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Bruxelles et Ankara s’engagent dans un mariage de raison mais est-ce bien raisonnable ?

Mariage de raison, disons plus simplement alliance de circonstances. Avec autant de flou que d’hypocrisie, des engagements très généraux mais sans réel calendrier contraignant. Les Européens n’ont pas lâché grand-chose pour convaincre les turcs de garder chez eux les réfugiés Pas d’engagement précis concernant la relance du processus d’adhésion. Au bout du compte, l’UE seule garantie pour échapper au chaos régional.

Lisons les mots clés produits par la presse : lors du Sommet extraordinaire dimanche à Bruxelles, les Vingt-Huit ont cédé aux exigences d’une Turquie en position de force. En échange, ils ont réclamé que les autorités turques retiennent les réfugiés dans le pays. Un marchandage sordide : la Turquie voulait de l’argent…l’Europe donne de l’argent. La Turquie profite de la faiblesse européenne, désunie et velléitaire face à un « partenaire » difficile et imprévisible. Les migrants sont passés de l’actualité, mais rien n’est réglé. Les relations houleuses de la Turquie avec la Russie ne semblent pas prendre la direction de l’apaisement. Tout cela est censé être historique … cela fait 11ans depuis le début des négociations que ces partenaires ne s’étaient pas retrouvés. Pas de dissipation du malentendu historique sur la finalité du processus d’adhésion. Plus personne n’y croit. Pour Davutoglu c’est un jour historique qui redynamise, l’adhésion dans les années à venir, pas un rêve mais une réalité.. Le processus est engagé depuis des années il n’y a pas de raison de l’arrêter ou de l’accélérer (François Hollande). Il n’y a pas là de quoi réécrire le processus d’adhésion avec la Turquie, les standards sont toujours les mêmes   (Jean-Claude Juncker). Un premier ministre turc tout sourire , il ne s’est pas départi d’un optimisme débordant, tout au long du sommet, persuadé que les chefs d’Etat se sont réunis pour un sommet en son honneur, un des plus courts jamais organisé. Oublié le rapport calamiteux de la Commission sorti quelques jours plutôt ! Un excès d’optimisme à mettre au compte des difficultés actuelles et de l’isolement diplomatique. Montrer qu’on a encore des alliés. Rendre l’immigration illégale légale sur la périlleuse route des Balkans. Notre intérêt est que les personnes restent en Turquie. Un évènement exceptionnel parce qu’aucun pays candidat n’avait participé à un sommet du Conseil européen…Déception vive : les Etats membres manquent sans cesse leurs promesses et leurs engagements alors que les institutions européennes tiennent les leurs (Martin Schulz). L’accès à l’emploi et à l’éducation est essentiel pour l’avenir des réfugiés. La date de mise en œuvre de l’accord de réadmission de 2013 doit être avancée. Schengen ne peut survivre que si nous acceptons que la gestion de nos frontières extérieures relève de la responsabilité européenne. Nous attendons que le gouvernement turc lutte efficacement contre la traite des êtres humains et contre les passeurs. Couper la route d’approvisionnement des terroristes. Les négociations d’adhésion sont au point mort, la réticence des Etats membres se fondent sur de bonnes raisons, la liberté de la presse en est une. En faisant de la Turquie un partenaire stratégique, les pays européens jouent sur la corde raide. Ils prennent le risque de se mettre à dos une partie de leur opinion publique, mais aussi de cautionner les agissements d’Ankara. Une responsabilité lourde à porter. Comment échapper au nouveau sultan pris par l’ubris de son propre pouvoir ? Un allié encombrant. L’Europe fermera-t-elle les yeux sur les dérives de Erdogan. La politique de l’Union européenne sur la corde raide. Une bombe à retardement. Dérive autoritaire du régime, conflit avec les Kurdes réouvert, ambiguïtés dans la lutte contre le djihadisme, assassinat du bâtonnier de Diyarbakir, inculpation pour espionnage du directeur du grand journal d’opposition Cumhuriyet. Une épine dans le pied de l’Europe. Pourquoi l’Europe redécouvre les graves reculs de la démocratie seulement maintenant dans son récent rapport annuel à la publication plusieurs fois retardée ? Un partenaire utile dans une politique de voisinage rénovée ce dont elle ne veut pas entendre parler, plutôt qu’un improbable futur membre de l’Union européenne ?

Le palmarès des citations est impressionnant ! L’Europe est inquiète, mais qu’importe la Turquie triomphe, pense-t-elle.

Déclaration du Sommet UE-Turquie et profond scepticisme des députés européens

Selon la déclaration arrêtée dimanche soir au Sommet Europe-Turquie à Bruxelles, l’Union européenne (UE) a reconnu qu’elle est de facto étroitement liée à son voisin turc par de nombreux facteurs: proximité, rapports économiques intenses, lutte contre le terrorisme, défense. Dès lors, elle a admis le principe de relancer les relations bilatérales en vue de forger un destin commun. Dès la première ligne, la déclaration affirme que la Turquie est un pays candidat à l’Union depuis 1999 et que les négociations en vue de l’adhésion ont démarré en 2005. L’UE reconnaît ainsi implicitement que ce dossier n’a pas beaucoup évolué et qu’il doit être pris dorénavant plus au sérieux. Une telle position contraste avec l’ambiguïté que montre régulièrement l’UE à l’égard de la Turquie. Et aujourd’hui encore.

«Au-delà des problèmes actuels, nous devons développer nos relations dans une perspective plus large», a déclaré dimanche Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne. Et d’ajouter: «Ce n’est pas que l’Europe a besoin de la Turquie. Nous avons besoin, plus que jamais, de l’une et de l’autre.» «Ce sommet extraordinaire marque le début d’un nouveau processus dans les rapports entre Ankara et les pays de l’Union», s’est félicité le premier ministre turc Ahmet Davutoglu à son arrivée au sommet. » C’est historique… n’a-t-il cessé de répéter.

Cette réunion au sommet était une exigence d’Ankara. En position de force parce qu’il détient la clé des flux migratoires vers l’Europe, mais aussi revigoré par sa récente victoire aux législatives, le gouvernement turc avait posé ses conditions. Ainsi, le sommet de dimanche a eu lieu non seulement sous l’enseigne de la crise des réfugiés, mais aussi sur la revitalisation des relations bilatérales. Sur ce point, les Vingt-Huit ont accepté d’instaurer un dialogue régulier et à plus haut niveau avec la Turquie. Dorénavant, une rencontre au sommet au lieu deux fois par an. Au plus haut niveau ? Rien n’est moins assuré, interrogé, le porte-parole de la Commission a rappelé que le texte indique au « niveau approprié ». Est-ce une procédure exceptionnelle ? Non elle est pratiquée avec plusieurs pays et le porte-parole s’est engagé à fournir la liste aux journalistes. Mais en fait il apparait que le niveau sera celui des ministres.

Lors des réunions préparatoires , Ankara avait fait savoir que des promesses ne seront pas suffisantes pour obtenir son aide à juguler le flot de réfugiés. Selon le président du Conseil européen, Donald Tusk, 1,5 million de personnes sont arrivées illégalement en Europe depuis le début de l’année. Son avertissement a été entendu à Bruxelles. Derechef, des négociateurs européens et turcs se rencontreront le 14 décembre prochain pour ouvrir un nouveau chapitre sur la candidature turque à l’adhésion. L’UE s’est aussi engagée à compléter, d’ici au premier trimestre 2016, les travaux préparatoires pour ouvrir d’autres chapitres. Les négociations pour l’adhésion se font chapitre après chapitre, le but étant d’assurer que le pays candidat européanise graduellement ses législations. Ankara a débuté ce processus unilatéralement et ses législations, plus particulièrement en matière économique et commerciale, reprennent celles de l’ Union. Mais pour autant cela ne veut pas dire et ne voudra pas dire que pour autant on devient membre de l’Union européenne. Le premier ministre belge, Charles Michel, dans une formule à l’emporte pièce a déclaré que ce ne serait pas pour demain.La grande exception concerne l’Etat de droit et la liberté d’expression.

Les dirigeants européens ont aussi admis hier le principe d’exempter les citoyens turcs de visas pour voyager dans l’espace Schengen à partir d’automne 2016. Un rapport faisant un état des lieux des négociations sera publié au début mars 2016. Il s’agit là de l’une des plus importantes revendications turques. Mais la contrepartie est la signature et l’entrée en vigueur effective de l’accord de réadmission.

Le volet «réfugiés» est traité en deuxième partie de la déclaration. L’UE déboursera trois milliards d’euros destinés à améliorer les conditions de vie des réfugiés en Turquie. Le gouvernement turc a fait valoir qu’elle en accueille deux millions répartis dans 25 camps, dont cinq spécialement prévus pour recevoir les Syriens chrétiens et les Yezidis. Elle affirme aussi y avoir consacré plus de 7 milliards d’euros depuis 2011. La communauté internationale qui avait promis une aide de 4,8 milliards d’euros au début de l’année, n’a versé que 624 millions à ce jour. En contrepartie des trois milliards, l’UE demande à la Turquie de retenir les réfugiés sur son territoire, mais aussi de reprendre les réfugiés dont les demandes d’asile ont été rejetées par les pays de l’Union. L’UE a clairement fait sentir que l’argent doit aller aux réfugiés et aux associations qui s’occupent d’eux et pas à la Turquie.

A son arrivée au sommet dimanche, François Hollande a été clair: «Je veux un accord pour que la Turquie prenne des engagements contre un soutien européen, pour accueillir les réfugiés chez elle.» Selon le président français, les réfugiés ont intérêt à rester au plus près de leur pays d’origine. «L’intérêt de l’Europe n’est pas d’accueillir des réfugiés en grand nombre parce qu’on sait les questions qui sont posées et les problèmes que certains pays ont exprimés», a-t-il ajouté.

Selon un diplomate européen, les Turcs doivent se garder de tout triomphalisme. «Nous sommes certes prêts à accélérer les négociations pour l’adhésion ou pour l’exemption de visa, dit-il. En revanche, la mise en œuvre de la déclaration sera assurée pas-à-pas et à la condition que les Turcs satisfassent toutes les conditions.» Le diplomate rappelle qu’à tout moment, un pays peut tirer la prise des négociations et débrancher le passage du courant, laissant entendre que la Grèce et Chypre espèrent aussi résoudre leur conflit territorial majeur avec la Turquie.

Les députés européens ne s’en laissent pas conter par les belles paroles et les habiletés des déclarations. Doute profond sur les intentions turques.

Les membres de la commission des libertés civiles du Parlement européen réunis le 30 novembre ont émis de sérieuses réserves. Ils se sont émus fortement sur le fait que les questions de la liberté de la presse, des assassinats de représentants des droits de l’homme ou la question de la répression de la minorité kurdes n’ont pas été traités mais esquivées.

Ils ont exprimé de très sérieuses réserves sur la capacité de la Turquie à réduire les flux comme à réadmettre les personnes entrées illégalement sur le territoire de l’Union via la Turquie. Les dénégations turques et l’annonce d’appréhensions d’illégaux ou de passeurs n’ont pas convaincu. Nombreux doutent de la sincérité. Gérard Deprez (Belge, ALDE) a même parlé de façon très explicite « d’absence de confiance  (…) les turcs nous roulent sur les chiffres (…)ils ne vont pas arrêter les réfugiés ». Parlant des visas, avec « la nouvelle porte offerte par la libéralisation des visas, j’espère que vous savez ce que vous faites » a-t-il lancé aux représentants de la Commission européenne.

D’autres députés se sont interrogés comment l’aide de 3 milliards destinés aux refugiés syriens allait être contrôlée. Comment s’assurer que ces 3 milliards « ne serviront pas à acheminer le pétrole depuis la Syrie vers la Turquie «  s’est interrogée Anna Gomes (S&D portugaise). D’autres députés se sont demandés pourquoi l’UE n’offrait pas son aide au Liban, à la Jordanie, ou   l’Irak « la situation y est plus dramatique »

La Commission européenne a assuré aux députés qu’il y aurait un contrôle très précis de cesq fonds et le Directeur Général Mathias Ruete a souligné que la Commission travaillait avec la Turquie dans un esprit de confiance. Revenant sur l’accord de réadmission il a reconnu qu’il s’agissait « d’un sujet majeur à discuter et les discussions auront lieu en janvier. » Actuellement l’accord ne couvre que les ressortissants turcs, et il faudrait qu’il couvre les ressortissants des Etats tiers ». Quant à la question de la libéralisation de visas pour les ressortissants turcs « on peut aller vers la libéralisation prévue pour octobre 2016, mais il faut être convaincu que l’accord de réadmission fonctionne pleinement ».

Sur la relance du processus d’adhésion de la Turquie Matthias Ruete que l’ouverture au printemps des discussions des chapitres 23 et 24  (justice et droits fondamentaux) serait l’occasion de faire progresser la question des droits fondamentaux. Dans un communiqué, les élus français du groupe PPE de l’UE, seulement un membre associé. Sur la radio Europe 1 Nicolas Sarkozy a renouvelé son opposition la plus ferme à l’adhésion de la Turquie. Le leader du PPE, l’allemand Manfred Weber, asouligné « cet accord n’est pas un chèque en blanc. Il contient quelques pilules qui demeurent difficiles à avaler (…) avant que nous au Parlement européen nous nous penchions sur des sujets spécifiques, la Turquie doit prouver qu’elle est prête à coopérer. Cela signifie des mesures décisives contre les passeurs et une réduction nette du nombre de migrants affluant vers l’Europe »a-t-il conclu.

C’est un air bien connu du « je t’aime, moi non plus ! »

Henri-Pierre Legros

Pour en savoir plus :

 -. Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement du 29 novembre 2015 http://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-15-6194_en.htm?locale=en

     -. Status of the Negotiations http://www.consilium.europa.eu/en/policies/enlargement/turkey/

     -. Time line: response to migratory pressures http://www.consilium.europa.eu/en/policies/migratory-pressures/history-migratory-pressures/

     -. Déclaration de Federica Mogherini http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2015/151129_01_en.htm

 -. Discours de Martin Schulz, président du Parlement européen lors du sommet informel UE-Turquie du 29 novembre http://www.europarl.europa.eu/the-president/fr/press/press_release_speeches/speeches/speeches-2015/speeches-2015-november/html/sommet-informel-entre-l-union-europeenne-et-la-turquie—discours-de-martin-schulz–president-du-parlement-europeen;jsessionid=8034BA5EA652C263935635083D17AA25

-. EU- Turkey Joint action plan du 15 octobre http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-15-5860_en.htm

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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