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La radicalisation des jeunes européens est une question de santé publique

Sans travail, marginalisés ou déprimés, les jeunes européens d’aujourd’hui risquent de finir dans le collimateur de recruteurs de Daesh. Quelles réponses de la part de l’Union ? Quel est l’avis des experts ?

« Les Etats membres se sont engagés à intensifier leurs efforts pour favoriser la participation et l’inclusion de tous les jeunes dans la société. […] Ces efforts complètent le travail entrepris par le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RSR), […] qui insiste sur le rôle préventif de l’éducation à la pensée critique et de l’enseignements des valeurs démocratiques dans la lutte contre la radicalisation ».

Le passage reporté ci-dessus est tiré du projet de rapport conjoint de 2015 du Conseil et de la Commission sur la mise en oeuvre du cadre renouvelé pour la coopération européenne dans le domaine de la jeunesse (2010-2018). Lors de cette réunion du Conseil « jeunesse », les ministres compétents ont invité les gouvernements de la zone euro à implémenter des politiques aptes à favoriser l’inclusion des jeunes dans la société civile et le marché du travail. La crise économique débutée en 2007 a fort frappé les jeunes travailleurs et ses répercussions prolongées ont impacté les attitudes de tous ceux qui ont, d’une manière ou d’un autre, terminé leurs parcours de formation. Nonobstant le travail mené jusqu’ici par l’Union et les Etats membres pour sortir de l’impasse, la situation des jeunes européens entre 15 et 29 ans demeure toujours précaire.

 

Ainsi, les données récoltées pour la réunion du 23 novembre affichent une « génération de jeunes mieux formée que toutes les générations précédentes » confrontée à une augmentation du chômage et du taux de pauvreté. Les jeunes s’engagent plus souvent dans de différentes formes de participation à la vie politique en primant l’usage des médias sociaux. Cependant, ils ont tendance à moins voter que leurs ainées. Le nombre de jeunes NEET (Not in Education, Employment, or Training) atteint désormais le chiffre inquiétant de presque 14 millions et le chômage chez les jeunes d’origine immigrée nés dans le pays est normalement de 50 % supérieur à la moyenne européenne. Logiquement les jeunes les plus défavorisés sont ceux qui ont reçu moins d’éducation et qui, par conséquent, vont voter moins et participent rarement aux activités de volontariat ou à des activités culturelles.

De nos jours l’emploi est un volet d’inclusion social crucial mais il n’est pourtant pas le seul. La formation et l’éducation s’avèrent être fondamentales pour que les jeunes s’investissent davantage dans la vie sociétale et obtiennent les compétences nécessaires à améliorer leur condition. A ce propos, les ministres du conseil jeunesse ont décidé de promouvoir à grande échelle certains programmes de soutien économique, tels que Erasmus + et le Fond Social Européen, pour faciliter l’épanouissement des jeunes et pour leur intégration dans la vie active contre la menace de la radicalisation conduisant au terrorisme.

 

D’après les informations de la Commission, les jeunes sont toujours désireux de participer à la vie citoyenne pourvu que les moyens évoluent en phase avec leurs propensions. Erasmus +, dont le budget est augmenté de 80 % par rapport au programme précèdent, permettrait à quelques quatre millions d’européens de jouir d’un soutien financier pour la mobilité. Plus de jeunes peuvent maintenant entamer un projet individualisé dans le but d’étudier, de se former, d’acquérir une expérience professionnelle ou de travailler comme bénévole à l’étranger. Néanmoins, comme le met en exergue le rapport aussi, cet effort à lui seul ne serait pas suffire et les Etats membres sont appelés à mettre en place un ensemble de dispositifs adéquats visant à intégrer notamment ceux qui disposent de moins de ressources et d’une faible représentation dans les débats politiques. Outre un dialogue poussé avec les jeunes en question, les institutions devraient considérer le problème comme une instance multidimensionnelle, un problème à appréhender par toutes ses facettes.

La potentielle radicalisation des jeunes est un enjeu récent, mais non pas nouveau, auquel l’Union se trouve à faire face. Le 9 septembre 2011, la Commission Européenne a lancé le Réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR) pour mettre à profit les connaissances des praticiens, des chercheurs et des ONG. Un tel dispositif facilite la tâche de l’échange des bonnes pratiques et offre une assistance aux acteurs locaux impliqués dans la prévention de la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent. En effet, le RSR a revêtu un rôle de premier plan dans la stratégie européenne révisée en matière de prévention de la radicalisation et le recrutement, une initiative fortement sollicitée pour gérer la problématique complexe des foreign fighters. Les recommandations du Réseau ont notamment porté sur la sensibilisation des administrations locales et l’appui aux familles des jeunes ciblés, ainsi que sur la réintégration des anciens combattants.

 

Ces constats semblent trouver un écho dans la Déclaration sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination des ministres européens de l’éducation, réunis à Paris le 17 mars 2015. Soucieux de garantir le respect de la liberté d’expression au lendemain des attentats de Paris et Copenhague, de protéger le pluralisme et de sauvegarder l’esprit de tolérance européen, ils se sont engagés à intensifier leurs actions dans le domaine de l’éducation en vue d’encourager, entre autres, la coopération entre les acteurs, d’un côté, et les familles et les structures associatives, de l’autre. Les jeunes marginalisés sont plus susceptibles de devenir victimes de la rhétorique guerrière et sanguinaire des recruteurs puisqu’ils sont à la recherche d’un sens à donner à leur exclusion de la société.

La marginalisation, ainsi que l’inégalité, l’exclusion sociale et la difficulté d’accès à un enseignement de qualité, figure parmi les facteurs qui contribuent le plus à la radicalisation et au recrutement des jeunes selon la Commission de la Culture et de l’éducation du Parlement européen. Les suggestions de cette commission, formulées vis-à-vis du projet de rapport sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens terroristes par des organisations terroristes, mieux connu comme Rapport Dati, sont assez critiques. L’Europe resterait en effet incapable de réagir aux défis posé par la radicalisation car elle ne s’attaque pas efficacement aux causes culturelles, économiques, sociales et politiques qui font de certains milieux un terrain idéal pour la propagande djihadiste. Encore une fois l’accent est mis sur la vulnérabilité des sujets isolés et des jeunes sans emploi exposés aux risques du prosélytisme salafiste. La réintégration des jeunes radicalisé est une priorité tandis que internet est pointé du doigt comme un moyen puissant de diffusion du matériel de propagande .

 

Or certaines études montrent que internet ne représente pas forcément le moyen de contact privilégié avec la doctrine de Daech. Le rapport de RAND Corporation Radicalisation in the digital area, axé sur l’emploi d’internet dans plusieurs cas de terrorisme et extrémisme, présente des résultats intéressants d’un point de vue sociologique. Certes, l’outil internet crée des opportunités pour les gens de devenir radicalisés et amplifie l’« écho » des croyances véhiculées par les extrémistes, mais les données ne confirment pas les hypothèses sur sa capacité d’intensifier le processus de radicalisation ou d’induire les gens à se radicaliser sans aucun contact direct avec les recruteurs.

 

Ces conclusions semblent donc redéfinir la place de la toile dans le mécanisme de radicalisation où les contacts directs s’avèrent être l’élément déclencheur. En d’autres mots, pour que le sujet commence son parcours d’initiation aux préceptes du djihad une rencontre apparaît nécessaire. D’ailleurs, comme l’explique le politologue Benjamin Ducol « malgré le raffinement extrêmement abouti dans la maîtrise des réseaux sociaux et des contenus médias de la part de l’Etat islamique (EI), il est peu réaliste de croire qu’un individu lambda peut être embrigadé par le biais d’Internet ».

Si les chercheurs recommandent à maintes reprises de donner aux familles et aux institutions chargées de l’éducation les moyens d’aider les sujets à risque, c’est parce que le phénomène de la radicalisation se superpose à d’autres problèmes structurels. Plusieurs psychiatres commencent à traiter la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent comme un problème de santé publique pour lequel un travail de prévention et détection des victimes possibles est requis ; souvent la parution de comportements déviants précède la radicalisation. La religion joue un rôle clé, tout de même une attention excessive et obstinée pourrait s’avérer contreproductive. Dans de nombreux de pays les citoyens musulmans sont la cible d’attentats et ailleurs ils s’investissent considérablement dans la lutte contre une violence susceptible d’entraîner dans la spirale leurs enfants aussi.

 

« Certains adolescents perçoivent le terrorisme comme un remède aux problèmes qu’il gardent secrets », a confié au Monde le psychiatre Kamaldeep Bhui suite à l’analyse d’une population vivant dans l’est de Londres et à Bradford. Il a ainsi exhorté les dirigeants politiques à s’occuper de tous les jeunes vulnérables et à fournir les moyens aux services de prévention. Serge Hefez, psychiatre et collaborateur du Centre de prévention contre les dérives sectaires, a, quant à lui, remarqué une similitude substantielle entre ses jeunes patients et les adolescents déprimés ayant entrepris un parcours de radicalisation. Il se peut que les apprentis djihadistes rêvent du martyre comme un moyen de donner un sens à leur existence à cause des incitations de recruteurs professionnels. Cet aspect complexifie le cadre car la radicalisation peut s’apparenter à une revendication identitaire séduisante pour les jeunes adolescents à la recherche d’une réponse à caractère ontologique/eschatologique à leurs questions existentielles.

 

Nous assistons peut-être à la fameuse « islamisation de la radicalité » dont parle le politologue Olivier Roy. « Rejoindre Daech c’est la certitude de terroriser », la seule chose qui intéresse les extrémistes de familles musulmanes intégrées étant une espèce de violence narcissique. Un constat appuyé par plusieurs spécialistes en la matière mais peut-être quelque peu prématuré pour comprendre un phénomène à l’origine toute récente. Quoi qu’il en soit, les jeunes d’aujourd’hui ont parfois du mal à trouver leur place dans l’univers et les dérives sectaires ont l’avantage de fournir une réponse facile à toute question. Les institutions européennes semblent avoir compris la portée de la « guerre » en place mais les « batailles » ont lieu au niveau local et la victoire passe nécessairement par un fort soutien stratégique.

 

 

Samuele Masucci 

 

 

Pour en savoir Plus :

 

     -. Projet de rapport conjoint 2015 du Conseil et de la Commission sur la mise en oeuvre du Cadre renouvelé pour la coopération européenne dans le domaine de la jeunesse (2010-2018) (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52015DC0429&from=EN

(EN) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52015DC0429&from=EN

     -. Page internet de la Commission Européenne sur les possibilités offertes dans le cadre de Erasmus + http://ec.europa.eu/youth/programme/index_fr.htm

     -. Déclaration sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination  http://cache.media.education.gouv.fr/file/03_-_mars/66/9/2015_mobilisation_declaration_FR_401669.pdf

     -. Avis de la Commission de la culture et de l’éducation sur le projet de rapport sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens terroristes par des organisations terroristes 

(FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=COMPARL&reference=PE-557.258&format=PDF&language=FR&secondRef=02(ENhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-557.258%2b02%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fEN

     -. RAND Corporation Report : Radicalisation in the digital aera 

(EN) tp://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/research_reports/RR400/RR453/RAND_RR453.pdf

     -. Sur l’Islamisation de la radicalité http://www.franceculture.fr/emission-le-journal-des-idees-l-islamisation-de-la-radicalite-2015-11-25

     -. Article de Euronews sur les jeunes et la radicalisation http://fr.euronews.com/2015/10/19/prevenir-la-radicalisation-des-jeunes-europeens/

     -. Article du Monde sur internet et les trajectoires de radicalisation http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/01/internet-est-loin-d-avoir-le-role-qu-on-lui-attribue-dans-les-trajectoires-de-radicalisation-violente_4821634_4408996.html

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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