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« Les frontières intelligentes » sont-elles vraiment une option intelligente ?

Après les attentats de Paris, les institutions européennes ont tout de suite souligné la nécessité d’améliorer certaines politiques européennes afin de rendre la lutte contre le terrorisme beaucoup plus efficace. Parmi ces politiques, l’amélioration des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne est devenue une des priorités politiques pour les Etats membres et les institutions européennes.

C’est dans ce contexte que le paquet législatif concernant les « frontières intelligentes », proposé par la Commission européenne en février 2013,  a refait surface dans le débat politique. La proposition législative est destinée à améliorer la gestion des frontières extérieures afin qu’elle soit moderne et efficace : elle vise à limiter l’immigration irrégulière et à renforcer l’échange d’informations concernant les personnes qui stationnent en Europe en dépassant la durée de séjour autorisée. Cette proposition est actuellement en cours de négociation au Parlement européen et au Conseil qui n’arrivent pas à trouver un compromis sur certains  aspects techniques et budgétaires. C’est pour cette raison que la Commission a mis en place des études et un projet pilote pour tester la proposition d’un point de vu technique et budgétaire, au cours de l’année 2015. Mais face à la persistance des difficultés pour la réalisation de ce projet, la Commission a annoncé, en octobre dernier, vouloir présenter une nouvelle proposition sur les « Smart Borders » au début 2016. Dans le contexte actuel et face aux deux défis majeurs qui représentent l’immigration et la menace terroriste, cette proposition semble nécessaire et urgente.

Le  28 février 2013, la Commission européenne a présenté un paquet législatif et des mesures en matière de « frontières intelligentes » afin « d’accélérer, de simplifier et de renforcer les procédures de vérification aux frontières pour les étrangers qui se rendent dans l’Union ». Ces propositions font suite au programme de Stockholm (2010-2014), sous l’impulsion du Conseil européen qui avait demandé, à plusieurs reprises, à la Commission, des mesures visant à l’amélioration de la gouvernance de l’espace Schengen et de la politique européenne en matière d’immigration. En effet dans les dernières années, les pays de l’Union européenne ont dû faire face au nombre, toujours plus croissant, de voyageurs traversant les frontières. On estime que, entre 2009 et 2013, le nombre de voyageurs, entrant ou sortant de l’Union, est passé de 400 millions à 720 millions. De plus, durant l’année 2013, 16 millions de visas de courte durée ont été délivrés, 128 902 personnes ont été refoulées aux frontières, 9 800 personnes ont été interceptées en train d’utiliser des faux documents pour entrer illégalement dans l’Union et 345 000 séjours illégaux ont été constatés.

Le paquet législatif « Smart Borders » comprend 3 actes législatifs.

Le premier concerne l’établissement d’un système d’entrée/sortie (EES) qui permettrait d’enregistrer la date et le lieu d’entrée et de sortie des ressortissants de pays tiers qui se rendent en Union européenne. Ce système calculerait de manière électronique la durée du court séjour autorisé et déclencherait une alerte automatisée qui avertirait les autorités nationales, à la date d’expiration de ce séjour, si la sortie n’est pas enregistrée. Cela éviterait les séjours prolongés au-delà du visa autorisé sur le sol européen et surtout mettrait fin au système actuel qui consiste à une vérification des ressortissants de pays tiers, au calcul de durée de séjour fait manuellement et à l’apposition d’un simple cachet sur le document de voyage. Cette pratique prend beaucoup de temps: elle ne fournit pas de données fiables et ne permet pas une détection effective des personnes qui dépassent les limites de durée de séjour. De plus elle n’a pas de solution en cas de perte ou destruction du document de voyage.

Le deuxième règlement vise à établir un programme d’enregistrement des voyageurs (RTP). Ce système permettrait une simplification du passage aux frontières et des contrôles pour les personnes qui voyagent fréquemment vers l’Union européenne. Ce système permettrait  l’identification et l’entrée rapides des personnes préenregistrées : femmes et hommes d’affaires, travailleurs, chercheurs,  étudiants ou ressortissants de pays tiers transfrontaliers ou ayant des liens familiaux avec des citoyens européens. Cela pourrait garantir à l’Union européenne de rester une destination attrayante tout en répondant aux défis économiques et d’emploi dans les pays membres.

Le troisième règlement modifie le Code frontière Schengen afin d’y incorporer les deux systèmes, le EES et le RTP.

Mais lors du premier examen des propositions de la Commission, en février 2014, le Conseil et le Parlement ont exprimé leurs préoccupations concernant certains aspects techniques, opérationnels et budgétaires du paquet « Smart Borders » ; préoccupations liées, par exemple, à la période de rétention des données personnelles, au choix de l’utilisation des contrôles  biométriques ou à la possibilité d’accès pour les autorités de coopération policière au système EES.  De plus, les deux institutions ont souligné leurs doutes quant à la faisabilité des deux systèmes proposés par la Commission.

Selon certains membres du Parlement, comme la députée française du S&D, Sylvie Guillaume, redoute l’impact des frontières intelligentes sur les droits fondamentaux et sur la protection des données personnelles. Selon la députée « il n’est pas avéré que le dispositif respectera les principes de nécessité et de proportionnalité et que son côté intrusif soit suffisamment justifié ». Un autre problème est le coût de la mise en place des deux systèmes proposés : « les avantages que représente un tel système valent-ils l’investissement énorme qu’il engendre (estimé initialement à 1,1 milliard EUR par la Commission) ? » se demande la députée française sur son site internet.

 Pour répondre aux craintes du Parlement et du Conseil, la Commission a mis en place un exercice pratique afin d’évaluer l’impact technique, organisationnel et budgétaire des Smart Borders.

Cet exercice comprend une étude technique de la Commission afin de définir les options et les solutions qui doivent être testées mais surtout un projet pilote, géré par EU  Lisa, l’agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle.

L’étude technique de la Commission, présentée en octobre 2014, vise à évaluer l’efficacité et les implications du système Smart Borders. Elle fait l’analyse de plusieurs questions concernant les systèmes proposés par la Commission et qui avaient soulevées des doutes au sein du Parlement et du Conseil : la biométrie, la collecte des données, le processus du contrôle aux frontières, l’architecture des systèmes et les coûts. La Commission veut donner des réponses aux doutes émis par les deux institutions européennes, quant à l’implication des « Smart Borders » mais aussi trouver des options qui seront choisies par les législateurs. Par exemple, la Commission propose 3 options concernant la conservation des données personnelles : 181 jours pour le système EES, 5 ans pour le EES et le RTP ou 366 jours après la dernière entrée ?

Les députés européens ont accueilli de façon sceptique le rapport de la Commission : pendant la commission LIBE du 16 octobre 2014, la droite et la gauche ont continué à manifester des doutes quant au système « Frontières Intelligentes ». Selon les députés européens et rapporteurs Augustìn Diaz de Mera et Tanja Fallon « Ni les objectifs, ni les coûts ne sont clairs ».

Le projet pilote, lancé le 15 mars et conclu en septembre dernier, a mis en place le système des « Smart Borders » dans 12 pays européens qui se sont prêtés à cet exercice de façon volontaire. Les pays volontaires, dont la France, ont mis en place, dans 18 points de passage aux frontières terrestres, maritimes ou aériennes, des contrôles biométriques qui se basent sur trois dispositifs: la reconnaissance des empreintes digitales, l’Iris drive pour relever l’empreinte iridiaire et la reconnaissance faciale.

Au cours de ce projet pilote, qui a eu un coût de 3,5 millions d’euro et auquel on a associé plus de 150 gardes-frontières, les voyageurs ont pu choisir librement s’ils souhaitaient se soumettre à l’exercice ou pas.

Au travers de cette expérience, l’Union européenne voulait vérifier que:

  • La captation sans contact et la vérification sont rapides et efficaces
  • Ces technologies modernes ne sont pas perturbées par l’environnement
  • Les usages innovants des ces technologie peuvent être proposés aux usagers

Lors de la Commission LIBE du 7 décembre dernier, le directeur de EU-Lisa, Krum Garkov, a fait le point sur le projet pilote mis en place : depuis le début des tests, 58 000 voyageurs provenant de 110 pays se sont soumis aux contrôles biométriques et 80% d’entre eux se sont dits satisfaits de ce nouveau système de contrôle, rapide et efficace.

Selon le directeur de l’agence européenne,il faut encore bien évaluer les possibilités techniques à mettre en place afin d’harmoniser les moyens de contrôles sur les frontières européennes. Par exemple l’existence des plusieurs options, quant au choix du fabricant des systèmes électroniques utilisés, a un impact considérable sur la qualité des données collectées, surtout pour ce qui concerne le lecteur d’iris. Une autre question technique à évaluer est le nombre d’empreinte digitales à collecter : il faut se contenter de l’empreinte de 4 doigts ou celle de 8-10 doigts qui prends 3 fois plus de temps pour les contrôles ?

Mais une des problématiques les plus importantes est évidemment l’impact des contrôles biométriques sur les droits fondamentaux : selon Krum Garkov il faut évaluer cet impact même si les voyageurs « ne considèrent pas que le recours à la biométrie soit invasive et menace leurs droits fondamentaux».

Face aux réticences des députés européens et des Etats membres, le commissaire européen aux Migrations et Affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, s’est engagé devant le Parlement européen, le 28 octobre dernier, à présenter au début de l’année 2016, une nouvelle proposition législative concernant les Smart Borders. Cette proposition unirait les deux systèmes, EES et RTP en une seule directive et un seul système, afin de réduire les coûts et l’impact sur la collecte des données. Cela comportera notamment une « légère modification du Code Schengen ». Le même jour, la Présidence luxembourgeoise a souligné la nécessité de cette proposition, vu le « contexte actuel » : les Etats membres veulent réussir à renforcer les frontières de l’Union européenne notamment pour prévenir les actes terroristes et autres crimes graves. Après presque deux mois la situation n’a pas changé et la menace terroriste n’a fait que grandir : le contrôle des frontières extérieures a été mise sévèrement mis en cause et les pays européens poussent vers plus de sécurité.

Il est clair que les attentats de Paris ont montré les limites du système de frontières de l’Union européenne et les Smart Borders, quoi qu’évoqués par les Etats et les institutions européennes, peinent à s’activer au même titre d’ailleurs que le PNR.

La Commission européenne a décidé de présenter, le 15 décembre 2015, une proposition pour la création d’un système européen en matière de contrôle renforcé des frontières avec la création d’un corps européen de gardes-frontières qui assurera la mise en application des normes communes. Il ne nous reste donc pas longtemps à attendre !

« Un Etat membre pourrait dans l’avenir se voir imposer l’intervention du futur corps européen de gardes-frontières » rapporte le journal belge Le Soir.  Ce qui risque de provoquer une vive réaction des Etats membres qui se verront privés de leur souveraineté nationale en matière de gestion et contrôle des frontières.

Le rôle de l’agence FRONTEX va radicalement changer : elle sera dotée d’un pouvoir d’autorité publique, son corps de réserve passera de 400 à 1000 hommes et son budget doublera.

L’Union européenne renforcera alors ses frontières : mais Frontex et les Smart Borders sont-ils vraiment la solution à la menace terroriste et à ces jeunes terroristes européens qui veulent détruire de l’intérieur les valeurs de la démocratie européenne?

Emilie Gronelli

 

 

Pour en savoir plus

 

     -. Conseil européen « Modernisation de la gestion des frontières extérieures »http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/smart-borders-package/

-. EU-Lisa : le lancement du Projet Pilot http://www.eulisa.europa.eu/Newsroom/News/Pages/Smart-Borders-Pilot-testing-phase-reached-the-next-milestone-.aspx

     -. « Technical study on Smart Borders » de la Commission européenne

http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/borders-and-visas/smart-borders/docs/smart_borders_executive_summary_en.pdf

     -.Communiqué de Presse de la Commission du 28 février 2013

FR http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-162_fr.htm?locale=FR

EN http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-162_fr.htm?locale=EN

-.Article de Contexte sur les frontières intelligentes https://www.contexte.com/article/transversal/frontieres-intelligentes-lancement-du-projet-pilote-incertain_39485.html

https://www.contexte.com/article/transversal/le-pe-attend-plus-de-clarte-sur-les-frontieres-intelligentes_35913.html

-.Article de Numérama sur le projet pilot et commission LIBE du 7 décembre

http://www.numerama.com/politique/133938-biometrie-frontiere-intelligente-europe.html

-.Sylvie Guillaume sur les Smart Borders

http://www.sylvieguillaume.eu/frontieres-intelligentes-ou-pas

-.La Commission et le Conseil à la Plénière du 28 octobre 2015-12-10 http://www.eu2015lu.eu/fr/actualites/articles-actualite/2015/10/28-pe-schmit-smart-borders/index.html

-.Article du Soir sur la proposition de la Commission sur le contrôle des frontières

http://www.lesoir.be/1066750/article/actualite/monde/2015-12-10/l-europe-veut-controler-ses-frontieres

-. Dossier des articles sur les frontières intelligentes publiés par Eulogos http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3675&nea=162&lang=fra&arch=0&term=0

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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