vous tenait-il particulièrement à cœur ? Etait-ce une volonté de votre part de vous impliquer sur ce sujet ? Pour quelles raisons ?

Lors de la présentation par la Commission européenne de cette proposition de Directive et surtout lors du début de la nouvelle mandature du Parlement Européen, j’ai immédiatement manifesté mon intérêt pour ce texte législatif et pour plusieurs raisons. La première est que c’est un très beau texte sur un principe fondamental en droit pénal, l’un des piliers du droit et qui existe évidemment dans tous les Etats membres. En France, la présomption d’innocence est inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Pour moi c’est un élément structurant du droit et donc du droit des Etats membres. Le deuxième intérêt fort est qu’il s’agit d’une proposition de directive, ce n’est pas un rapport d’initiative – ce qui est important aussi mais n’a pas de pouvoir contraignant – c’est-à-dire que le Parlement Européen a un vrai rôle de colégislateur : la directive me conduit à avoir un travail de négociations en trilogues avec le Conseil, qui a commencé la semaine dernière. Nous avons donné un très bon rythme. Dans deux semaines, le 19 mai, aura lieu un deuxième trilogue. Au bout de la procédure, nous aurons un texte contraignant pour tous les Etats membres. Voilà mon intérêt.

Ensuite, je pense que vous savez comment ça fonctionne. [Au Parlement européen] chaque groupe politique a un quota de points pour obtenir des rapports. Il y a des rapports plus intéressants que d’autres, des rapports où l’on peut être nommé rapporteur ou shadow [rapporteur fictif] pour son groupe parlementaire. Avec ce système de points et le système d’Hondt, mon groupe parlementaire a pu obtenir le rapport sur la proposition de directive présomption d’innocence de la Commission. Puis, j’ai eu la chance d’être désignée Rapporteur par mon groupe parlementaire..

Autre raison : vous allez me dire, « le principe de présomption d’innocence est un grand principe ». En fait, il n’en est rien parce que même s’il date de la fin du XVIIIe siècle, il est très régulièrement violé ou au minimum édulcoré ou érodé. Erodé par toute sorte de facteurs qui sont extérieurs, ne serait-ce que par exemple les fuites dans les médias, des éléments qui, au fond, ne permettent pas au principe de s’appliquer correctement. Si elle est érodée aujourd’hui, c’est parce que tout va à toute vitesse. Je vais prendre un exemple : lors des attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier, un jeune lycéen de 17 ans, habitant les Ardennes, a été accusé dans tous les médias et sur tous les réseaux sociaux d’être la troisième personne complice de ces attentats aux côtés des frères Kouachi. En quelques minutes, il a été mis au ban de la société. Il a essayé de se défendre, ses copains l’ont défendu en disant « il était avec nous en cours de gym, à Charleville-Mézières, il n’était donc pas avec les frères Kouachi ». Ce jeune-là n’avait rien fait du tout, il était totalement innocent et il a été accusé par tous les journaux, dans tous les réseaux sociaux, etc. La présomption d’innocence est quelque chose de fondamental pour la liberté de chaque citoyen, et ce, jusqu’à la fin d’un procès. Tous ces éléments font que pour moi, ce texte est un très beau texte.

Nous avons réussi à avoir une très confortable majorité [à la commission LIBE du Parlement européen] puisque le texte a été adopté à 46 voix contre 8 et 4 abstentions, ce qui est remarquable. Si vous regardez la composition des commissions parlementaires aujourd’hui, il y a quand même beaucoup de freins, de gens qui combattent les textes sans regarder à l’intérieur. Grâce à un long travail de compromis, j’ai obtenu une majorité très confortable et très large avec le PPE [Parti Populaire Européen], les S&D [Socialistes et Démocrates], les Verts, la GUE [Gauche unitaire européenne], l’ELDD [Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe] et naturellement mon groupe parlementaire [Alliance des Démocrates et Libéraux pour l’Europe]. Je suis donc assez contente parce que ce n’est pas le cas pour tous les textes sensibles comme celui-là. Ce que l’on souhaite obtenir, c’est d’élever la présomption d’innocence et la procédure jusqu’au prononcé du jugement.

Les exemples que vous donnez sont plutôt français. En travaillant avec vos collègues députés lors de la préparation de ce rapport, certains ont-ils pu vous apporter des exemples concernant leur pays ? Avez-vous perçu des différences d’approche sur cette question ?

Il va être très difficile de rentrer dans tous les détails.

Tant que vous n’avez pas été déclaré coupable par un jugement, vous êtes innocent. Cela paraît simple mais c’est compliqué à admettre et faire avancer. C’est la clé de voûte du rapport, avec l’envie de faire en sorte que ce soit bien respecté dans tous les Etats membres.

Naturellement, il y a de nombreuses différences d’approche au sein du Parlement Européen et entre les députés qui ne sont pas tous de la même nationalité, car la Directive touche aux systèmes de droit pénal des Etats membres, systèmes qui sont très différents d’un Etat à un autre ; par exemple, en ce qui concerne les pouvoirs du juge, la façon de recueillir les preuves, les critères de protection des droits et des libertés, etc. Parfois, lors des débats, il y a eu des disparités et elles n’étaient pas forcément là où nous pensions qu’elles seraient.

Toutefois, malgré ces divergences, qui tiennent à nos « conceptions nationales » de la Justice pénale, il y a eu assez vite un consensus avec mes collègues, rapporteurs shadows.

Si l’on aborde maintenant la Directive en détails et les différents éléments qu’elle contient :

Premièrement, je reviens sur la question des médias [et de l’article 4 de la Directive] parce que c’est un élément compliqué. Nous avons souhaité, avec plusieurs de mes collègues, ajouter une disposition concernant les médias au sein de l’article 4 concernant l’interdiction de « déclaration de culpabilité ». Evidemment, je ne peux pas (ni ne veux), dans mon rapport, porter atteinte à la liberté de la presse et à la liberté d’expression. Ce que nous avons voulu ajouter est juridiquement et nécessairement plus subtil : nous essayons de mettre dans le champ d’application de la directive le fait que les autorités qui détiennent les informations au cours du procès devraient se donner comme règle de ne pas les diffuser au risque de sanctions. On ne porte pas atteinte aux médias. Non, on travaille sur « les autorités publiques ». C’est sur la partie autorité publique que nous essayons de faire porter la responsabilité voire la sanction de la diffusion d’informations qui violeraient la présomption d’innocence et absolument pas sur la liberté de la presse. On ne va pas porter atteinte à ces grandes libertés.

Un autre élément du rapport : la charge de la preuve [c’est l’article 5 de la proposition]. En droit pénal classique, la charge de la preuve appartient toujours à l’accusation. Toutefois, dans la proposition de la Commission, et c’est aussi la position du Conseil, de la Présidence Lettone et des Etats membres, il y a la possibilité de renverser la charge de la preuve. C’est un point très compliqué, c’est une ligne rouge du Parlement Européen. On ne peut pas imaginer avoir dans un texte législatif européen le principe de renversement de la charge de la preuve!

Un autre élément important et sujet à controverses : le champ d’application de la directive. J’ai souhaité travailler sur trois éléments concernant le champ d’application : premièrement le champ d’application temporel pour que la directive s’applique le plus longtemps possible, pour plus de protection ; deuxième le champ d’application personnel : c’est-à-dire faire en sorte que la directive s’appliquer à la fois aux les personnes physiques, ce qui est le minimum minimorum, mais aussi aux personnes morales (et ce point-là a posé et pose beaucoup de difficultés parce que dans certains Etats, le concept-même de « personnes morales » n’existe pas. Là, il y a une grande disparité entre les Etats membres).Troisième point sur le champ d’application : le champ d’application « matériel », c’est-à-dire les crimes / délits auxquels la Directive s’appliquera : là aussi c’est un élément complexe car chaque Etat a son organisation juridique, ses classifications juridiques (droit pénal, droit administratif, etc.) donc il est difficile d’avancer sur ce point..

Un autre élément qui me tient particulièrement à coeur est celui de l’inadmissibilité des preuves. Les normes internationales et européennes sont unanimes : une preuve obtenue en violation du principe d’interdiction de la torture, via la contrainte, en violation du droit de conserver le silence devrait être déclarée inadmissible. C’est le cas dans plusieurs Etats membres. Toutefois, dans d’autres Etats membres, il n’y a pas ce principe de non-recevabilité des preuves, car le juge a une liberté totale dans l’examen des preuves qui lui sont données. C’est le cas pour les pays nordiques par exemple. Ainsi il est très difficile d’avancer sur ce point. Pourtant cela semble imparable et évident ! Toute preuve obtenue via la torture devrait être inadmissible !

Voici les points principaux du rapport.

Le groupe de Nathalie Griesbeck au Parlement européen, l’ADLE, a exprimé des inquiétudes au sujet du projet de loi français sur le renseignement. Les eurodéputés ont dénoncé des « méthodes intrusives » et un projet de loi qui constitue un « danger » pour les libertés publiques. Nous avons donc voulu interroger Nathalie Griesbeck là-dessus.

Sur un autre sujet, que pensez-vous du projet de loi français sur le renseignement ?

On va voir ce que dit le Conseil constitutionnel.

Aujourd’hui, on avance le terrorisme comme un chiffon rouge. C’est inadmissible ! La démocratie c’est l’équilibre. Justement la difficulté des démocraties c’est de réussir à préserver les libertés et à sauvegarder la sécurité, sinon, on est dans un régime totalitaire. Tout le monde dit « mais tu n’as rien à cacher ». Non, je n’ai rien à cacher mais je n’ai rien à donner non plus. Ma vie m’appartient. Déjà que nous sommes connectés de tous les côtés. Tout le monde est soupçonné. C’est dangereux. Si c’est entre les mains de gens sans vergogne, vous imaginez ? Des inspecteurs Javert partout ?! Après on saura les maladies des gens. On dira, celui-là il a des transfusions sanguines, celui-là il a peut-être le Sida. Peut-être que j’exagère mais je pense qu’il vaut mieux exagérer et protéger les libertés. Ce sont vous les jeunes qui devriez être inquiets.

Il est temps de faire quelque chose qui soit adapté aux technologies d’aujourd’hui. Je suis favorable à une loi, très favorable. Mais pas à une loi pareille. Au lieu d’avancer et d’utiliser nos neurones et notre intelligence pour créer des systèmes qui tout en protégeant les libertés organisent notre protection, en fait, on tue une mouche avec un canon c’est-à-dire qu’on vous supprime tout.

Clément François , Charline Quillérou

Pour en savoir plus :

Page consacrée à Nathalie Griesbeck sur le site du Parlement européen
http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/28208/NATHALIE_GRIESBECK_activities.html

Site internet de Nathalie Griesbeck
http://www.nathalie-griesbeck.fr/votre-deputee/

Proposition de la Commission portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (EN)
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0821:FIN:EN:PDF

Rapport Griesbeck sur la proposition de directive  portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A8-2015-0133+0+DOC+XML+V0//FR&language=fr

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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